Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
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Troubles du langage et handicap :
l’enseignant référent au cœur du dispositif

 

 
Un texte de Pascal Ourghanlian
Enseignant spécialisé
Référent pour la scolarisation des élèves handicapés


Publication originale  Article initialement paru dans Ortho-Magazine, n° 74, janvier-février 2008 (la copie de l’article original est disponible au format PDF).
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Les troubles spécifiques du langage oral ou écrit font, dans l’École, l’objet d’un « plan d’action »(1) depuis 2002 – ce qui montre assez que le souci de prendre en compte ces difficultés est récent(2) et que sa réalisation effective est encore en cours. Ce plan active trois niveaux de réponses (repérer, dépister et diagnostiquer) et confie à trois catégories de professionnels la charge de les mettre en œuvre (l’enseignant dans sa classe, le médecin scolaire, les professionnels du langage(3)). Selon la gravité du trouble, l’école peut jusqu’à proposer une orientation vers une CLIS ou vers une UPI(4), dans le cadre d’un projet d’intégration scolaire (PIS).

L’année suivante, une circulaire concernant l’ « accueil en collectivité des enfants et adolescents atteints de troubles de la santé évoluant sur une longue période »(5) mettant en place les projets d’accueil individualisé (PAI) inclut « dyslexie, dysphasie, troubles du langage » dans la liste des affections de référence à prendre en compte dans ce cadre.

Désormais, depuis le vote de la loi du 11 février 2005, ces enfants et ces adolescents dont le trouble est grave peuvent se voir reconnaître handicapés, afin que soit mis en place à leur bénéfice un plan de compensation, dont l’un des volets est le projet personnalisé de scolarisation (PPS).


Si l’orthophoniste reste au centre du dispositif de rééducation, ses interlocuteurs sont multiples et, au fil des textes, changent de nature. Autant l’enseignant spécialisé (dans le cadre d’un PIS – avant 2005) et le médecin scolaire (dans le cadre d’un PAI – toujours en vigueur) sont des professionnels connus, autant l’enseignant référent (« plaque tournante » du PPS – depuis 2005), dont le métier est nouveau et en cours de construction, nécessite de voir clarifier ses missions auprès des orthophonistes afin que ces derniers, dans un travail de partenariat construit, puissent le reconnaître comme personne-ressource.

 

1.– Les missions de l’enseignant référent

La loi du 11 février 2005(6) est une loi de grande ampleur, dont les deux piliers sont l’accessibilité et la compensation, qui prend appui sur une définition environnementale du handicap(7), suite aux travaux initiés par Philip Wood, repris et complétés par l’OMS(8).

Lorsque le handicap est reconnu – dans le cas des TSL, lorsqu’il s’agit bien d’un trouble de nature structurelle, spécifique (c’est-à-dire sans que puissent être évoqués des troubles d’une autre nature) –, s’ouvre pour l’enfant ou l’adolescent le droit de bénéficier d’un parcours de formation adapté qui prend, sur la durée de la scolarisation obligatoire, la forme d’un projet personnalisé de scolarisation (PPS).

Ce projet a vocation à organiser la scolarité du jeune, en termes d’aménagement (de l’emploi du temps, par exemple), d’adaptation (des apprentissages et/ou des évaluations), d’accompagnement (par une auxiliaire de vie scolaire, par un service de soins sur le temps scolaire).

La « commande » de ce PPS émane de la MDPH(9), saisie par la famille, dont les décisions s’imposent à tous. Il fait partie d’un plan de compensation du handicap qui a pour vocation de rendre accessible au jeune l’ordinaire de la vie sociale, dont l’école. C’est l’enseignant référent, nouvelle fonction dans l’Éducation nationale créée par un décret d’application de la loi(10), qui assure le suivi du parcours de l’élève handicapé, et en favorise la continuité et la cohérence.

L’enseignant référent se positionne en interface entre la famille, l’école et les partenaires de soins. Il a pour mission de « mettre de l’huile dans les rouages », pour permettre de faire du parcours du jeune une lecture lisible et cohérente pour chacun. N’étant pas supérieur hiérarchique, il peut mettre ses compétences d’enseignant spécialisé au service du (des) collègue(s) qui accueille(nt) effectivement l’enfant ou l’adolescent dans sa (leur) classe. Ayant pour mission de réunir et d’animer l’équipe de suivi de la scolarité, il a à mettre en mots les propositions de l’équipe de soins afin d’aider la famille à une meilleure compréhension de la situation.


