Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
(Site créé et animé par Daniel Calin)

 

Article précédent   Alicia, ou l’impossible réussite   Article suivant

 

Je rencontre les parents d’Alicia, jeune fille sourde de 14 ans, venus me raconter comment se passait la scolarité de leur fille dans le lycée français de la capitale d’un grand pays d’Afrique. Depuis deux ans, Alicia suivait son parcours de scolarisation en 6ème puis en 5ème dans le collège de cet établissement scolaire. Au regard des bulletins scolaires que les parents me présentent, et des propos qu’ils tiennent sur la scolarité de leur fille, il apparaît que la scolarité et les apprentissages se déroulent de manière satisfaisante. Les parents me font part toutefois de leur préoccupation du niveau de leur fille en français, en particulier dans la production écrite (structure de phrases, vocabulaire…). Rien qui ne m’étonne au regard de ce que l’on peut connaître des difficultés que peuvent rencontrer des élèves sourds. Alicia est accompagnée par un « aidant » (les AESH n’existaient pas dans l’organisation scolaire des lycées à l’étranger) qui intervient dans la répétition orale de ce que disent les professeurs en classe, ainsi que dans quelques explications complémentaires pendant les cours.

Cette jeune fille, je l’avais connue précédemment, lorsqu’elle sortait de l’école élémentaire, où elle était scolarisée au sein d’une CLIS et que ses parents me sollicitaient pour une orientation en collège au sein d’une unité d’enseignement. Au regard de ses compétences scolaires, l’équipe pédagogique spécialisée de l’unité d’enseignement de l’établissement spécialisé avait préconisé une affectation dans un dispositif d’adaptation, sans inclusion dans les cours d’une classe de 6ème du collège (sauf pour les cours d’EPS et d’Arts plastiques). Le programme de cette classe spécialisée adaptée se rapprochait de celui d’une 6ème SEGPA.

À l’issue d’une année passée dans cette 6ème adaptée, les parents ayant eu leur mutation à l’étranger, se pose la question de la modalité de scolarisation d’Alicia dans ce collège-lycée français, sans classe spécialisée. L’équipe pédagogique spécialisée fit le pronostic d’un échec assuré et inéluctable dans l’hypothèse d’une scolarisation en classe ordinaire, même si Alicia pouvait bénéficier d’un aidant sur la totalité des heures de cours. Mais il n’y avait pas le choix, et les parents inscrivirent leur jeune fille au collège, en 6ème malgré ses deux ans de « retard », cherchèrent (et trouvèrent) des aides humaines individualisées.

Et deux ans plus tard, il s’avérait que ce n’était pas l’échec avéré que prédisaient les professionnels spécialisés. Sans doute, lorsque je rencontrai les parents, tout ne fut pas dit, et il est vraisemblable que certaines lacunes d’apprentissage n’apparaissaient pas dans les bulletins scolaires. Mais toujours est-il que la scolarisation d’Alicia dans un collège « ordinaire » n’était pas une anomalie, et Alicia semblait effectivement tirer profit de ce à quoi elle était confrontée pendant les cours, tant sur le plan des apprentissages que de la vie sociale.

On assiste là à une réaction fréquente de professionnels spécialisés : leur manque de confiance dans les capacités des jeunes en situation de handicap dont ils ont la responsabilité, et le manque de confiance dans les capacités de l’enseignement ordinaire à trouver des solutions aux problèmes pédagogiques qu’il rencontre dans l’accueil des élèves en situation de handicap. On peut se rendre compte dans le même temps que, si Alicia était restée dans le dispositif spécialisé adapté, elle n’aurait jamais pu faire les apprentissages qu’elle fit dans le cadre du collège ordinaire.

 
Un texte de Jean-Yves Le Capitaine
26 janvier 2018

 
*   *   *
*

Informations sur cette page Retour en haut de la page
Valid XHTML 1.1 Valid CSS
Dernière révision : lundi 04 mars 2019 – 17:45:00
Daniel Calin © 2014 – Tous droits réservés