Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
(Site créé et animé par Daniel Calin)

 

Pour les RASED
Réponses à l’argumentaire du pouvoir pour justifier la suppression des RASED

 

 
Un texte de Daniel Calin


Références  Pour mettre en perspective les analyses qui suivent, consulter les pages In memoriam : la défense des RASED sous Darkozy et Les mobilisations pour la défense des RASED.
Ajouts  Voir en bas de page des autres arguments proposés par des lecteurs ou trouvés ailleurs.

 

Le 1er novembre 2008, le n° 62 de Clés-Actu, le follicule du Porte-Parole du Gouvernement, un incertain Luc Chatel, intitulé Les aides aux élèves en difficulté et les RASED, donne – enfin – l’argumentaire le plus officiel qui soit pour justifier la mise à mort des RASED. Notons que ce passage d’un parole ministérielle à une parole gouvernementale révèle probablement les inquié­tudes du pouvoir face à l’ampleur de la mobilisation, mais pointe aussi clairement notre adversaire : non pas le seul Darcos, gros toutou fidèle à son maître, mais le gouvernement dans son ensemble. En attendant une interven­tion directe du Président ?

Je me propose de répondre ici point par point à ce pensum.


Préalable

Il faut commencer par situer cet exercice de style officiel : la seule motivation sérieuse de la suppression des RASED est la politique globale d’attaque contre la fonction publique et ses services, en particulier par la suppression massive de postes de fonctionnaires. Tout le reste est poudre aux yeux.

Pour mener à bien cette politique, dans le domaine de l’enseignement primaire, le pouvoir est coincé par une démographie qui remonte réguliè­rement depuis quinze ans. Il l’est d’autant plus que tous les gouverne­ments successifs, depuis vingt-cinq ans, n’ont cessé de gratter les fonds de tiroir, en particulier en s’attaquant aux écoles rurales et à la scolarisation à deux ans, sous des prétextes aussi filandreux que ceux qui sont utilisés aujourd’hui pour justifier la suppression des RASED. Comme il serait politiquement suicidaire de laisser des classes sans maîtres, comme il est politiquement très difficile d’élever les effectifs des classes primaires à 35 ou 40 élèves, comme le pouvoir hésite encore à s’attaquer à la maternelle, comme s’attaquer aux enseignants spécialisés qui travaillent auprès d’enfants handicapés passerait fort mal auprès des familles parfois très favorisées et très influentes de ces malheureux enfants(1), il ne reste guère à gratter que les postes des enseignants spécialisés qui interviennent auprès des plus défavori­sés des défavorisés(2), victimes constantes de ce pouvoir, qui présentent l’avantage d’être aussi dépourvues de moyens de se faire entendre que désar­gentées. Mort programmée des RASED, donc. Résultat de l’opération : 11.000 postes « récupérés » en trois ans, pour éviter d’avoir à remplacer 11.000 enseignants partant à la retraite par le recrutement de 11.000 nouveaux professeurs des écoles.

 

Clés-Actu :

« 15 % : c’est le pourcentage d’élèves qui quittent l’école primaire avec de graves lacunes. »

Commentaire :

On pourrait très longuement s’interroger sur l’origine obscure et la signification précise de ce chiffre que nous serinent en boucle tous les missi dominici du pouvoir. Admettons-le, sous réserve d’inventaire. La vérité est alors que les RASED, avec leurs moyens actuels, ne peuvent toucher au mieux que 5 % de la population scolaire. Avant de pouvoir juger de leur efficacité, il aurait donc fallu commencer par multiplier par trois leurs effectifs, afin d’espérer couvrir les besoins d’aides spécialisées de ces 15 %. Faute de quoi, les accuser de ne pas être parvenus à résoudre les problèmes de ces 15 % est, au choix, une absurdité ou une crapulerie.

 

Clés-Actu :

« 74 % des parents sont d’accord avec la réforme des programmes du primaire (TNS/Savoir Lire) »

Commentaire :

Oui, et alors ? Quel rapport avec la question des RASED ?

