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Quelques remarques sur la loi Peillon

 

 
Un texte de Daniel Calin


Publication initiale  Ce texte a été initialement publié dans la revue de la FNAREN, Envie d’école, Refondation de l’école : place de la difficulté scolaire, n° 76, septembre/octobre 2013, pages 15 à 17.

 

Avant de m’intéresser directement à la loi Peillon, dite « d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République », il m’a semblé nécessaire de préciser le statut exact de sa très longue « annexe ». Cette annexe reprend le rapport du comité de pilotage de la concertation sur la refondation de l’Ecole de la République, rédigé sous la direction de la sociologue Nathalie Mons. L’article premier de la loi stipule que ce rapport « annexé à la présente loi, est approuvé ». Cette formulation trompeuse peut laisser supposer que ce rapport acquiert, de par cet article, un statut législatif. Or il n’en est rien. Cette prétendue « approbation » d’un rapport par une loi, totalement inédite, est strictement dénuée de sens. Elle n’accorde aucune validité législative au rapport ainsi présenté comme « approuvé ». C’est, au choix, une vague politesse faite aux nombreuses personnes qui se sont impliquées dans le processus de concertation, ou un tour de bonneteau par lequel le pouvoir congédie les acteurs de la concertation. En réalité, les choses sérieuses commencent à l’article 2 : « approuvé » ou non, tout ce qui est contenu dans ce rapport et qui n’est pas repris explicitement dans l’un ou l’autre des articles de la loi est nul et non avenu. Comme toujours, le processus de concertation n’a guère servi qu’à amuser la galerie pendant que les politiques et leurs services préparaient les vraies décisions, ce qui est d’ailleurs parfaitement normal du point de vue de la démocratie représentative.

Cela n’est pas sans conséquence en ce qui concerne les RASED, puisqu’ils n’apparaissent explicitement que dans ce rapport. Il est important de garder à l’esprit que la loi Peillon, dans aucun des articles qui en constituent la réalité juridique, ne pérennise les RASED, ni même seulement les « aides spécialisées », expression elle-même strictement absente de la loi. Plus globalement, d’ailleurs, la loi n’évoque jamais l’existence d’enseignants spécialisés, de quelque type qu’ils soient, qui continueront ainsi à n’avoir d’existence légale que par la grâce de la fantomatique loi de 1909 sur les classes et écoles de perfectionnement.

Il faut d’ailleurs ne pas se faire d’illusions quant à la façon dont le rapport annexé à la loi traite la question des RASED, qui y sont évoqués deux fois. La première occurrence est a priori très positive, puisqu’il est prévu de « renforcer l’action des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) ». Il faut souligner cependant que cette annonce réconfortante est noyée dans une série hétéroclite de « renforcements », auxquels sont attribués globalement 7 000 postes. Parmi les divers « renforcements » auxquels devraient aller ces postes, figure en première place le dispositif « plus de maîtres que de classes », mais aussi celui de « l’encadrement », ce qui renvoie probablement à la diminution souhaitée des effectifs des classes dans les secteurs en difficulté. Ces deux « renforcements », manifestement privilégiés par Peillon, seront forcément très coûteux en postes. Or on peut estimer que les RASED ont perdu au moins 5 000 postes sous le précédent quinquennat. Il ne faut donc pas être grand clerc pour comprendre que les RASED ne retrouveront pas leurs effectifs antérieurs, déjà bien insuffisants. Leur « renforcement » annoncé menace d’être très homéopathique, si tant est qu’il connaisse le moindre début de réalisation : je le rappelle, ce rapport annexe n’a pas force de loi.

La seconde occurrence du terme RASED dans ce rapport est franchement grosse de menaces, puisqu’il y est dit que « les spécificités des missions et du fonctionnement des RASED seront réexaminées et s’intégreront dans une logique de complémentarité avec l’ensemble des dispositifs d’aide ». Articuler les activités des RASED avec les autres « dispositifs d’aide » est en soi défendable, mais on ne voit pas en quoi ces coordinations nécessaires devraient remettre en cause « les spécificités de leurs missions ». Bien au contraire, en un sens, surtout quand on se réfère à ce que recouvrent ces autres dispositifs d’aide. Il s’agit d’abord de tout ce qui relève de la « réussite éducative », c’est-à-dire l’externalisation du traitement des difficultés scolaires vers les collectivités territoriales, initiée par les gouvernements antérieurs et reconduite par le nouveau pouvoir. Il s’agit ensuite de « l’aide personnalisée », inventée par Sarkozy et Darcos pour justifier la suppression des RASED, reconduite elle aussi par le nouveau pouvoir, alors même que sa faible efficacité a été largement démontrée, en particulier pour les élèves en grande difficulté. Il s’agit enfin, et c’est la seule nouveauté introduite par Peillon, du dispositif dit « plus de maîtres que de classe », destiné à flatter certains syndicalistes, mais dont rien n’indique qu’il pourra apporter le moindre secours aux élèves en grande difficulté.

