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Comment expliquer cet étonnant paradoxe de la simultanéité de la célébration consensuelle de l’école inclusive (ou de la société inclusive) et de la multiplication pléthorique des dispositifs de ségrégation scolaire et sociale ?

Du côté de l’école inclusive, on trouve un discours assez universel d’égalité des droits et/ou des chances ; elle inspire des dispositifs de scolarisation et la mise en place de moyens importants (même si toujours insuffisants) : AESH (Accompagnants des élèves en situation de handicap), ULIS (Unités localisées pour l’inclusion scolaire), formation des enseignants, moyens médico-sociaux mis au service de l’inclusion. Elle est en phase avec un discours politique partagé (mais également critiqué et combattu) sur les perspectives d’une société inclusive.

Mais de l’autre côté, on ne peut que constater la mise en place de dispositifs de ségrégation, de fragmentation, de frontières et de séparations entre les individus et les groupes. Critiquant l’insuffisance de l’école ou ses orientations (la laïcité est par exemple aujourd’hui un enjeu important), il se crée partout des écoles « spécifiques » en dehors des dynamiques de l’institution scolaire : ici, une école Montessori, là une école privée hors contrat, catholique ou musulmane, plus loin une école pour « sur-doués » (aujourd’hui qualifiés d’intellectuellement précoces), école à la maison (paroxysme de l’établissement des frontières), etc. Autant de dispositifs célébrant chacun de facto la légitimité d’un entre-soi spécifique, bien éloigné de l’objectif affiché d’un « vivre ensemble » de la République.

Au sein même de l’Éducation nationale, il n’est pas jusqu’au ULIS qu’il serait tentant de retransformer en classes.

Le plus étonnant, c’est que les responsable (politiques, administratifs) ne semblent pas voir ce paradoxe, ou en tout cas que ce paradoxe constitue une espèce de point aveugle. Tout (ou presque) est fait pour aller vers une école inclusive, au moins dans les discours. Mais aussi, tout (ou presque) est fait pour que puissent s’installer des dispositifs ségrégatifs sur le terrain, légitimé par un discours critique sur l’Éducation nationale, relayé par un discours légitimant toute liberté individuelle sur ce terrain.

Est-ce l’échec de l’école de la République, ainsi que de l’intention et de l’ambition inclusives ? Ou est-ce la duplicité des responsables laissant se faire, au nom d’une certaine idée du progressisme, une évolution des représentations politiques et idéologiques sur l’école pouvant aboutir à un communautarisme dur, où des dispositifs de ségrégation seraient généralisés, tant dans l’école que dans la société : les riches avec les riches, les pauvres avec les pauvres, les catholiques avec les catholiques, les musulmans avec les musulmans, les surdoués avec les surdoués, les échecs scolaires avec les échecs scolaires, les handicapés avec les handicapés, les valides avec les valides, et pourquoi pas aussi, traversant le tout, les garçons avec les garçons et les filles avec les filles.

Cela donne l’impression que la promotion des droits individuels et des modes de vie « communautaires » a si bien prospéré qu’elle a fini par étouffer les droits de l’homme, au sens universaliste du terme. Je n’ai pas de réponse affirmée à la question du début de cet article, mais on ne peut ignorer que ce paradoxe met des entraves au développement de l’école inclusive.

 
Un texte de Jean-Yves Le Capitaine
17 septembre 2018

 
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