Enseignants : une inquiétante absence de réactions
À propos des polémiques sur la lecture
Un texte de Laurent Lescouarch,
Maître E en RASED, doctorant en Sciences de l’éducation
Dans le grand débat réactionnaire alimenté par les propos ministériels sur la lecture, les attaques contre tout ce qui se ressemble de près ou de loin à un chercheur en éducation se multiplient. Je constate que les grands absents de ce débat sont ceux qui sont le plus concernés, les enseignants. En effet, on ne ressent pas vraiment de climat insurrectionnel dans le milieu alors que la liberté pédagogique est remise en cause et les acquiescements aux propos ministériels ne sont pas aussi rares qu’on aurait pu le croire.
Et pourtant, au delà du débat sur la lecture, c’est une attaque en règle contre ce qui fait la professionnalité des enseignants qui est en œuvre et on peut s’étonner de ce manque de réactions (en dehors des habituelles déclarations de leurs organisations syndicales). Les réponses ne me paraissent pas être du tout à la hauteur de l’enjeu. Elles devraient être collectives et massives à l’heure d’Internet où d’un seul clic nous pouvons nous positionner et réagir.
Le débat n’est pas réellement pédagogique. Il a certainement quelques arrières pensées politiciennes mais est avant tout et surtout idéologique dans le champ même de l’éducation. Je pense que les attaques actuelles contre les méthodes de lecture constituent l’arbre qui cache la forêt et une première brèche permettant la remise en cause de notre métier. En effet, ce qui caractérise les thèses avancées par les détracteurs de la pédagogie sur la lecture, c’est qu’elles nient la complexité de l’acte d’apprentissage et contiennent implicitement l’idée qu’enseigner est un acte simple, à la portée de tous. Et je crois que c’est à ce niveau-là que le débat est le plus dangereux car cela peut remettre en cause jusqu’à la fonction même d’enseignant.
Prétendre que l’on peut apprendre à lire à des enfants par des méthodes simples et mécanicistes n’est pas sans arrière pensée idéologique au niveau des apprentissages. C’est une façon de remettre en cause la dimension pédagogique et professionnelle de l’enseignement. Si c’est simple et mécanique, tout le monde peut le faire et à quoi bon former des enseignants à Bac + 5 pour faire ce qu’un enseignant faisait en 1930 sans le bac ? Voilà jusqu’où pourrait nous mener les raisonnements qui germent actuellement dans les courants réactionnaires dont la rue de Grenelle se fait l’écho par circulaires.
Je crois que cela est également en relation avec l’avènement de la formation “en alternance” comme modèle quasiment exclusif dans la formation des adultes, dont l’apprentissage à 14 ans est le dernier avatar. L’enjeu me paraît considérable. Je crains que dans cette logique où tout est présenté comme simple et inné dans l’acte d’enseignement (ex : le fameux “don” pour l’autorité) et où n’importe quel patron est censé former “sur le tas” beaucoup mieux qu’au lycée professionnel, les enseignants ne redeviennent que des ouvriers spécialisés des savoirs minimaux (avec la reconnaissance sociale et le salaire qui va avec...).
C’est là-dessus que doit porter la lutte et cela commence par la défense des IUFM en tant que structure (même si on peut leur reprocher beaucoup de choses par ailleurs sur les modalités et les contenus de formation). Malheureusement, certains enseignants eux-mêmes scient souvent la branche sur laquelle ils sont assis en s’illustrant par une ignorance des enjeux, des connaissances théoriques approximatives et un poujadisme pédagogique dangereux. Il n’est pas rare, dans les salles des maîtres, d’entendre que « la pratique ne ment pas » et que « la théorie est verbiage inutile ». Certains vivent sur la croyance que l’expérience de classe est suffisante pour se légitimer professionnellement alors que cette expérience n’apporte aucune légitimité si elle n’est pas approfondie par des dimensions théoriques.
Et c’est là que nous perdons la bataille car je crois que c’est notre formation théorique qui nous distingue du parent d’élève zélé qui a lu les programmes et est abonné à Psychologies. Nous devons au contraire revendiquer notre formation et chercher à l’actualiser au maximum (comme le font tous les artisans quand les techniques de leur domaine évoluent) en nous appuyant sur la formation continue (rare et parfois peu adaptée il est vrai), mais également dans le cadre d’une démarche personnelle d’information. Il y va de notre crédibilité.
Or, j’ai plutôt le sentiment qu’aujourd’hui le monde enseignant ne prend pas conscience de ces enjeux et accueille cette énième polémique avec les mêmes réflexes que pour les pratiques d’innovation : attentisme et inertie. Je ne suis pas sûr que cette réponse soit la plus adaptée.
Nous n’avons pas encore pris la mesure de l’ampleur de la remise en cause de notre fonction et de sa fragilité quand l’idéologie remplace l’argumentaire, quand les conclusions des recherches sont niées ou tronquées dans le cadre de l’idéologie éducative la plus réactionnaire que nous ayons connue depuis l’après-guerre.
Un sursaut collectif serait le bienvenu, ce débat est un enjeu et notre métier est en jeu.
Laurent Lescouarch
Janvier 2006
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