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C’était un printemps, et ses premiers jours ensoleillés. Je me trouvais à une terrasse de café, dans une rue en pente. En bas de la rue, et essayant d’utiliser au mieux l’étroit espace de trottoir laissé libre par les terrasses alignées, deux jeunes adultes tentaient de manœuvrer leurs fauteuils roulants pour remonter la pente. Arrivés à ma hauteur, j’entendis une consommatrice de la table voisine dire à son amie : « Tiens, ils ont dû s’échapper de leur truc ! »

A priori, il ne s’agissait pas d’une mauvaise blague mal intentionnée envers les handicapés. Non, il s’agissait vraisemblablement d’une remarque ou d’une observation de « bon sens », tout à fait symptomatique des représentations de la place des personnes handicapées dans la société. Ces deux jeunes avaient certainement des déficiences motrices qui exigeaient qu’ils aient recours à un fauteuil. Ils avaient aussi des « marqueurs » de handicap dans leur modalité de communication, dans leurs attitudes et postures.

« Leur truc » désignait vraisemblablement l’espace physique qui devait et devrait leur être dédié, le lieu spécialisé destiné à accueillir ce type de population, le lieu où on (population non handicapée) attend qu’ils soient relégués. Leur place, en tout état de cause, n’était pas celle de l’espace public où ils étaient devenus visibles. D’ailleurs, ils avaient dû « s’en échapper », pour s’exposer ainsi aux yeux de tous dans cette rue en pente. « S’échapper » est en outre bien le terme qui indique leur espace dédié naturel, celui où ils devraient rester, loin des endroits fréquentés par « nous ».

Certes, les personnes handicapées ont acquis de la visibilité, elles peuvent faire valoir leurs droits, en particulier depuis la loi de 2005. Mais les représentations d’exclusion restent ancrées : cette scène se déroule en 2017.

Ce que cette expression dévoile de cruauté, de violence et d’exclusion reste donc profondément ancré, même si on l’observe la plupart du temps sous forme d’un euphémisme politiquement correct. N’est-ce pas cette même place reléguée qu’on assigne aux personnes handicapées qu’on trouve dans ces réflexions, ces propos, ces attitudes :

Derrière les bons sentiments prônant la mise en œuvre de la participation sociale et de l’inclusion des personnes qui rencontrent des situations de handicap dans notre société, il y a tous les « mauvais sentiments » qui nous font les éloigner et les reléguer. Leur inclusion passe aussi certainement par une prise de conscience générale à ce niveau, en particulier chez les professionnels qui les accompagnent.

 
Un texte de Jean-Yves Le Capitaine
18 juin 2018

 
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