Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
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Quand les experts se font prescripteurs

 

 
Un texte de Pascal Ourghanlian
Enseignant spécialisé, référent pour la scolarisation des élèves handicapés(2)


Références  Ce texte se réfère au rapport de l’INSERM(1) intitulé Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie : Bilan des données scientifiques. Voir aussi la synthèse de ce rapport (format PDF).
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Que certains enfants souffrent de troubles spécifiques des apprentis­sages, c’est-à-dire :

pourquoi pas ? Même si cette définition basique de l’apprentissage me semble bien loin de ce qui s’observe d’un enfant en train d’apprendre...

Enseignant spécialisé, je suis la scolarité d’enfants, ordinairement intel­ligents, sans empêchement majeur de la pensée ni trouble psychologique flagrant, bien installés dans la relation et de milieu socio-culturel tout venant, qui ne parviennent pas à apprendre. L’idée même de TSA(3) ne m’est donc ni étrangère ni ne m’apparaît inopérante.

Ce qui me soucie dans l’expertise de l’INSERM dont Philippe Meirieu fait la critique de la manière la plus apaisée et la plus constructive possible(4), c’est sa potentialité hégémonique. En ces temps confus où la démocratie vacille, il me paraît dangereux, pour le moins inopportun, qu’un savoir, fut-il précautionneux, s’arroge la possibilité de dire le Vrai et d’être prescripteur dans des domaines qui ne sont pas de son champ de compétence.

Or, l’avis de l’INSERM n’est ni précautionneux, ni respectueux des domaines autres que le sien propre. Il pose comme transférables, sans autre forme de procès, des recherches essentiellement menées dans le monde anglo-saxon, sur une langue, fort belle au demeurant, mais fort éloignée de la nôtre, tant du point de vue du système phonologique que des structures syntaxiques profondes. Et il prétend pouvoir transférer ex abrupto ces mêmes recherches du champ des neurosciences, de balisage extrême­ment fluctuant, à celui de la pédagogie, aux contours tout aussi vagues mais bien différents : alors que celle-ci, par nécessité éthique, prend en compte l’humain dans sa globalité, celles-là, par choix technologique, travaillent sur le vivant pris séquence par séquence.

Pire ! Il oublie la prémisse de toute réflexion qui se prétend scientifique, naguère soulignée par Gaston Bachelard : seule la possibilité de vérifier une hypothèse et de procéder à sa rectification est le gage d’une pensée qui se met au service de l’homme et ne l’asservit pas.

Le débat sur la prise en compte des difficultés spécifiques d’apprentis­sage de la langue écrite et du nombre est ancien. Quelque confiance que l’on ait dans les progrès de la science, si des avancées directement utilisables dans la conduite de la classe étaient avérées, je doute fort que les enseignants les eussent ignorées. Bon an mal an, même si des progrès sont certes encore à accomplir, il me semble que les problèmes de la lecture et du calcul sont leur fond de commerce quotidien et qu’ils inventent, qu’ils bricolent aurait dit Claude Lévi-Strauss, des réponses souvent bien adaptées aux besoins de leurs élèves.

Ce dont je peux témoigner, par contre, c’est que les troubles graves que sont les dysphasies et les dyspraxies sont fort méconnus, donc sous-estimés, donc peu pris en compte – et que les experts de l’INSERM ont choisi de les écarter de leur expertise. Ce qui est pour le moins... troublant, s’agissant de difficultés qui entravent la relation à l’autre et au monde de manière bien plus lourde à porter. Et qui interroge sur l’objectif réel poursuivi par les experts de l’INSERM. D’autant que leur avis ne peut pas ne pas trouver d’échos auprès de parents en souffrance, en attente du cachet-miracle qui va soigner leur enfant, et d’enseignants inquiets de mal faire et qui cherchent à se rassurer en renvoyant à d’autres, plus savants, la prise en compte de difficultés qui les mettent en difficulté.

Médicalisons, médicalisons, il en restera toujours quelque chose. Mais quand les enfants au comportement troublé, quand les enfants à la lecture troublée, quand les enfants au calcul troublé seront les adultes qui nous accompagneront dans nos vieillesses, il ne faudra pas s’étonner qu’ils le fassent à la manière dont ma grand-mère le faisait avec mon grand-père : « Tu as pris ton cachet ? ».

La tendresse en moins...

Pascal Ourghanlian
Hiver 2006-2007

 
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Notes

Notes ajoutées par Daniel Calin

(1) L’INSERM est l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale. Institution a priori vénérable, jusqu’à ce qu’y soit installée, il y a quelques années, une mafia neuro­comportementaliste qui depuis commet régulièrement des “rapports d’experts” qui tentent, avec un succès regrettable, d’imposer en France cette idéologie calamiteuse comme la norme scientifique.
Le site Histoire de l’INSERM est fort intéressant pour apprécier cette institution à sa juste valeur. On y apprend en particulier que cette institution, qui existe sous cette appellation depuis 1964, a pris la suite de l’INH, Institut National d’Hygiène, fondé en 1941 par le gouvernement de Vichy. L’orientation actuelle de l’INSERM peut ainsi être relue comme un retour aux sources, fascistes, d’une institution moins vénérable qu’il n’y paraît...
(Je reprends ici cette note, rédigée au départ pour un texte du Dr Vincent en réaction à un précédent rapport de l’INSERM, tout aussi calamiteux, sur le trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent (format PDF), lequel avait été au final contré par le mouvement Pas de 0 de conduite pour les enfants de trois ans.)

(2) Voir aussi les réactions de Pascal sur Le forum des enseignements spécialisés, sur ce fil de discussion : La planète “dys-” – encore....

(3) Troubles Spécifiques des Apprentissages.

(4) Voir, sur le site de Philippe Meirieu, en date du 27 février 2007, L’étau se resserre.
 

 
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Dernière révision : samedi 22 février 2014 – 20:05:00
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