Sur le fond, au vu de la démagogie échevelée de cette réforme ouverte­ment rétrograde, ce qui est extraordinaire, c’est que 26 % des personnes interrogées dans ce sondage n’y soient pas favorables ! Elle était pas belle et bonne, l’école de nos arrière grands-parents, qui avait su si bien les convaincre d’aller se faire trouer la peau dans les tranchées pour engraisser la haute bourgeoisie française aux prises avec la concurrence de la haute bourgeoisie « boche » ?

 

Clés-Actu :

« Parce que chaque élève doit pouvoir, à force de travail, réussir ses études et, au-delà, sa vie professionnelle (...) »

Commentaire :

Ah ouais, parce qu’il n’y a que le « travail » qui compte dans la fabri­cation de la réussite scolaire ? Les enfants des milieux défavorisés sont donc statistiquement des fainéants irréductibles, et les enfants des milieux favo­risés sont donc statistiquement des bûcheurs invétérés ?

Et pour la « vie professionnelle », l’héritage défiscalisé, ça ne joue aucun rôle dans la réussite des gamins de Neuilly ? Et les chômeurs, c’est tous des fainéants ?

Tout cela serait risible si ce n’était pas une infamie, une de plus. Les scribouilleurs du pouvoir ont décidément l’abjection compulsive.

 

Clés-Actu :

« le Président de la République a fixé à l’école un double objectif : pour­suivre la démocratisation de l’enseignement et élever le niveau général »

Commentaire :

Tiens, tiens, il ne fait plus dans la rupture, ce zigomar convulsif ? Il serait tout à coup converti au programme du Conseil National de la Résistance ? Le tout en supprimant des dizaines de milliers de postes d’enseignants, en s’atta­quant dans les lycées à des enseignements aussi fondamentaux que la physique et la chimie, l’histoire, les sciences économiques et sociales, en menaçant l’école maternelle ? Foutaises et balivernes !

 

Clés-Actu :

« Les deux heures de soutien hebdomadaires »

Commentaire :

On n’a pas assez souligné le principe comique à l’œuvre dans ce coup médiatique. Si l’on croit que les élèves apprennent des choses parce qu’un maître leur enseigne ces choses(3), en supprimant deux heures par semaine d’enseignement, on accroît d’autant les difficultés des élèves, et les deux heures de soutien ne font guère que compenser mathématiquement les deux heures hebdomadaires qu’on vient du même mouvement de leur retirer. Seule efficacité probable de l’opération : diminuer de deux heures l’ennui scolaire de ceux qui percutent à toute vitesse, voire qui savent avant le début de la leçon ! Merci pour eux, j’en étais. Comme nombre de mes petits camarades de l’ensei­gnement spécialisé, me semble-t-il.

 

Clés-Actu :

« Les stages de remise à niveau »

Commentaire :

Comme recette miracle pour lutter contre l’échec scolaire, priver de vacances les mômes en grande difficulté, c’est sûr, on pouvait difficilement penser plus subtil. Là encore, labelisé « Foutaises et balivernes ! ».

 

Clés-Actu :

« Par ailleurs, la réforme des RASED (Réseaux d'Aides Spécialisées pour les Enfants en Difficulté) prévoit de sédentariser 3000 postes de ces maîtres spécialisés dans des écoles en difficulté. Ils remplaceront de fait 3000 enseignants partant en retraite et seront affectés dans une classe.»

Commentaire :

Là, c’est la franche rigolade. On commence par reprendre le mensonge habituel concernant la « sédentarisation (...) dans des écoles en difficulté ». Puis on passe aux aveux : « Ils remplaceront de fait 3.000 enseignants partant en retraite » (c’est moi qui souligne ce « de fait » croquignolet). Même les très mauvais connaisseurs du système éducatif savent évidemment que, « dans des écoles en difficulté », il y a très rarement des enseignants susceptibles de partir en retraite. Les enseignants en fin de carrière se trouvent plutôt, et on les comprend, dans les écoles des beaux quartiers, et plutôt vers Nice que vers Charleville-Mézières... Là encore, les enseignants virés des RASED, qui ont pour nombre d’entre eux une ancienneté conséquente, dopée de surcroît, n’en déplaise à leur ministre, par de bonnes appréciations de leur hiérarchie, vont se retrouver mécaniquement, sauf à y mettre beaucoup de mauvaise volonté, affectés dans des écoles faciles et ensoleillées... Et un label « Foutaises et balivernes ! », un !