La départementalisation (MDPH) conduit à observer des situations très disparates d’un lieu à l’autre, parfois liées à un « management » politique marqué(11) et, de ce fait, soumis à un lobbying important. Dans certains départements, l’enseignant référent présente devant l’équipe pluridisciplinaire d’évaluation (EPE) de la MDPH le dossier de l’enfant, y mettant tout le poids de sa connaissance du dossier et de sa conviction propre. Dans d’autres, l’EPE statue uniquement sur dossier. Dans certains cas, les éléments pédagogiques du PPS sont réfléchis en amont et présentés à l’EPE pour validation afin qu’ils soient entérinés par la MDPH(12). Dans d’autres, c’est la MDPH qui fixe les objectifs à atteindre, qui s’imposent aux équipes pédagogiques au risque que cette injonction soit vécue comme une contrainte.

Comme tout système jeune, celui qui se construit invente des pratiques, elles-mêmes fortement liées aux personnes qui les réfléchissent, les pilotent(13) et les mettent en œuvre.

 

2.– Un partenariat à construire

Les associations de parents d’enfants atteints de troubles du langage se sont très largement mobilisées pour que leur spécificité soit reconnue et prise en charge. Les orthophonistes ont eu leur part dans cette mobilisation, parfois en opposition à l’école, ce qui a pu conduire à des incompréhensions, ou à mettre les familles en porte-à-faux entre l’école et la rééducation. La reconnaissance des dysphasies ou des formes graves de dyslexies comme des handicaps, tout en n’évitant pas une médicalisation parfois excessive, peut conduire chacun à retrouver une posture professionnelle, respectueuse de la spécificité de l’autre, et apaisée.

Le cadre de ce partenariat à construire est précisément celui de l’équipe de suivi de la scolarité, pilotée par l’enseignant référent et qui réunit, autour de la famille(14), les professionnels concernés. Sont abordés les domaines de réussite de l’enfant, les points qui font encore obstacle à des progrès plus substantiels, la manière dont les professionnels para-médicaux (orthophoniste, psychologue, psychomotricien, ergothérapeute, etc.) peuvent éclaire de leur point de vue tels ou tels éléments qui restent opaques aux professionnels de l’école, et réciproquement, tout en entendant le point de vue et les souhaits des familles. Exercice de haute voltige, qui doit beaucoup au professionnalisme de chacun, et à la connaissance que l’enseignant référent a de la situation. Autant dire que le suivi de plus de 150 situations met ce dernier en difficulté, ne lui laissant que peu de temps pour affiner cette connaissance...


Rien n’empêche, bien sûr, des contacts directs entre l’enseignante et l’orthophoniste, pour ajuster telle prise en charge au contenu de telle méthode de lecture, ou pour apporter un appui dans la maîtrise par l’enseignante des gestes Borel-Maisonny, par exemple. Mais le cadre général de la prise en compte du handicap est celui du PPS, dont le suivi et l’évaluation se fait dans l’ESS, à l’initiative, au moins annuelle, de l’enseignant référent.

Ce dernier devient ainsi une personne-ressource, que chacun identifie, auquel chacun peut s’adresser, qui triangule toutes les relations pour éviter qu’un face-à-face parfois conflictuel s’installe et qui permet, par cette triangulation, que chacun s’ouvre aux entrées spécifiques des autres partenaires.

Par sa connaissance des structures de soins du secteur, des modalités administratives d’orientation dans l’Éducation nationale ou vers un établissement, par son information cumulative sur les pathologies (sans se substituer aux soignants, mais avec une vue précise de leur incidence sur les apprentissages), l’enseignant référent devient ainsi la personne qui peut aider chacun à aider l’enfant ou l’adolescent handicapé. Ce rôle d’ « aide aux aidants » est capital, sans doute déterminant pour la réussite de la mise en œuvre de la loi de 2005.

