Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
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Les RASED, encore, toujours... ?
« REFLECHIR... » (« Dis-moi, ô mon miroir »...)

 

 
Un texte de Jacky Poulain
ex enseignant spécialisé, ex rééducateur en RASED


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...parce qu’il est toujours bon de reprendre les fils de l’histoire, toujours...
Daniel Calin

 

Voilà maintenant une petite dizaine d’années (2003-2004), la « commission Thélot » avait mené sur le terrain une large consultation sur l’École ayant fait l’objet par la suite d’une publication, « Le miroir du débat » (Pour la réussite de tous les élèves : Rapport de la Commission du débat national sur l’avenir de l’Ecole présidée par Claude Thélot).

À ma connaissance, c’est la seule consultation d’envergure permettant de dégager des lignes de force à partir de l’opinion exprimée par les usagers et les professionnels de l’Ecole, ce qui n’était quand même pas rien !

Les chapitres consacrés à la perception sur le terrain du travail des RASED, de la pertinence des aides spécialisées en milieu scolaire, étaient assez éloquents dans leur synthèse.
À l’époque, un rapide travail d’analyse avaient permis de faire émerger quelques points forts, qu’il n’est peut-être pas inutile de rapporter ici, sachant que ce « miroir du débat » renvoyait à des milliers de débats organisés dans les établissements scolaires du premier et deuxième degré partout en France.

 

Les voici, rapidement rappelés :

– p. 41 : (...) À condition d’en améliorer la mise en œuvre et la gestion, on plébiscitait le principe de l’hétérogénéité et l’organisation des RASED »(1) ;

– p. 45 : « La plupart des débats d’école, voire de collège, ont évoqué les RASED : « Redonner au RASED son importance et lui donner les moyens de fonctionner efficacement pour permettre de détecter et de traiter rapidement les difficultés » ;

– p. 128 : « On exprimait aussi l’idée que « la pédagogie seule est une réponse inadaptée pour les grandes difficultés. (...) On remarque que rien au collège ne vient prolonger vraiment le travail des RASED. Il faudrait sans doute quelque chose de ce type, peut-être en dépassant le cadre de l’Éducation Nationale. Dans le premier degré, la demande est générale pour voir les RASED mieux dotés. » ;

– p. 168 : « Un effort particulier est souhaité pour le développement des RASED et l’affectation de moyens supplémentaires dans les petites classes (CP). » ;

– p. 191 : « La question de la scolarisation des élèves en difficulté est souvent placée au cœur des débats et les solutions sont fréquemment recherchées hors de la classe, avec des partenaires qui apportent des aides trouvées dans la périphérie du pédagogique, voire dans le domaine médical. (...) Face à l’hétérogénéité des classes, au grand nombre d’élèves en difficulté, au souhait de toujours mieux intégrer les handicapés, l’expression est unanime sur l’insuffisance des RASED. Ces derniers sont rarement contestés dans leur principe. Au contraire, les RASED du 1er degré devraient être développés dans le 2ème degré. » ;

– D’autres échos positifs, p. 287, 319, 349 : « Il est indispensable de prévoir des parcours adaptés avec des RASED plus nombreux, des moyens pour des parcours et des aides diversifiées », « donner des moyens pour aider le plus tôt possible au repérage et à la prise en charge des enfants en difficulté » ;

– Et encore, p. 407 : « Les (ré)éducateurs spécialisés sont en sous-effectifs et font du soutien avec les enfants du cycle 2 (Grande Section de maternelle, CP, CE1) en priorité, au détriment du cycle 1 (maternelle). En milieu scolaire, le rôle des RASED est fondamental. Mais son action est d’autant moins efficace que son terrain d’action augmente d’année en année. »

(...) « À l’école, des projets d’aide personnalisée aux enfants permettent une prise en charge par plusieurs partenaires : (ré)éducateur, psychologue, enseignants, qui se réunissent plusieurs fois par an. »

(...) « Pour régler la difficulté de leurs élèves, les enseignants se sentent un peu seuls face au manque de médecins et d’infirmières scolaires, de (ré)éducateurs, de psychologues scolaires, d’assistantes sociales qui travaillent sur des secteurs beaucoup trop vastes. » ;

– Enfin, p. 408, dans le « verbatim » : « La motivation de l’élève dépend de son bien-être dans les apprentissages qu’il aborde (...) grâce à l’intervention d’un RASED pluridisciplinaire, des classes moins chargées, un redoublement adapté, une meilleure implication des parents (...) et un accompagnement psychologique adapté à la famille. »

 

Côté critiques, plutôt rares dans cette « grande consultation nationale » :

– p. 128 : « On relève toutefois que remédier à la grande difficulté au moyen de structures type RASED ne fait pas l’unanimité dans la mesure où l’élève est sorti régulièrement de la classe et risque d’accumuler les lacunes. »

– p. 192 : « Si les RASED sont souvent présentés comme un recours possible, leur intervention est jugée trop tardive ou inadaptée. On considère qu’ils doivent apporter une aide autant aux élèves qu’aux enseignants. »

 

(L’im)Posture d’un Thélot, déjà...