 

Clés-Actu :

« La France est l’un des moins bons élèves de l’OCDE et de l’Union européenne, comme le montre l’enquête internationale PIRLS (Programme international de recherche en lecture scolaire) de novembre 2007 »

Commentaire :

Remarque technique, d’abord : dans cette enquête, la France est en 27e position sur 43 pays étudiés. Notre caqueteur en chef confond donc mani­feste­ment élève médiocre et mauvais élève. Dans un texte qui concerne exclusive­ment ces derniers, c’est pour le moins de très mauvais augure quant au sérieux du discours dudit caqueteur...

Ensuite et surtout, sur le fond, une telle enquête est invalide dans sa définition même. Quel sens peut avoir en effet une enquête qui prétend comparer l’étude de la langue écrite dans des pays utilisant des langues profondément différentes, et présentant des degrés de difficulté et de complexité sans commune mesure ? Quel sens y a-t-il à comparer l’étude de la langue nationale dans des pays dont les taux de population immigrée sont aussi différents ? Est-ce bien un hasard si le meilleur élève de la classe en ce domaine est la Finlande, qui compte 1,5% d’immigrés et dont la langue écrite est une transposition transparente de la langue orale ? Et qui est, de plus, profondé­ment homogène, aux antipodes de la mosaïque ethnolinguistique qu’est la France, sans même prendre en compte ses vagues migratoires des deux siècles précédents ? Et n’y aurait-il pas un lien entre les résultats scolaires des enfants finlandais et le degré de solidarité collective de ce pays ? Et ne peut-on suspecter une relation entre la baisse des performances de notre système scolaire, dont on nous rebat les oreilles, et les attaques de plus en plus furieuses à l’encontre de nos mécanismes de solidarité collective, déjà bien pâles par rapport à ceux des pays scandinaves ? Et... Et...

 

Clés-Actu :

« L’action des “maîtres E et G” dans les “RASED” est trop dispersée et n’est donc pas assez efficace pour venir en aide aux élèves dans la durée »

Commentaire :

Je serais assez d’accord avec ce diagnostic, si, si. Mais ce problème est, bien sûr, la résultante mécanique de l’insuffisance massive des moyens des RASED. Voir un commentaire précédent. Quoi qu’il en soit, si le pouvoir accordait le moindre sérieux à cet argument, il ne supprimerait pas les RASED, il les ciblerait sur les secteurs en difficulté.

 

Clés-Actu :

« bon nombre d’écoles ne recourent jamais au service des RASED »

Commentaire :

Une petite crapulerie discrète au passage, c’est toujours bon à prendre. Formulé ainsi, ça laisse supposer que « bon nombre d’écoles » se passent bien volontiers des services des RASED, donc que ces services ne sont guère appétissants... En réalité, l’insuffisance massive des moyens des RASED, régu­lièrement aggravée à chaque rentrée depuis une bonne dizaine d’années, oblige les inspecteurs de l’éducation nationale à définir des priorités et à centrer les faibles moyens mis à leur disposition sur les écoles les plus en difficulté.

 

Clés-Actu :

« ces maîtres travaillent aujourd’hui généralement selon un mode itinérant : ils ne sont pas attachés à un établissement particulier et sont disséminés sur tout le territoire, au lieu d’être concentrés sur les zones les plus difficiles »

Commentaire :

On retrouve en filigrane l’argument bidon de la « sédentarisation » sur « les zones les plus difficiles ». Comme nous avons déjà souligné l’aveu de notre bonimenteur missionné concernant la vraie mission de ces « séden­tarisés », boucher les trous, nous nous contenterons de le renvoyer à ce qu’il a écrit un peu plus haut.

