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Quand le handicap exacerbe les relations école/familles-parents

 

 
Un texte de Pascal Ourghanlian


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Dans le cadre de mes missions d’enseignant référent, on me demande (parfois/souvent) d’« aborder le problème des relations avec les familles ».


Je souhaiterais revenir, en quelques lignes, sur la formulation de cette demande. « Aborder le problème des relations avec les familles », c’est donc qu’il y aurait un problème. Ou, en amont encore, que des relations existe­raient (ça, c’est l’implicite de la formulation de la demande), ou devraient exister (là, on est déjà dans l’implicite de l’implicite), et que ces relations poseraient problème. À qui ? Pourquoi ? Comment ? Voici au moins trois interrogations, légitimes me semble-t-il, qui découlent du questionnement de cette demande.


La prise en compte des élèves ayant des besoins éducatifs particuliers, récente puisqu’elle remonte, au mieux, à la loi d’orientation de 1989, même si elle a été amenée par la loi sur le handicap de 1975 et les décrets qui ont suivi, a conduit à la mise en avant de ce que j’appellerais avec Bernard Jolivet des « mots-mode »(1), ceux de partenaire et de partenariat. Utilisés avec insistance dans les textes réglementaires récents, ils s’imposent comme une évidence. Comme s’impose l’évidence de l’égalité qui en découle entre les « parte­naires » que seraient les parents (ou la famille, j’y reviens), les services de soins et les enseignants (ou l’école, j’y reviens aussi). Pour ne prendre que la récente loi 2005-102 du 11 février 2005, et sans entrer dans une analyse lexicologique exhaustive, qui a été faite, et qui a son intérêt, on ne relève pas moins de 21 occurrences du terme « parent(s) » et 28 occurrences du terme « famille(s) ».


Alors « parents » ou « famille » ?

Sous la IIIe République, l’école sort l’enfant de sa famille pour qu’il devienne, auprès de celle-ci, « le petit missionnaire des idées modernes »(2). Il est seulement demandé aux familles de s’effacer devant le Savoir et de laisser ceux qui le dispensent, les enseignants, s’occuper de leurs enfants.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’institution scolaire parle, plus volontiers, des parents, donnant à ceux-ci l’opportunité de se regrouper en associations, réputées représentatives, et désormais interlocutrices privilé­giées de l’école. Au couple famille/enseignants se substitue donc le couple parents/école. Au passage, remarquons le chiasme parfait que forment ces deux couples : une institution (la famille/l’école) est associée à un ensemble de personnes (les enseignants/les parents) – manifestant ainsi une dissymétrie, voire une hiérarchisation des rapports, fondatrice des rapports qu’entretiennent les uns et les autres. À la dissolution sociale de l’une (la famille) répond l’illusion d’une appartenance commune (les parents d’élèves) ; à la remise en cause de l’une (l’école) répond la responsabilisation de ceux qui la font (les enseignants).

Les bientôt 20 dernières années nous ont fait assister à un retour en force des familles. Sauf que désormais le terme « parents » est maintenu, comme en concurrence. Il est utilisé pour parler des « classes moyennes ou supérieures », celles qui sont en phase avec le discours de l’école, alors que celui de « famille » est réservé aux « classes défavorisées », celles dont la connivence avec l’école est moindre(3). Tout se passe comme si on demandait aux familles de livrer à l’école un enfant scolarisable pendant que les parents, bien au fait des enjeux scolaires, entrent dans d’autres formes de collaboration.


Cette approche sociologique rapide permet de mieux comprendre, me semble-t-il, les quatre attitudes les plus fréquentes que l’on peut observer chez les parents d’élèves :


Toutes ces attitudes, à un niveau ou à un autre, quels que soient les acteurs en cause, reposent sur un certain nombre de résistances :


L’annonce du handicap, comme exacerbation de cette problématique


Le handicap, et son annonce, perturbe la relation « naturelle » fantas­mée des parents à leur enfant. De l’enfant conçu pour tout un tas de raisons explicites ou non, mais qui est le plus souvent l’enfant du couple, on passe à l’enfant « partagé » avec les équipes soignantes, voire « phagocyté » par ces dernières, on en est comme dépossédé. Car si l’envol de l’enfant vers l’âge adulte est l’horizon de tous les parents, ce chemin est ponctué d’étapes et se déroule dans un temps long. Alors que, avec l’annonce du handicap, la séparation est imposée, souvent brutale, au moins dans un premier temps lors que le diagnostic vital est en jeu. Les parents sont privés de la relation privilégiée qu’ils s’attendaient à avoir avec leur enfant, le temps s’accélère, les étapes sont squeezées.

Or, les premiers temps d’urgence passés, ces étapes auront à redevenir communes, l’enfant handicapé n’en sera pas moins adolescent, puis jeune adulte. Il découvrira la sexualité, voudra s’autonomiser, se séparer.

Tout alors se mêle, s’emmêle ou s’en mêle : l’école réclame son dû, les soins rappellent leur expertise, cependant que les parents, « la tête dans le guidon », ne peuvent pas mettre à distance les questions qui se posent, l’inquiétude sous-jacente, le désir de réussir l’éducation de leur enfant, l’envie de faire une pause, de respirer, etc.


Les typologies esquissées plus haut prennent alors une force décuplée, de l’abandon le plus complet des questions d’école aux seuls professionnels, à une intrusion incontrôlée qui fait du parent l’expert de la scolarité de l’enfant handicapé.

Le handicap, comme exacerbation de relations souvent mal posées, à défaut d’être mal définies, où l’enjeu (la scolarisation de l’enfant handicapé) souligne les disfonctionnements, les non-dits, les incompréhensions liés à la présence des parents, des familles à/dans l’École.

Pascal Ourghanlian
Mars 2009

 
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Notes

(1) Cité dans Bonjour P. et Lapeyre M., L’intégration scolaire des enfants à besoins spécifiques. Des intentions aux actes, Érès, 2000, p. 147.

(2) Prost A., L’enseignement en France, 1800-1967, A. Colin, 1968, p. 386.

(3) Voir, par exemple, les travaux du groupe Escol.

 
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