Voilà fidèlement reprises, les allusions aux RASED dans le « miroir du débat », cher à M. Thélot. On ne sait trop du coup par quel tour de passe-passe celui-ci pouvait proposer, en conclusion, « à l’horizon des 15 ans », la suppression de ces dispositifs d’aide, sans autre forme de procès.
Y a-t-il eu méprise, méconnaissance profonde de ces dispositifs pourtant reconnus ? Existait-il une critique radicale et unanime de la part des usagers et des professionnels de l’école ? Les extraits donnés plus haut démontraient exactement le contraire !

Pour rappel, les enseignants spécialisés des RASED proposent – à ce jour encore – des aides spécifiques dans cet entre-deux qui sépare le monde du « tout pédagogique » et celui du « tout thérapeutique » : l’enseignant le mieux formé du monde n’est pas tout-puissant dans sa classe, et, pour autant, toute difficulté n’est pas pathologique et ne relève pas du soin ou de la thérapie.
Au-delà du travail d’aide proprement dit mis en place avec les enfants, toujours avec leur accord et celui de la famille, le RASED occupe une place institutionnelle essentielle dans l’articulation entre l’école et les différents services extérieurs à l’école : Services sociaux, PMI, Santé Scolaire, CMP (Centre Médico-Psychologique) ou CAMSP (Centre d’Action Médico-Sociale Précoce), orthophonistes, etc.) : il constitue une sorte d’inter-face déterminante dans l’échange et le dialogue nécessaires entre différentes institutions.

Les RASED sont donc plus que menacés de disparition : entre la reconnaissance explicite par le terrain de leur utilité telle qu’elle s’exprimait dans le « miroir des débats » et l’impasse totale à leur sujet, voire la proposition implicite de leur suppression dans ce qui était devenu le « rapport Thélot », force est de constater que la langue de bois aura fonctionné, pratiquée sans vergogne par les ministres successifs (avec mention spéciale pour Darcos et l’ineffable Chatel ; celui-ci, interpellé régulièrement à l’Assemblée Nationale ou au Sénat réussit à chaque fois à répondre... à côté, en vendant/vantant « l’aide personnalisée », sans jamais citer les RASED ou les enseignants spécialisés !). Proposer comme alternative de former les enseignants à l’« accueil de l’hétérogénéité des élèves », sans recours interne dans l’école ou le collège, revient à charger un peu plus encore une barque qui prend déjà l’eau ; les effets en seront forcément négatifs pour les enseignants, les enfants et leurs familles.
De plus, une telle mesure sera socialement discriminatoire : les structures d’aide psychologique comme les CMP ou les CAMSP sont saturées : 3 ou 4 mois de délai pour un premier rendez-vous, des dizaines d’enfants en liste d’attente. Seules les familles socialement aisées pourront « consulter » dans le privé (non conventionné, non remboursé...). La fracture sociale a donc, du côté de l’école aussi, de beaux jours devant elle...

Sur le secteur où je travaillais à l’époque, un nouvel inspecteur arrive un beau (?) jour ; s’étonne qu’on ne travaille pas – déjà ! – dans les classes... Et puisqu’il existe ici un RASED, il veut « de la plus-value » ! Propos de boursicoteur ? Signe des temps, libéralisme ambiant, les Jean-Pierre Gaillard de l’éducation nous arrivent, souvent atteints de « pédagogite » aigüe, sourds au malaise de l’école ; veulent plus de rendement, à moyens constants, menacent de délocalisation...

 

L’argumentaire critique pour discréditer le bien-fondé du travail des enseignants spécialisés des RASED est bien connu, depuis quelques rapports d’inspecteurs généraux aussi partiels que partiaux, et paraît bien dérisoire pour qui prend la peine de s’informer objectivement.
En résumé, il n’y aurait que des effets négatifs à travailler de manière spécifique ailleurs que dans la classe :

– l’enfant, l’élève se trouve « étiqueté », « stigmatisé » ;

– la sortie de la classe serait souvent mal vécue par l’enfant ;

– il serait pénalisé en manquant telle ou telle séquence pédagogique ;

– un étayage de type « aide personnalisée » serait tout aussi bénéfique qu’une séance dans une salle spécifique ;

– le contenu des séances gagnerait à être en relation quasi directe avec le travail en cours en classe.