Sur le fond, cela a des allures de retour aux GAPP, dont les RASED sont les héritiers, par dispersion effectivement. À la décharge de la mafia sarkozyenne, la transformation des GAPP en RASED est un des hauts faits de la mafia jospinienne, qui, en disséminant les RASED « sur tout le territoire », a juste « oublié » d’en augmenter les moyens. Sauf en y recyclant une petite partie des enseignants des classes de perfectionnement supprimées parallè­lement, lesquelles visaient globalement le même public des élèves en grande difficulté scolaire(4).

 

Clés-Actu :

« Comme cette aide s’exerce sur le temps scolaire, les élèves en difficulté quittent la classe et ne suivent donc plus les enseignements qui s’y déroulent. Et pourtant, ce sont précisément ces élèves qui ont le plus besoin de suivre les cours ! »

Commentaire :

Labelisé « Foutaises et balivernes ! », version champion du monde. Servie sur un plateau à notre jacasse nationale par la frange la plus bovine des inspecteurs de l’éducation nationale, laquelle n’a cessé ces dernières années de hoqueter cette rengaine avec une fierté de soi d’airain, parfois partagée par l’aile la plus déficitaire des chers collègues des classes ordinaires, on a là un témoignage exceptionnel de la plus accablante bêtise magistrale. Quand un élève est suffisamment en difficulté pour qu’on appelle le RASED à son secours, et à celui de son maître, c’est presque toujours qu’il ne comprend rien à ce qui se passe en classe, et le plus souvent qu’il n’y a jamais rien compris, sinon qu’il était nul et que tout ça n’était pas pour lui. Présenter en quoi que ce soit comme une perte ce qui est toujours un hâvre tardif et rare (une heure par semaine pendant un an !) dans un océan de sidération souffrante, faut le faire. Ils l’ont fait, et notre babilleur gouvernemental le répète.

 

Clés-Actu :

« Xavier Darcos a souhaité une prise en charge directe et continue des élèves plutôt que des interventions ponctuelles, afin de répondre aux difficultés lourdes »

Commentaire :

Quand un maître de classe ordinaire fait la classe, quelles que soient ses qualités professionnelles, spécialisées ou non, il fait la classe. Ça va, vous me suivez ?... Y compris pour les meilleurs de ses élèves. Même avec les meilleures qualités de contorsionniste intellectuel, on ne voit pas par quel miracle il pourrait en même temps assurer « une prise en charge directe et continue » de ses deux ou trois élèves en perdition depuis toujours à l’école. Labelisé « Foutaises et balivernes ! », une fois encore.

Il est d’une évidence aveuglante que la seule « prise en charge directe et continue » concevable des naufragés scolaires serait une scolarisation en classe spécialisée. Retour aux classes de perfectionnement, donc. On sait que, paysan indécrottablement réaliste, j’y suis favorable(5). Contrairement à certains bruits qui ont couru, il n’est absolument pas question de cela dans cette affaire, mais bien, exclusivement, de remplacer au chiffre près les départs en retraite d’enseignants des classes ordinaires non compensés par de nouveaux recru­tements. Voir plus haut.

 

Clés-Actu :

« 3 000 maîtres spécialisés seront « sédentarisés » à la rentrée 2009 dans les écoles. Concrètement, il s’agit de faire en sorte qu’ils s’installent dans les écoles, qu’ils exercent les fonctions de maîtres titulaires dans une seule classe sans avoir à circuler d’une manière qui n’était pas toujours la plus adéquate. Encore une fois, cela concernera 3 000 maîtres spécialisés sur 11 000. Ils remplaceront de fait 3 000 enseignants partant en retraite. »

Commentaire :

Quand on est à cours d’imagination, on se répète.

