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Lettre adressée à une professeure des écoles d’Indre-et-Loire

 

 
Un texte de Hubert Montagner


Le 5 mai 2009

Chère Madame,

Je vous remercie vivement pour votre courriel du 2 mai 2009.

Il est inacceptable que vous soyez punie par le Ministre et la hiérarchie de l’Éducation nationale alors que, par votre décision intelligente et responsable, vous n’avez pas voulu vous rendre complice de la nouvelle forme de maltraitance constituée par le temps de soutien obligatoire après la classe. C’est une prise de responsabilité humaniste et civique qui vous honore. Elle montre la voie pour que les enfants en difficulté ne soient pas encore plus épuisés, démotivés... et finalement psychologique­ment et intellectuellement détruits par la journée la plus longue du monde (six heures de temps contraint pour toutes les classes d’âge de l’école primaire). En effet, vous savez mieux que le Ministre et l’Inspecteur d’Académie les dégâts supplémentaires que constitue un soutien scolaire après la classe pour les enfants en difficulté, en particulier ceux que l’on enferme sous l’étiquette de l’échec scolaire. Ils viennent s’ajouter aux dégâts générés par l’accroisse­ment de la pression intellectuelle et relationnelle avec le poids augmenté au quotidien de la fréquence et de la durée des apprentissages dits fondamen­taux, dans le cadre combiné d’une semaine ramenée arbitrairement à quatre jours (il faut faire en quatre jours ce qui était fait en quatre jours et demi) et de nouveaux programmes imbéciles. Il n’y a plus de temps de respiration au cours de la journée alors qu’il est indispensable pour que tous les enfants, surtout ceux qui sont en difficulté, puissent récupérer de leurs fatigues psychologiques et intellectuelles, et restaurer peu ou prou leurs capacités d’attention, de concentration intellectuelle et de traitement de l’information. Il n’y a plus assez de temps pour que les enfants puissent libérer leurs émotions, leurs sensibilités, capacités et intelligences cachées, ainsi que leur imaginaire lorsqu’ils s’engagent dans les arts plastiques, le chant choral, la narration, la découverte de la nature, les particularités de la vie végétale et animale, l’histoire captivante de nos ancêtres et du monde, les modes de vie dans les différentes cultures humaines... Les enfants apprennent aussi bien le français, ou mieux, au cours de ces temps de diversification et de découverte que dans les situations d’apprentissage formel et explicite de la langue. Bien évidemment, les enseignants le savent.

Si on prend le cours préparatoire comme exemple, aucun enfant de six à sept ans ne peut accepter d’être au quotidien en situation de contrainte intellectuelle et relationnelle pendant deux heures trente minutes pour l’apprentissage du français (10 heures pour la semaine) et une heure quinze pour le calcul et les mathématiques (5 heures par semaine). Les Scandinaves sont horrifiés.

À 16 heures, les enfants en difficulté sont épuisés, enfermés dans leurs peurs, blocages et inhibitions, dans leur anxiété, leurs angoisses... surtout lorsqu’ils se projettent dans le retour à la maison alors que leur milieu familial est en souffrance. Ils le sont déjà au début de l’après-midi ou même, pour les plus fragiles, vulnérables et démunis, dès la fin de la matinée comme le montre l’observation des enfants accueillis dans les écoles de ZEP. Seuls les enfants qui vivent au quotidien dans la sécurité affective, sans déficits de sommeil et sans comportements “perturbés” et/ou “perturba­teurs”, peuvent être suffisamment vigilants, attentifs, réceptifs et disponibles au cours de l’après-midi pour capter et traiter les messages du maître, et ainsi se réaliser comme élèves. Et encore, pas tous les jours selon les fluctuations de leurs équilibres physio­logiques, émotionnels, affectifs, sociaux et cognitifs.

En imposant sans concertation la semaine de quatre jours, l’augmenta­tion délirante du poids des “fondamentaux” et le soutien accordé après la classe aux enfants en difficulté, le Ministre et la hiérarchie de l’Éducation nationale déshumanisent l’école, accroissent les inégalités et injustices sociales, en conduisant un nombre croissant d’enfants à s’enkyster dans le “désamour” pour l’école et son rejet, et ainsi plus ou moins progressivement dans la marginalité sociale. Ce “système” aberrant et “concentrationnaire” stigmatise les familles qui cumulent les difficultés personnelles, morales, familiales, sociales et culturelles. C’est une honte pour notre pays... en principe l’un des berceaux des Droits de l’Homme. Les étrangers que je rencontre ne comprennent pas ce “système”. On n’aurait pas agi autrement si on avait voulu pérenniser une école à plusieurs vitesses dans laquelle les plus fragiles, vulnérables et démunis ne peuvent même pas passer la première vitesse, et s’engager avec confiance dans le désir de comprendre et d’apprendre faute de pouvoir enclencher les vitesses supérieures qui permettent d’accéder aux différents niveaux des savoirs et des connaissances.

Le tribunal incontournable de l’Histoire retiendra que l’actuel Ministre de l’Éducation Nationale, ses conseillers patachons et idéologues, et sa hiérarchie vassalisée ont institué un système de maltraitance, de stigmati­sation, de culpabilité et d’exclusion implicite qui déshonore notre pays et notre nation.

Il n’y a jamais eu autant d’Inspecteurs d’Académie révoqués qu’en 2008-2009 alors que leur “faute” a été d’entendre et d’essayer de comprendre la décision et le désarroi des enseignants. Les informations qui “remontent du terrain” montrent toutes qu’il n’y a jamais eu autant d’enfants épuisés et déboussolés, et aussi d’enseignants exténués, stressés, démoralisés et culpa­bilisés par les échecs persistants des élèves les plus fragiles, vulnérables et démunis. Les lettres qu’ils adressent à leurs édiles, souvent le ou la maire, sont pathétiques et souvent bouleversantes. La porte est béante pour la consommation accrue de somnifères, calmants, psychotropes... des enfants, de leurs parents inquiets ou désespérés et de leurs maîtres... qui perdent confiance dans leurs compétences. Les Français sont déjà les plus grands consommateurs de ces molécules !

Par votre refus, vous sauvegardez la dignité de l’école. Merci.

Je suis prêt à vous défendre en tous lieux et devant quiconque, y compris devant les tribunaux si une action judiciaire devait être décidée.

Vous pouvez diffuser sans retenue tout ou partie du présent courriel.

Bien à vous

Hubert Montagner
5 mai 2009

 
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(*) Hubert Montagner est docteur ès-Sciences, Professeur des Université en retraite, ancien Directeur de Recherce à l’INSERM. Il est membre du Conseil Scientifique de la FNAREN.

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Bibliographie

 
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