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Badaboum ?
(Épiques équipes, écoles et drames...)


Ou
Les questions posées par la scolarisation des élèves handicapés après la Loi de 2005

 

 
Un texte de Jacky Poulain
(enseignant spécialisé, rééducateur en RASED)


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Pris ici ou là professionnellement dans la réflexion et le questionnement autour de l’accueil et la scolarisation des enfants porteurs de handicap, et ce depuis quelque temps, il me semble que le jeu du « badaboum » est une assez bonne métaphore de ce qui se passe avec la mise en application de la Loi de 2005 à l’école :

Chaque fois qu’un enfant handicapé va être accueilli à l’école, il va s’agir d’élaborer, construire, penser un projet équilibré entre toutes les parties concernées, un projet pour l’enfant et non pas sur lui : l’empilage dans l’urgence, souvent, des diverses procédures prévues ou des morceaux de projet respectif apportés/imposés par les uns ou les autres ne peut conduire, à terme, qu’à l’écroulement du dispositif.

Tout le monde connaît le jeu de « Badaboum » : il s’agit d’empiler chacun son tour de petites pièces de bois de formes très différentes et de monter ainsi une sorte de tour.

Le premier ou la première qui fait s’effondrer l’édifice a perdu : « Badaboum » !!!

Diverses stratégies ou tactiques sont possiblement développées par les partici­pant(e)s à ce jeu :

Des alliances permettent de monter très haut ; la connivence entre les uns et les autres, le partage du même souci de garder l’équilibre d’un édifice devenu du coup commun, collectif, permet de faire tenir debout tout projet, et en particulier celui de l’accueil et de la scolarisation d’un enfant handicapé. L’anticipation concertée, la prévision des réajustements nécessaires partici­pent positivement du projet mis en œuvre.

Des pièges sont possibles : quelle que soit l’adresse, l’habileté déployée par celui-ci ou celle-là, l’équilibre est impossible à trouver, l’échec prévisible, vraiment pré-visible : on le voit bien, « ça » ne se peut pas, « ça » ne tiendra pas, on court à l’effondrement à court ou moyen terme.

On notera que le « piégeage » n’est pas toujours délibéré :

Les alliances, la connivence, l’accord préalable autour d’un projet (tout faire pour que « ça » tienne et monte le plus haut, le plus longtemps possible) ne suffisent évidem­ment pas toujours : la forme des pièces, leur ordonnan­cement déterminent parfois l’impossibilité de poursuivre, malgré la bonne volonté commune.

Bref : « construire », c’est difficile ; « construire ensemble » tient de la gageure, bien souvent, mais permet du « plus » ou du « mieux ».

 

L’idée me trotte dans la tête que le problème, la difficulté première réside d’abord dans le fait que l’intérêt de ces enfants n’est pas exacte­ment superposable, loin s’en faut parfois, à l’attente et au désir des parents : d’où, souvent, un premier déséqui­libre dans la construc­tion d’un projet d’accueil et de scolarisation d’enfant handicapé :

Inconsciemment ou non, bon nombre de parents sont dans le forcing, le « for­çage » intégratif :

L’école se trouve alors confrontée à une logique de « toujours plus » : plus de présence à l’école, plus d’AVS (ou d’EVS, pourvu qu’il y ait une personne !), plus d’heures attribuées par la MDPH, etc... : cette logique-là a un coût, et l’enfant concerné est souvent le premier à payer une volonté – toujours compréhensible, nous sommes d’accord –, un désir envahissant de « normalisation » de la part de parents en souffrance qui, s’engouffrant dans l’ouverture provoquée par la Loi, sont très tentés par l’annulation magique d’une réalité difficilement supportable, difficilement suppor­tée : le handicap de leur enfant.

Nous avons, de ce point de vue, dès à présent, suffisamment de recul pour regretter, voire dénoncer un pourcentage non négligeable de situations inacceptables si nous ne perdons pas de vue ce repère essentiel : l’intérêt de l’enfant handicapé scolarisé.

Cependant, pour filer la métaphore, les pièces sur la table sont nombreu­ses et diverses :

L’enfant, ses parents en sont les premières.

L’Éducation Nationale, l’école, les enseignant(e)s en seraient les suivan­tes. Les institutions et services de soin, public et/ou privé sont aussi en jeu.

C’est peu dire qu’entre pulsions caritatives, volonté de « forçage inclusif », conflits de pouvoirs et de savoirs, gestion technocratique des dossiers, réticences dites ou non-dites des uns ou des autres, les obstacles potentiels sont nombreux, les occasions d’éprouver la solidité de ce qui se construit sont bien réelles...

Les divergences de point de vue, les prises de pouvoir, le privilège de tel ou tel aspect (éducatif, médical, socialisant, comportemental, scolaire, théra­peutique, etc.) compliquent la recherche d’un équilibre pourtant nécessaire à la constitution d’un projet cohérent dont on oublie parfois que le principal concerné, c’est quand même d’abord et avant tout l’enfant. Et quand on oublie cet aspect essentiel, il est à prévoir beaucoup de souffrance et de difficulté dans les diverses réunions instituées :

« Épiques équipes, écoles et drames ! » : il y a de la maltraitance dans l’air... et l’enfant y est le premier exposé.