La reconstruction de la formation initiale des enseignants constitue l’essentiel de la loi Peillon, la seule concrétisation consistante de la volonté proclamée de « refondation ». En fait de « refondation », il s’agit plutôt d’un retour minimal à la normale, les délires du précédent pouvoir ayant fait de la France le seul pays au monde où les enseignants ne recevaient aucune formation professionnelle. Cela prend la forme de la création des « écoles supérieures du professorat et de l’éducation » (ESPE), qui vont se substituer, dès la rentrée 2013, aux IUFM moribonds. Ce n’est pas ici le lieu adéquat pour interroger la construction de ces institutions. Par contre, il vaut la peine de s’attarder aux missions qui leur sont confiées. On a frôlé la catastrophe. En effet, le projet initial, tel qu’il était sorti des cénacles ministériels pour être présenté aux parlementaires, n’évoquait la pédagogie qu’après la définition de ces missions, par cet alinéa : « Dans le cadre de ces missions, elles assurent le développement et la promotion de méthodes pédagogiques innovantes et forment les enseignants à l’usage du numérique » (article 51 du projet initial). Ce télescopage entre innovation pédagogique et informatique avait de quoi effarer tout pédagogue un tant soit peu sérieux. L’idée de promouvoir l’innovation pédagogique sans avoir jamais évoqué la transmission de notre culture pédagogique était plus accablante encore. Que les cuisines ministérielles aient pu accoucher de cette aberration et que le ministre ait pu la présenter au Parlement en dit long sur l’incurie conjointe de la haute administration, du cabinet de Peillon et de Peillon lui-même. On voit mal comment un pouvoir ignorant à ce point la culture pédagogique pourrait comprendre quoi que ce soit à la culture psychopédagogique qui constitue le fondement même des RASED.

Par bonheur, les représentants de la Nation se sont révélés moins stupides que les hautes sphères ministérielles. Tout d’abord, l’alinéa précédemment évoqué est ainsi rectifié : « [les ESPE] forment les étudiants et les enseignants à l’usage pédagogique des outils et ressources numériques », ce qui a le mérite de différencier pédagogie et informatique, de laisser supposer que les usages de l’informatique peuvent être parfaitement anti-pédagogiques et de poser fortement l’exigence d’une formation à un usage authentiquement pédagogique des outils informatiques.

Surtout, dans le premier alinéa qui définit les missions des ESPE, ils ont introduit cette phrase : « Elles fournissent des enseignements disciplinaires et didactiques mais aussi en pédagogie et en sciences de l’éducation » (article 70 du texte final). On pourrait gloser sur tout ce que peut recouvrer cet étrange « mais aussi ». J’aurais évidemment préféré un « mais d’abord », ainsi qu’une référence forte à l’histoire de la pédagogie et à ses grands maîtres. J’aurais aussi aimé qu’une place soit accordée aux mouvements pédagogiques dans la constitution même des ESPE. Ce n’est pas le cas : les « enseignants-chercheurs » règneront en maîtres, comme dans les IUFM, avec l’efficacité que l’on sait. Ce seul « détail » voue probablement les ESPE à répéter la déplorable histoire des IUFM, et les futurs enseignants à continuer à n’avoir guère plus d’idée de ce que pourrait être une véritable formation pédagogique que les malheureux sortants des ex-IUFM. À la fin de ma carrière, mes stagiaires PE2, à la veille de la fin de leur « formation », ignoraient tous jusqu’au nom de Célestin Freinet !

Je doute fort, avec une formation initiale si faiblement définie, que, maîtres supplémentaires ou non, le « besoin de RASED » se fasse moins sentir...

Dernière remarque. J’ai déjà noté que les dispositifs dits de « réussite éducative » étaient reconduits par le nouveau gouvernement. En réalité, la loi Peillon apporte une retouche à la définition législative de ces dispositifs. Ils sont régis par l’article 311-3-1 du Code de l’éducation, créé par la loi Fillon de 2005. Il stipulait ceci : « À tout moment de la scolarité obligatoire, lorsqu'il apparaît qu'un élève risque de ne pas maîtriser les connaissances et les compétences indispensables à la fin d'un cycle, le directeur d'école ou le chef d'établissement propose aux parents ou au responsable légal de l'élève de mettre conjointement en place un programme personnalisé de réussite éducative ». La loi Peillon modifie cet article, qui va prendre la forme suivante : « (...), le directeur d'école ou le chef d'établissement met en place, dans des conditions fixées par le ministre chargé de l’éducation nationale, des dispositifs d’aide qui peuvent prendre la forme d’un programme personnalisé de réussite éducative ». Elle ajoute aussi à cet article un nouvel alinéa qui précise : « Le directeur d’école ou le chef d’établissement associe les parents ou le responsable légal de l’élève à la mise en place de ce dispositif ». Le changement le plus clair réside dans le renforcement du pouvoir des chefs d’établissement et directeurs d’école au détriment des parents, probablement dans la foulée, largement initiée durant le quinquennat précédent, du retour au caporalisme traditionnel de notre système scolaire. Que la toute-puissance parentale soit battue en brèche n’est pas forcément, en soi, pour me déplaire. Mais cet ajustement législatif présente une autre facette : il donne une consistance juridique forte à la notion de « dispositifs d’aide ». Il est clair que les RASED, s’ils subsistent, seront considérés comme un de ces dispositifs. Je ne vois pas comment cela pourrait ne pas impliquer que leurs actions soient soumises, comme celle de tous ces dispositifs d’aide, à l’autorité directe des directeurs d’école, et non plus, comme c’est encore le cas actuellement, à la supervision des inspecteurs. Certains collègues pourraient trouver intéressant de s’éloigner des IEN au profit des directeurs. J’y vois pour ma part le risque de voir leurs activités régentées à bout portant par des directeurs d’école dont la plupart sont encore plus ignorants des réalités des aides spécialisées que nombre d’IEN. Il faudra certes attendre, pour se faire une idée plus précise des implications de ce changement législatif, que de nouvelles circulaires précisent les choses, mais je rappelle qu’une circulaire ne peut qu’expliciter le texte de la loi et non en changer le sens.

Daniel Calin


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