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Présentation du décret du 21 juillet 1791 par M. Prieur

 

[Assemblée nationale] – Archives Parlementaires – (21 juillet 1791) – Pages 489 et 490


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M. Prieur, au nom des comités de l’extinction de la mendicité, d’aliénation, des finances et de Constitution, réunis, fait un rapport sur l’institution des sourds-muets et s’exprime ainsi :


Messieurs les sourds-muets ont présenté à l’Assemblée nationale une adresse par laquelle ils l’ont priée de prendre en considération l’établissement d’une école destinée à leur éducation.

Dans tous les temps, il y a eu des sourds-muets, et dans tous les temps ils ont inspiré aux amis de l’humanité le désir d’adoucir leur position, en établissant entre eux et les autres hommes quelques relations propres à la communication mutuelle de leurs idées.

L’Espagne, l’Allemagne, l’Angleterre ont eu, en différents temps, des philosophes qui ont fait ces tentatives ; mais aucune d’elles n’a eu assez de succès pour survivre à son auteur ; il ne reste aucune trace des méthodes qui furent employées à ces différentes époques. L’heureuse découverte dont vous vous occupez aujourd’hui était réservée à un de ces hommes que la nature accorde quelquefois en réparation de ses torts, et qui, joignant la vertu au génie, la patience au courage, conçut et exécuta le projet de rendre aux sourds-muets une existence morale, dont ils semblaient privés pour toujours. Il n’est personne, qui, à ces traits, ne reconnaisse le célèbre abbé de L’Épée.

Un ecclésiastique du département de la Haute-Garonne, ci-devant chanoine de Bordeaux, M. Sicard, a achevé la course commencée par l’abbé de L’Épée, dont il était l’élève, et, d’après un concours fait devant l’ancien garde des sceaux, en présence de plusieurs membres de différentes académies de Paris et de la municipalité, il a été jugé digne de succéder à l’inventeur. Tout ce qu’on peut espérer de cet art précieux, il l’a déjà obtenu. Un de ses élèves, après 4 ans de leçons, a été mis en état de comprendre toutes nos idées, et d’exprimer toutes celles qu’il conçoit lui-même. Toutes les difficultés de la grammaire, et même de la métaphysique, lui sont parfaitement connues. Les règles du calcul, de la sphère et de la géographie, lui sont familières.

Il connaît la religion depuis les premiers âges du monde, jusqu’à l’époque de la mort du fondateur de cette même religion. Il connaît aussi les principes de la Constitution, et son âme les a saisis avec une avidité d’autant plus grande, qu’elle n’avait jamais été flétrie par aucun de nos anciens préjugés. Il répond par écrit à toutes les questions qu’on peut lui faire sur les objets qui lui sont connus ; il en fait lui-même ; il analyse les phrases les plus composées ; enfin, c’est un sourd-muet qui cesse d’être sourd avec ceux qui lui écrivent, et qui n’est plus muet avec ceux qui savent lire. Beaucoup d’autres élèves marchent sur ces traces et donnent les plus grandes espérances.

Indépendamment de l’avantage de connaître par écrit les idées des autres hommes, et de leur transmettre les leurs, les sourds-muets ont encore celui d’une langue par signes, qui peut être considérée comme une des plus heureuses découvertes de l’esprit humain. Elle remplace parfaitement, et avec la plus grande rapidité pour les personnes auxquelles elle est connue, l’organe de la parole. Elle ne consiste pas uniquement dans des signes froids et de pure convention ; elle peint les affections les plus secrètes de l’âme, qui, par le jeu des organes, et particulièrement des yeux, entrent pour beaucoup dans ses éléments.

Si le projet tant de fois désiré d’une langue universelle pouvait se réaliser, celle-ci serait peut-être celle qui mériterait la préférence ; au moins est-elle la plus ancienne de toutes.