 

L’enseignant référent est un personnel de l’Éducation nationale, missionné auprès de la MDPH pour assurer en retour des missions qui sont du ressort de cette dernière. Cette double « appartenance » lui assure une « indépendance » au service du projet du jeune, fait de lui le porte-parole des demandes des familles, parole qu’il contribue à éclairer(15), doit conduire à lui permettre d’être reconnu par les partenaires comme n’empiétant pas sur leurs spécificités mais aidant à mieux les faire partager.

Seule une approche systémique qui s’intéresse autant aux sommets des triangles relationnels qu’aux côtés assurant ces relations permet, me semble-t-il, une approche respectueuse de la place de chacun. Et vigilante quant à la qualité du parcours pensé pour et/ou avec l’enfant ou l’adolescent handicapé accompagné.

Ces lieux nouveaux de partage que sont les équipes de suivi de la scolarisation(16) sont faits pour échanger et pour construire, pour « entourer » des familles en souffrance, en leur rendant toutes leurs responsabilités, et en permettant au jeune de redevenir acteur de son projet, malgré ses échecs, ses incapacités ou ses difficultés. À chacun de s’en emparer pour qu’accessibilité et compensation ne soient pas de vains mots...

Pascal Ourghanlian
Janvier-Février 2008

 
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Notes

(1)  « Plan d’action pour les enfants atteints d’un trouble spécifique du langage oral ou écrit », encart du BO n° 6 du 7 février 2002.

(2) Pour la Sécurité Sociale, cette prise en compte est un peu plus précoce, puisque la dysphasie est spécifiquement listée comme « incapacité concernant la communication » ouvrant droit à l’octroi d’un transport pour se rendre sur le lieu de soin (JO n° 94 du 20 avril 2000, p . 6019).

(3) Éventuellement dans le cadre d’un centre de référence hospitalier.

(4) CLIS = classe d’intégration scolaire, en école élémentaire ; UPI = unité pédagogique d’intégration, en collège (ou en lycée). Dans certains départements, des CLIS et/ou des UPI TSL voient le jour, avec des enseignants spécialisés et, dans le meilleur des cas, des AVS. Dans d’autres, le choix est fait de former des enseignants spécialisés itinérants qui viennent en appui dans les écoles ou les établissements pour aider les enseignants des classes à réfléchir aux adaptations nécessaires à la prise en compte du trouble (supports de cours, évaluations, examens).

(5) Encart du BO n° 34 du 18 septembre 2003.

(6)  Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

(7)  Article 2 (art L. 114 du Code de l’action sociale et des familles) : « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ».

(8) Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF), 2001.

(9) Maison Départementale des Personnes Handicapés.

(10)  Décret n° 2005-1752 du 30 décembre 2005 relatif au parcours de formation des élèves présentant un handicap. L’enseignant référent est un enseignant spécialisé, recruté après entretien spécifique, positionné sur un secteur géographique sur lequel il assure le suivi des parcours scolaires de la maternelle au lycée, que ces parcours s’effectuent en établissement ordinaire ou spécialisé.

(11) La MDPH est une instance du Conseil général.

(12) En fait, par la commission des droits et de l’autonomie (CDA), le « bras armé » de la MDPH, le lieu paritaire où se prennent les décisions.

(13) Dans certains départements, le pilotage du pôle enfant de la MDPH est confié, légitimité historique oblige, à l’Éducation nationale. Dans d’autres, le Conseil général fait valoir la totalité de ses prérogatives.

(14) Il n’y a pas d’ESS sans les parents, qui n’ont pas vocation à rester dans le couloir derrière la porte alors qu’on parle de leur enfant. En quelque sorte, c’est leur « force de convocation » à eux qui réunit l’équipe.

(15) Dans le sens du « consentement libre et éclairé », libre parce qu’éclairé...

(16) Qui peuvent ressembler fort aux équipes éducatives de naguère (qui existent toujours, à l’initiative, celles-ci du directeur ou du chef d’établissement, pour faire le point d’une situation particulière), à ceci près qu’elles sont désormais prises en charge par des professionnels spécifiques, dont c’est (dont ça devient...) le métier, et qui développent des compétences particulières dans ce domaine douloureux du handicap.

 
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Dernière révision : samedi 25 janvier 2014 – 17:20:00
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