 

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler ici ces quelques évidences :

– C’est justement parce que l’enfant-élève connaît déjà – ou risque – l’étiquetage et la stigmatisation (à cause d’un échec scolaire s’installant, ou d’importantes difficultés d’adaptation ou de comportement) qu’il peut être judicieux d’avoir recours à une aide spécifique dans l’école, là où les RASED existent ;

– La sortie de la classe n’est quasiment jamais mal vécue(2) : les enseignants spécialisés, les rééducateurs, très sensibilisés à cette question, s’assurent que cette difficulté n’existe pas avec l’enfant, l’enseignant(e), les parents ; ils vont même, en cas de doute, différer éventuellement la mise en place d’une aide dans l’école ou proposer, en équipe, une aide extérieure à l’école, quand cela est possible ;

– La durée moyenne de travail avec un enfant est d’une séance hebdomadaire d’environ 45mn, pour 24h de présence à l’école : est-il vraiment sérieux d’avancer ce type d’argument ? Fait-on si peu confiance aux enseignant(e)s pour pallier ce supposé préjudice ? Le bien-fondé de l’engagement d’une aide spécifique ne justifie-t-il pas à lui seul ce temps dégagé et consacré à tenter de dépasser des difficultés empoisonnant le quotidien scolaire de ces élèves ?

– La présence d’un adulte en surnombre dans la classe peut évidemment se révéler bénéfique dans un certain nombre de situations, là où la pédagogie se suffit à elle-même, quelle que soit la manière de la décliner (différenciation, tutorat, individualisation, petits groupes, etc.) ; alors une ATSEM (en maternelle), un(e) assistant(e) d’éducation, un(e) auxiliaire de vie scolaire (AVS), un titulaire-remplaçant non affecté, etc. seront les bienvenu(e)s et amélioreront l’efficience pédagogique. Mais la plupart du temps, cette « réponse pédagogique » est totalement inappropriée pour ce qui concerne les difficultés des enfants « adressés » au RASED ! (Pour autant, quand ils le jugent judicieux, en particulier dans le cadre d’un travail de prévention à l’école maternelle, les rééducateurs/trices ont recours à cette forme d’intervention depuis belle lurette.)

 

Pour ce qui est de la mise en œuvre des aides spécialisées à dominante rééducative, de par leur formation et leur expérience, dans le respect des textes en vigueur, les rééducateurs/trices sont dans une toute autre démarche, repérée institu­tionnellement, consistant – en bref – à proposer un temps et un espace particulier, où, à l’aide de différentes médiations, l’enfant-élève pourra re-prendre, re-nouer avec les apprentissages scolaires. C’est justement cette prise de distance d’avec une réalité trop prégnante qui permettra des réaménagements dans la manière d’être enfant-élève. C’est aussi pourquoi le contenu de ces séances n’a pas à avoir de liens pédagogiques directs avec ce qui se passe en classe, sauf à devenir de la répétition, du tutorat amélioré, voire parfois même une sorte d’« acharnement pédagogique ».

Les aides spécialisées, en particulier l’aide « à dominante rééducative », ne sont pas à mettre au même plan qu’un soutien ordinaire, aussi utile et efficient puisse-t-il se révéler dans bon nombre de cas.

Elles s’inscrivent dans une stratégie de détour et non de compensation. Elles sont engagées après mûre réflexion en accord avec l’équipe enseignante, les parents et l’élève concerné ; elles ne se substituent pas au travail dans la classe qui demeure de la responsabilité de l’enseignant(e).

Elles sont proposées dès lors que les efforts particuliers consentis par l’enseignant(e) auprès d’un élève en difficulté s’avèrent vains.

 

Pour l’heure, condamner de fait ces aides spécifiques dans l’école et à terme les dissoudre relève moins d’une réelle politique éducative que d’une volonté affichée par ailleurs de « récupérer » un maximum de postes d’enseignants.
(Reconnaissons au moins ici la constance des ministres successifs dans leur mépris et leur déni du travail des RASED !)

L’imposture d’un Thélot aura consisté à duper grand nombre d’usagers et de professionnels de l’école publique en laissant entendre que leur parole serait entendue : le « miroir du débat », sensé alimenter son rapport, aura fort ressemblé, pour ce qui concerne l’approche de la difficulté scolaire et le travail reconnu des RASED, à un miroir aux alouettes !...

Comment qualifier la démarche du ministre actuel, expurgeant de ses discours même la moindre allusion aux RASED ?

Jacky Poulain
Mars 2012

 
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(1) C’est moi qui souligne. Idem pour tous les passages en gras qui suivent.

(2) À des années-lumière d’une allusion « finaude » (?) du bon M. Thélot, en conférence à l’époque à Rennes : « En somme, vous venez prélever des élèves dans leur classe » : l’avait tout compris, M. Thélot...

 
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Dernière révision : samedi 01 mars 2014 – 18:50:00
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