On peut seulement noter l’esquisse d’un recul : on ne supprime pas les RASED, on les ampute « seulement » de 3.000 postes. Après tout le mal qu’on vient d’en dire, cela relève de l’irresponsabilité politique et financière... Plaisanterie mise à part, rien à ce jour n’a invité les inspecteurs d’académie à faire autre chose que planifier la suppression totale des RASED en trois ans qu’on leur a enjoint de préparer le 16 octobre dernier. Pourtant, s’il ne s’agissait bien « que » de supprimer 3.000 postes, cela supposerait dès main­tenant un important travail de préparation, en particulier pour cibler les zones où conserver les RASED et pour organiser le redéploiement des moyens restants.

Cette fois, on est dans un mensonge délibéré, pour tenter de calmer un ample mouvement de protestation auquel on ne s’attendait manifestement pas.

 

Clés-Actu :

« Ils n’enseigneront pas à une classe dans laquelle seraient concentrés les élèves en difficulté de toute une école, mais ils deviendront les maîtres d’une classe ordinaire qui a besoin d’un enseignement soutenu. »

Commentaire :

Voilà qui clarifie, pour ceux qui n’avaient pas saisi d’emblée le fond strictement gestionnaire de cette décision gouvernementale, la question du retour des classes de perfectionnement : aucun risque ! On économise, c’est tout. Ça coûte bonbon, savez-vous, les classes spécialisées ! Pourquoi croyez-vous que la « gauche » gouvernante les a supprimées ?!

Quant à l’idée filandreuse de « classe ordinaire qui a besoin d’un ensei­gnement soutenu », elle se dissoudra d’elle-même, dès lors qu’il s’agit concrètement de remplacer des départs en retraite. Voir plus haut.

 

Clés-Actu :

« Ils pourront aussi apporter leur expertise aux autres enseignants de l’équipe pédagogique dans la mise en place des différents dispositifs d’aide et de soutien. »

Commentaire :

Encore un grand moment de comique troupier ! Ça va être coton, pour les collègues « sédentarisés », d’utiliser efficacement leur connaissance experte d’un « dispositif »... qui n’existera plus !

Sur le fond, il s’agit évidemment d’une méconnaissance crasse des réalités de « l’expertise » des professionnels des RASED, laquelle n’est d’ailleurs pas, pour commencer, une expertise, mais très officiellement trois expertises, fort différentes tant qu’on ne les contraint pas à se confondre, comme l’a souvent fait ces dernières années la déjà évoquée frange la plus bovine des inspecteurs de l’éducation nationale...

 

Clés-Actu :

« Bien évidemment dans ce nouveau cadre, leur qualification de maîtres spécialisés continuera à être reconnue, comme elle l’est aujourd’hui, notamment à travers leur régime indemnitaire propre. »

Commentaire :

C’est l’argument le plus insultant qui soit. Ce « régime indemnitaire propre », c’est 60 euros par mois. Faut-il commenter plus avant ?

 
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La suite ressasse ce qui a déjà été dit, en particulier en tentant à nouveau de vendre « les 2 heures de soutien hebdomadaires aux élèves en difficulté » comme universelle panacée pour les mômes en déroute. On souligne à nouveau le « hors du temps scolaire », fabuleuse baguette magique qui revient à espérer sortir les mômes de leur échec en les privant de récré, fallait y penser(6) ! Puis l’on met en avant la « réponse directe », ce qui revient à présenter comme un avantage ce qui est en réalité le plus incontestable désastre dans cette entreprise de démolition, à savoir la disparition de la seule instance de médiation entre l’enfant en difficulté et le maître qui constate ses difficultés, entre l’enfant en difficulté et sa famille que ses difficultés met en souffrance, entre l’enfant en difficulté et les savoirs qu’il ne parvient pas à ingurgiter même si son maître lui repasse le plateau avec la plus grande patience du monde, sur le temps scolaire comme hors temps scolaire. Mais peut-on demander à la petite mafia neuilléenne qui nous gouverne de comprendre une notion aussi subtile que celle de « fonction de médiation », qui est pourtant la plus forte raison d’être des RASED ?

Détruire les RASED, c’est supprimer cette précieuse fonction de médiation. C’est laisser les enfants subir à bout portant leur échec. C’est laisser les familles subir à bout portant l’échec de leur enfant. C’est laisser les maîtres subir à bout portant leur échec face à certains enfants.

