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On parle beaucoup d’externalisation(s) dans de nombreux champs (politique, économique, industriel), et maintenant aussi, avec insistance, dans l’école et dans le médico-social. Mais pas toujours avec les mêmes significations. L’externalisation est un processus qui consiste à faire ou réaliser quelque chose (un produit, un service) hors de son propre système. Il est curieux de comparer l’utilisation organisationnelle et professionnelle de ce terme dans ces deux secteurs voisins et collaboratifs dans la scolarisation des élèves en situation de handicap que sont l’école et le secteur médico-social.

Dans l’école, l’externalisation est nommée pour désigner l’orchestration du « traitement » des difficultés scolaires. Là où l’école tentait tant bien que mal de fournir ses propres moyens aux besoins des élèves qu’elle accueillait, ne se préoccupant d’ailleurs pas des autres, aujourd’hui elle se confronte à des réponses externes, nombreuses et diverses, tant dans les organismes et entreprises de soutien scolaire que dans les réponses « thérapeutiques » qui se développent.

Si l’école accueille aujourd’hui des élèves qu’elle n’accueillait pas auparavant, elle a en même temps développé une demande (ou alors elle a reçu des propositions) de traitement des difficultés à l’extérieur. Face aux difficultés, il est de plus en plus fait appel à des spécialistes externes, et en particulier aux experts médicaux et para-médicaux, au nombre desquels on trouve en premier lieu des psychologues et des orthophonistes, mais aussi d’autres professions expertes. La situation des enfants « dys », ayant des « troubles » de l’apprentissage, est tout à fait symptomatique de cette évolution.

C’est ce phénomène qui est désigné sous le terme d’externalisation. Les analystes de cette situation observent aussi qu’en procédant ainsi, l’école se défausse à bon compte de la réflexion sur la mise en œuvre de ses propres ressources, des ressources des enseignants, pour répondre aux problématiques des difficultés scolaires d’apprentissage, s’appauvrissant au passage de ses compétences, et laissant croire de surcroît que les difficultés tiennent à la nature (cognitive ou psychologique) des enfants sans s’interroger sur ses pratiques.

Dans le secteur médico-social, l’externalisation a un autre sens, tenant de la désinstitu­tionnalisation. Il s’agit là de sortir des murs de l’institution, de penser la scolarisation d’enfants (d’élèves) handicapés dans le cadre de la scolarisation en établissement scolaire. Différents textes ont balisé l’injonction d’externalisation.

Mais l’usage du terme est curieux : lorsqu’on externalise un objet O d’un espace A vers un espace B, on ne peut s’extraire de la pensée qu’en définitive O a une relation d’appartenance à A, et qu’il n’est en B qu’artificiellement, lié par un cordon (ombilical) avec son origine A. Du point de vue institutionnel médico-social, l’externalisation signifie bien souvent ce prolongement à l’extérieur, quelque part nécessaire, en même temps que l’appartenance fondamentale des élèves ainsi « externalisés » à l’institution. Le processus est pensé de A vers B, c’est-à-dire avec la légitimité de l’appartenance à A, et non comme l’appartenance de droit à B. Et en retour, il y va quelque part de la pensée d’une certaine illégitimité de la présence de O en B. Là où l’on parle d’externalisation, il eût mieux valu utiliser le terme de réintégration dans l’espace de droit de scolarisation pour tous. C’est ainsi que la sémantique constitue un obstacle à la reconnaissance de la présence légitime des enfants en situation de handicap dans l’école.

 
Un texte de Jean-Yves Le Capitaine
15 octobre 2018

 
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