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Dans le discours dominant, le dépistage précoce est une réponse d’une légitimité convenue et évidente : comment peut-on être contre ce qui « guérit » un problème d’autant mieux qu’il sera pris précocement, contre ce qui va permettre d’anticiper les conséquences de la déficience ou du trouble, et de les corriger d’autant mieux que le problème sera identifié précocement, contre ce qui va permettre, en fonction de cette connaissance précoce, de faire les bons choix (médicaux, technologiques, éducatifs...) ? Et pourtant...

Dans le domaine de la déficience auditive, dont le dépistage est systématique à J + 2, des personnes sourdes, mais aussi des parents entendants, des professionnels, se positionnent « contre » un tel dépistage, ce qui suscite la plupart du temps une grande réprobation. Ou du moins leur critique est entendue comme telle, comme une opposition au dépistage précoce, alors que ce qui est critiqué est davantage l’instrumentalisation de ce dépistage en vue de « traitements » qui peuvent être, eux, plus légitimement critiqués.

En effet le dépistage néo-natal de la surdité n’a qu’un seul but, celui de traiter la déficience de l’ouïe d’un point de vue uniquement médical. Selon ce point de vue, un tel dépistage permet un diagnostic plus précoce, et par conséquent un équipement prothétique (prothèse auditive numérique ou implantation cochléaire) également plus précoce, gage, selon de nombreuses études, d’une meilleure efficience dans la perspective de performance auditive et d’acquisition de la langue orale. La plasticité cérébrale permet en effet de mettre en place des bonnes compétences à ce niveau.

Mais on pourrait aussi se dire, puisqu’une telle plasticité cérébrale existe, qu’il faudrait en profiter pour proposer aux enfants repérés lors de ce dépistage de suppléer à leur éventuelle déficience auditive par une communication multimodale, et en particulier visuelle, en y intégrant le plus possible des éléments d’une langue de communication visuelle et signée.

On permettrait ainsi à ces enfants d’entrer en relation avec leur environnement humain de manière satisfaisante et gratifiante. Et on éviterait ces phénomènes de distanciation (voire de rupture de la relation « maternante ») du parent d’avec son enfant, parent à qui on annonce que son enfant sera peut-être sourd, qu’il faut attendre pour savoir, qu’en attendant il n’y a rien à faire, mais que, quand on saura, on pourra lui redonner l’audition. Dans cet intermède en suspens, ce parent peut se mettre aussi en suspension de la relation avec son enfant. Et on éviterait aussi le vide précoce qu’on risque d’imposer à ceux dont l’implant ne va pas correctement fonctionner socialement (et il y en a quand même !). Alors qu’un tel dépistage pourrait être l’occasion de mettre en place de nouvelles modalités de relation, plus polymodales ; et même pour celui qui s’avèrera non sourd, ce sera une richesse !

Mais non, justement, le dépistage n’est pas fait pour cela. Il est instrumentalisé pour anticiper le traitement médical de la déficience lorsqu’elle sera confirmée. Parce que, pour de nombreux professionnels, médicaux en particulier, ne pas entendre, et surtout ne pas parler oralement (pendant de l’horreur que représente le fait de parler gestuellement) est une situation qui empêche l’accès à la qualité d’humain à part entière.

Alors, oui au dépistage précoce, non à son instrumentalisation. Oui au dépistage précoce, sous conditions d’actions éducatives de développement des perceptions polymodales, y compris dans le domaine langagier, pour tous ceux qui sont ainsi dépistés.

 
Un texte de Jean-Yves Le Capitaine
19 mai 2016

 
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