Bon courage à tous !

Daniel Calin
Novembre 2008

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Notes

(1) Déjà nombreuses à être très remontées contre la loi de 2005, de plus en plus perçue comme une escroquerie politique.

(2) Non que les élèves en grande difficulté scolaire appartiennent tous aux familles les plus défavorisées : les perturbations familiales sont suffisamment nombreuses dans les « bons milieux » pour y induire leurs cohortes ordinaires d’enfants abîmés. Mais ces milieux préfèrent le plus souvent faire panser discrètement les plaies de leurs enfants par des professionnels du privé – d’autant plus facilement que, de toutes façons, c’est la Sécurité Sociale qui paie. Voir les chèques emploi-service pour se payer à très bas prix les services des officines de soutien scolaire, tout du moins quand cela suffit.

(3) Il y aurait évidemment beaucoup de choses à dire à propos de cette illusion pédagogique majeure, mais ce n’est peut-être pas le moment...

(4) Nembrini, le grand sachem ministériel des écoles, évoque à l’occasion 4.000 « créations de postes » dans les RASED. Il est vrai que des postes ont été créés lors des premières années des RASED, au début des années 1990, en lien avec la fermeture en parallèle des dernières classes de perfectionnement. La suppression des classes de perfectionnement ayant été dispersée sur une bonne dizaine d’années, il est très difficile de vérifier ce chiffre de 4.000 postes, non pas créés, en tout état de cause, mais basculés des classes de perfectionnement sur les RASED. En 1973, à leur apogée, il y avait 16.700 classes de perfectionnement. En admettant l’hypothèse de 4.000 postes de RASED supplémentaires par rapport au nombre total de postes des GAPP, on peut estimer que le nombre total d’enseignants en charge des élèves en très grande difficulté à l’école primaire a baissé a minima de 12.700 autour de 1990, soit d’une bonne moitié. Merci la « gauche de gouvernement » ! À quoi il faut ajouter que ces peut-être 4.000 postes ont très vite disparu par la suite, au fil des rentrées qui ont suivi...
Évolution du nombre total de postes RASED (calculs réalisés par Alternatives économiques sur la base des statistiques du Ministère) : 11.861 en 1990, 13.789 en 1995 (ce qui ne confirme qu’à moitié les 4.000 postes – sur 16.700 – basculés des classes de perfectionnement aux RASED, presque exclusivement sous la forme de postes E), 13.798 en 1998, 14.554 en 2002, 14.938 en 2005 (ce qui indique un “effort” du gouvernement Jospin, si léger qu’il est passé complètement inaperçu sur le terrain).

(5) Voir mon article La classe spécialisée fermée, lieu et temps de (re)construction.

(6) Un des gouvernements précédents avait déjà tenté de lutter contre l’échec scolaire dans ce « hors temps scolaire », en relançant les études surveillées. Même si cette idée était de loin moins stupide que le dispositif actuel, cette relance s’est pourtant très vite effilochée, faute de produire le moindre effet positif un tant soit peu repérable.

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Autres arguments

Taux de suicide  Une lectrice : « Un argument supplémentaire me crève les yeux, l’esprit et le cœur : y a-t-il corrélation entre le soi-disant taux de réussite des jeunes finlandais et le taux de suicide de ces mêmes jeunes ? »
Note de Daniel Calin : Ce taux de suicide est le plus élevé d’Europe.