Les tiraillements, les conflits latents ou avérés, les désaccords exprimés ou non, les contraintes plus ou moins acceptées illustrent parfaitement cette idée toute simple : Entre acteurs de diverses institutions, là non plus, les attentes, les désirs, les intérêts ne sont pas directement superpo­sables avec ceux de l’enfant.

Ces chevauchements précaires, ces équilibres instables sont repérables entre institutions, mais aussi, bien sûr, entre acteurs de ces institutions (en­seignants, « accompagnants » – EVS, AVS – soignants, administratifs, etc...) : une sorte d’homéo­stasie – au sens premier du terme – est alors de mise afin que se vive dans une satisfaction partagée une scolarisation négociée en milieu ordinaire.

Corrections, réajustements, repositionnements – « ça y est, on peut lever le nez, « ça » tient ! » – supposent cependant souplesse et mobilité dans la gestion des dispositifs en vigueur actuellement. Cela suppose évidemment aussi une permanence – au minimum – dans l’offre des solutions possibles dans et autour de l’école (structures et personnels spécialisés de l’Éducation Nationale, de la Santé, du Médico-social, par exemple...).

Deux constantes reviennent dans les analyses un peu sérieuses – d’où qu’elles viennent – deux ans après la promulgation de la Loi de 2005. Elles concernent deux fonctions-clé en lien direct avec la scolarisation des enfants handicapés, à savoir le ou la référent(e) scolaire et l’accompagnant(e) de l’enfant à l’école, l’auxiliaire de vie scolaire (AVS) sans lesquelles l’accueil et la scolarisation des enfants handicapés est impensable, sauf à accepter l’inacceptable, « n’importe quoi, pourvu qu’on intègre ».

Toutes deux ont en charge un travail d’inter-face, un rôle de médiation déterminants pour la réussite de ce type de projet. Je ne développe pas ici ce qui doit ou devrait relever de l’évidence. Elles participent et rendent compte du suivi de « l’équilibrage » du dispositif de scolarisation de ces enfants dont elles ont la charge directe (l’AVS) ou indirecte (le ou la référente scolaire).

D’une part, une véritable professionnalisation de la fonction d’AVS est indispen­sable à une mise en œuvre satisfaisante de la Loi de 2005 (niveau de recrutement, formation initiale et continue, statut, salaire, etc...).

D’autre part, le métier de référent scolaire doit être (re)défini et clarifié dans ses missions, plus clairement positionné dans le dispositif ASH. Il suppose(rait) une véritable formation initiale, un niveau de qualification à la hauteur des exigences, etc...

(Je n’évoque pas plus les EVS : ces emplois-kleenex sont une honte pour tous ; ils présentent peut-être au moins un intérêt : celui de symboliser l’inconscience et/ou l’irrespect de nos décideurs politiques d’abord envers les personnes embauchées sur ce type de poste précaire, sous-payé, ensuite envers les enfants et leurs familles : ainsi donc, les un(e)s et les autres ne mériteraient pas plus de considération ?).

 

Bien entendu, il s’agit d’abord de ne pas avoir de mauvaise surprise à l’ouverture de la « boîte de jeu ». Bien trop souvent, des pièces sont man­quantes, absentes : je parle là des moyens et déjà, tout ou presque a été justement dit et redit de sources diverses : associations, syndicats, profes­sionnels de la Santé ou de l’Education Nationale, honorables rapporteurs de commissions officielles (M. Gohet, M. Blanc) : il y a tricherie, tromperie, et l’on peut comprendre du coup la colère, le ressentiment des acteurs concer­nés (familles, écoles, institutions, etc.. ) : dans ces conditions, ce n’est pas jouable, tout simplement !

(Je travaille pour ma part dans un RASED, et, dans notre circonscription, pour la 2e année consécutive, il n’y pas de psychologue scolaire et il n’y a plus de médecin de PMI disponible depuis cette rentrée : des postes sont vacants, non pourvus : faut-il rappeler ici le recours aussi précieux qu’indispensable qu’ils représentent, entre autres, sur cette seule question : l’accueil et la sco­larisation d’enfants handicapés ?)

Sinon ?

Sinon, la Loi étant dite, à moins de choisir délibérément une position « hors-la-loi », il s’agira de la « prendre au mot », à savoir entre autres main­tenir un haut niveau d’exigences quant aux moyens nécessaires, une vigilance redoublée quant à d’éventuels effets pervers secondaires à son application : on pense ici aux inquiétudes internes à l’Education Nationale ou au secteur médico-social exprimées par exemple dans une récente « lettre ouverte au président de la république » et/ou par diverses pétitions (asso­ciations de parents et/ou de professionnels).

Jacky Poulain
Sallanches (74), le 11 novembre 2007


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