Peau de chagrin...
Ou
Menaces sur l’avenir de la rééducation
Un texte de Jacky Poulain
Rééducateur, AREN74
L’un (m’) écrit : « Je crois en effet que nous avons vécu sur le plan professionnel une aventure qui arrive à son terme. L’illusion qui se révèle est que ce que nous avons construit puisse servir à ceux qui nous succèdent : il faut qu’ils fassent leur propre expérience comme nous avons fait la nôtre.
Ce qui m’agace le plus dans la période intermédiaire
où nous sommes, c’est que les médiocres se
réveillent et se glissent dans les interstices d’un
pouvoir qui flageole. Certes, on est assuré que les lendemains
déchanteront pour eux aussi, mais en attendant, ils ont un
pouvoir certain de nuisance. Je le vois chez ces collègues
“dormants” (comme on dit des réseaux “dormants”)
qui se réveillent et peuvent enfin mettre en œuvre leurs
petitesses carriéristes et leurs certitudes
comportementalo-neuro-scientifiques. »
L’autre, comme en écho : « ... mais enfin, il faut admettre
que depuis environ 5 ans, le ministère formate différemment
les inspecteurs qu’il met sur le circuit, pour en faire des
contrôleurs et des évaluateurs du système et les
exécuteurs, bon gré mal gré, des réformes,
plutôt que les hommes de terrain, les médiateurs et les
formateurs qu’ils devraient être. Il ne faut pas être
extralucide pour comprendre cette évolution à laquelle
il nous est fermement recommandé de nous conformer.
Personnellement, cela m’incite à la ruade et à la
fugue : c’est sans doute ainsi que s’appellera ma
retraite »...
À partir de quoi, tout n’est peut-être pas dit : mais quand on met en regard ces deux témoignages, quand s’expriment ainsi un ex-responsable de Centre de Formation AIS d’une part, et un IEN de circonscription d’autre part, on bénéficie alors d’un éclairage singulier sur l’arrière-plan idéologique des transformations en cours à l’école. Les prises de position publiques restent rares, si l’on pense à la hauteur des enjeux. Pour un coup de gueule salutaire d’un Philippe Cormier (cf. sa lettre ouverte), que de silences assourdissants. Sur le forum aren/Fnaren, des témoignages de lassitude, de découragement, de colère aussi ; des appels isolés à la “résistance” pour préserver, sauvegarder les aides spécialisées proposées par les RASED, là où ils existent, là où ils sont encore complets. Quand nous faisons “institution” connue, reconnue, nous pouvons encore argumenter, tenir des positions fermes, etc... Mais quid des collègues isolés, quid des nouveaux rééducateurs/trices récemment nommés, sortis d’une formation souvent reniée par les IA ou les EN ? Comment vivre, assumer professionnellement des contradictions insolubles, intenables, entre ce pour quoi on a été formé et l’attente – voire l’exigence – des IA/IEN en charge du “pilotage” des “pôles AIS”, comme on dit joliment maintenant ?
Sur ce même forum, le sentiment désagréable, assez souvent, d’une déconnection d’avec une réalité chaque jour plus prégnante : comme si l’aide rééducative ne se vidait pas peu à peu de sa substance, minée par une administration (IA, IEN) ne prenant souvent même plus de gants pour la disqualifier et lui dénier une place dans l’école. Mais après tout, faire “comme si” reste peut-être pour bon nombre d’entre nous le moins mauvais moyen de faire avec une réalité professionnelle bien difficile... ?
On me dira sans doute que les situations sont différentes d’une région à l’autre, qu’il est peut-être excessif de généraliser, que des temps meilleurs restent possibles... Peut-être.
Il n’empêche que, coincé entre la “pédagogite aiguë” qui s’est emparée de nos décideurs, le lobbying intensif des neuro-psycho-comportementalo-cognitivistes et la mise en application de la Loi sur le handicap, l’espace nécessaire aux aides spécifiques dans l’école et à l’aide rééducative en particulier se trouve clairement menacé : peau de chagrin ?
Les RASED font, bon gré mal gré, partie du paysage scolaire français : l’une des bonnes surprises du « Miroir du Débat » (initié par Thélot) fut l’indice de satisfaction (globalement plus que positif) à leur sujet. À ce jour, ils incarnent – à travers les trois fonctions représentées, psy, E, G – les réponses possibles, dans le cadre scolaire, aux difficultés de tous ces élèves qui ont besoin “d’autre chose” et non pas de “plus de la même chose”.
L’acharnement pédagogique” est un risque réel ; la fièvre évaluative qui saisit le ministère n’en est sans doute qu’un symptôme annonciateur. Le désarroi est sensible dans les écoles, RASED y compris. Saurons-nous nous faire entendre ? En est-il encore temps ? Comment dépasser ce sentiment d’impuissance ? Serons-nous “résilients” ?
Jacky Poulain
Décembre 2005-Janvier 2006
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