Taux de suicide  Trouvé dans un excellent article de Michel Abescat, dans Télérama du 29/10/08 : « La semaine passée, Nicolas Sarkozy s’interrogeait gravement devant le Parlement européen : « Suis-je devenu socialiste ? Peut-être. » (...) Pendant que notre Président s’interroge devant les caméras, en coulisse les travaux de démolition du service public se poursuivent hardiment. À l’Education Nationale, par exemple, que la pédagogie de la crise ne semble pas avoir touchée. Armé de sa calculette, le ministre Xavier Darcos conduit imperturbablement le recul programmé de l’Etat dans un secteur pourtant au cœur de ses missions. »
Note de Daniel Calin : excellente mise en évidence de la schizophrénie actuelle d’un pouvoir affolé par la brutale faillite du système dont il est le plus ardent zélateur et le plus fidèle serviteur. Pendant que la tête financière s’interroge sous la contrainte implacable de la crise, ses petites mains politiques poursuivent partout, imperturbablement, la même politique de destruction méthodique de l’Etat, dans le logement, la justice, l’hôpital, etc. Seul signe d’hésitation : le gel (momentané ?) du processus de privatisation de la Poste, le plus ancien et peut-être le plus fondamental de nos services publics. Me vient à l’esprit l’image de ces personnages de dessins animés, pris par leur course éperdue, qui continuent à courir au-dessus du précipice, jusqu’à ce qu’ils réalisent le vide vertigineux qui s’est creusé sous leurs pieds...

Chiffres  Daniel Calin : À propos des éternelles querelles de chiffres sur l’efficacité de l’école et son évolution, lire dans INSEE Première n° 1044, paru en Octobre 2005, Les compétences des adultes à l’écrit, en calcul et en compréhension orale (format PDF). Difficile de faire plus sérieux que l’INSEE. Or la leçon est très claire : d’une génération à l’autre, les difficultés sérieuses en lecture n’ont cessé de baisser, de 22 % chez les 60-65 ans, à 7 % chez les 18-29 ans. 7 % chez les jeunes adultes, donc bien loin des 15 % ânonnés en boucle par Darcos et ses sbires.
De quoi, au passage, condamner radicalement les “nouveaux” programmes furieusement rétrogrades imposés sans la moindre concertation par Darcos et les groupuscules fascistoïdes qui le biberonnent.
Sur le prétendu effondrement des résultats scolaires des élèves français, lire une mise au point rigoureuse et approfondie d’André Ouzoulias, datée du 30 avril 2008, M. Darcos, maître en déclinologie.

Chiffres  Daniel Calin : Une journaliste m’ayant posé la question du nombre d’élèves pris en charge annuellement par les RASED, je me suis fendu d’une réponse circonstanciée. La voici :
Le fonctionnement des RASED est beaucoup trop souple et leur gestion trop décentralisée (ils sont sous l’autorité de chaque inspecteur de circonscrip­tion) pour que l’on puisse disposer de chiffres nationaux fiables et officiels. Même le ministère n’en dispose pas !
Les chiffres qui circulent sont de très grossières estimations. Hormis psychologues scolaires, il existe 9.000 à 11.000 enseignants dans les RASED (même ce chiffre est très incertain, nombre de postes n’étant pas occupés). En estimant qu’un enseignant spécialisé “prend en charge”, en moyenne minimale, 30 élèves par an, cela donne plutôt un chiffre de 270.000 à 330.000 élèves concernés par an. Le chiffre de 150.000, souvent évoqué, me semble résulter d’une estimation, plutôt haute mais pas invraisemblable, des élèves pris en charge par les 3.000 enseignants dont les postes vont être supprimés à la rentrée prochaine.
Concernant cette estimation de 30 élèves par an, il faut souligner que ce nombre varie beaucoup en fonction du rapport entre prises en charge indivi­duelles (presque uniquement les maîtres G) et les prises en charge en groupe. Sachant que les “regroupements d’adaptation” des maîtres E comprennent très généralement autour de 4 enfants, nombre d’entre eux “voient” nettement plus d’une centaine d’enfants par an. Il faut ajouter à cela la durée des prises en charge. Même si elle est assez souvent annuelle, des prises en charge beaucoup plus courtes se sont répandues ces dernières années. Enfin, il faut tenir compte des déplacements en milieu rural, qui diminuent le nombre de prises en charge possibles, et souvent le nombre d’élèves dans les groupes. L’un dans l’autre, tout cela fait de 30 enfants par maître spécialisé et par an une estimation très basse.


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Dernière révision : samedi 15 février 2014 – 16:50:00
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