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Dans l’imaginaire collectif, dans les représentations sociales et politiques, la surdité est encore un problème de santé. Malgré la visibilité sociale acquise par les sourds (je parle ici des Sourds « de naissance », pas des devenus sourds tardivement), largement appuyée sur la langue des signes, malgré la reconnaissance officielle de leurs droits « humains » à utiliser une langue qui leur est adaptée, la langue des signes, malgré le développement de cette présence sociale, la surdité reste encore dans une problématique médicale excessivement prégnante.

La surdité est traitée comme une maladie, et de la même manière que toute « maladie » qui affecte l’intégrité du corps humain : prévention, diagnostic, traitement, rééducations, orientations spécifiques... Ce processus d’identification de la surdité ignore totalement le phénomène social de la surdité, dénie le fait que la surdité puisse être considérée comme une caractéristique de la nature humaine, certes minoritaire. Comme d’autres ont des couleurs de peau différentes, des langues différentes, des orientations sexuelles différentes. Que la vie soit moins facile la plupart du temps pour les personnes qui ont des caractéristiques minoritaires est une évidence. Mais ce n’est pas une raison pour cautionner, voire prôner, la « fureur » de soigner et de vouloir éliminer à toutes forces les stigmates de la déficience.

Les accompagnements s’effectuent dans le cadre de la catégorisation du handicap, qui place les personnes concernées dans une catégorie de population organisée en raison d’une déficience et des incapacités, et non par exemple par ses caractéristiques langagières. S’en suivent des « prises en charge » et des accompagnements relevant du sanitaire (les soins, les interventions chirurgicales, les prothèses, la réadaptation et la rééducation) et, comme par prolongement, du médico-social (éducation et pédagogie spécialisées). Même si ces derniers services utilisent la langue des signes, ils n’en demeurent pas moins ancrés dans une histoire et une organisation, dans des modalités d’intervention ou d’accompagnement fortement compensateurs, réparateurs, dont les objectifs restent en arrière-plan la normalisation.

Un exemple est symptomatique de cette approche : personne ne s’est étonné que des préconisations éducatives de choix de langue et de modalités de communication soient données par la Haute Autorité de Santé (HAS) : Surdité de l’enfant : accompagnement des familles et suivi de l’enfant de 0 à 6 ans, hors accompagnement scolaire. Recommandations de bonnes pratiques (2009). Nous viendrait-il à l’idée de solliciter la HAS pour savoir s’il faut utiliser le breton (ou le corse), et à quelles doses, dans l’éducation d’un enfant ? Ou pour déterminer si une famille migrante doit parler ou non sa langue d’origine à la maison ? D’autres expertises seraient là requises, dont les sourds pourraient être bénéficiaires.

S’il faut bien évidemment réfléchir à ces questions (y compris celle de la surdité), c’est peut-être, certainement même, d’autres instances que la HAS qu’il faut interroger. Mais la surdité reste dans le champ de définitions des déficiences, attribut individuel qui exile les personnes dans la catégorie des handicapés. Elle n’est pas considérée comme, aussi, une caractéristique sociale que l’environnement transforme en handicap.

Que la surdité relève d’une problématique de santé ne peut être nié, non plus qu’une intervention à ce niveau puisse améliorer la vie des personnes ayant ce type de déficience. Mais de là à réduire la surdité à la déficience et à un problème de santé, il y a un abus de pouvoir.

 
Un texte de Jean-Yves Le Capitaine
13 avril 2018

 
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