Enfin, l’éducation des sourds-muets ne se borne pas à ces avantages ; elle procure encore à ceux qui doivent vivre de leur travail les moyens de subsister. Une foule d’ateliers sont prêts à s’établir dans cette institution ; et déjà il y existe, en pleine activité, une imprimerie consacrée à l’impression du Journal des Savants et du Journal d’Agriculture ; ce rapport même, imprimé par eux, vous donne une preuve de leur capacité. Il y existe encore une manufacture de tapis de coton et autres étoffes fabriquées jusqu’alors dans les pays étrangers. Les fonds annuels à déterminer pour les places gratuites qu’on jugera convenable d’accorder à des pauvres ne pèseront pas longtemps, sans doute, sur la nation.

1° Les profits de l’imprimerie peuvent s’élever annuellement à la somme de 3,000 livres ;

2° À la suite du jardin est un clos qu’on cédera à l’établissement des sourds-muets, et dans lequel on pourra former une pépinière qui remplacera celle des Chartreux, qui est près de se détruire, et qui donnait annuellement un revenu de 10,000 livres. Celle des sourds-muets, beaucoup moins grande, pourra rapporter un revenu de 6,000 livres ; des serres chaudes entretenues par les poêles des classes donneront des primeurs d’un grand produit.

Les manufactures et métiers, en tenant les élèves dans une activité continuelle, pourront rapporter aussi une somme assez considérable.

Mais il ne faut pas se dissimuler que tous ces profits ne pourront se recueillir que dans 2 ou 3 ans, quand les élèves auront suffisamment appris chacun un métier et que les terrains seront en valeur.

Que ne peut-on pas espérer d’une institution qui excite un intérêt si général, que des hommes célèbres veulent bien en régler les premiers pas, et demandent comme une faveur ce qu’on aurait été empressé de les prier d’accorder comme une grâce. M. l’abbé Rochon se charge de la conduite des arts mécaniques ; M. l’abbé Hauy présidera aux travaux relatifs aux marbres et autres pierres. MM. Thouin, de Jussieu et l’abbé Tessier inspecteront la culture des jardins ; M. Pajou, la sculpture ; M. Vincent, les dessins et la peinture, talents si nécessaires aux arts et métiers ; M. Berwick offre ses soins pour la gravure, et Mme Guyard a été la première à faire connaître son vœu pour diriger la classe des filles, auxquelles ce talent est très précieux, pour tous les ouvrages de broderie, tapisserie, et qui n’exigent que du goût et de l’adresse. (Applaudissements.) Ainsi, on peut assurer qu’après ce premier temps d’épreuve, les élèves eux-mêmes pourront, par leur travail, fournir aux places gratuites, et que, par conséquent, l’établissement pourra se soutenir seul.

D’après cela, nous ne sommes pas réduits à de simples espérances ; les membres de votre comité qui ont assisté différentes fois aux exercices des sourds-muets peuvent vous assurer qu’elles sont déjà réalisées.

L’abbé de L’Épée avait souvent sollicité de l’ancien gouvernement les moyens de former cet établissement précieux, et lui donner le caractère d’établissement public. Deux arrêts du conseil, l’un du 21 novembre 1778, l’autre du 25 mars 1785, renferment différentes dispositions qui avaient cet objet ; mais ces arrêts n’ont pas été revêtus des formes anciennement usitées pour leur donner le caractère de loi ; en sorte que c’est à l’Assem­blée nationale qu’il était réservé de consolider cette belle institution. L’école avait été placée dans la maison des Célestins ; une somme de 6,000 livres à prendre sur leurs biens lui avait été affectée ; mais le payement de cette somme avait été suspendu depuis les décrets qui avaient mis à la disposition de la nation les biens des religieux ; en sorte que votre comité, de concert avec la municipalité, et par ses soins, a obtenu une somme de 2,400 livres sur les revenus séquestrés des biens des Célestins, pour venir provisoirement au secours de cet établissement.

Examinons actuellement : 1° si l’Assemblée nationale doit s’occuper de l’établissement de l’institution des sourds-muets, ou plutôt ce qu’elle peut et doit faire pour le consolider ; 2° enfin quelle dépense il entraînera.

(Le rapporteur examine ces deux questions.)

Telles sont, Messieurs, les réflexions de votre comité sur l’établissement de l’institution des sourds-muets ; puisse-t-il avoir rempli les vues de bienfaisance que vous avez manifestées lorsqu’ils vinrent eux-mêmes vous présenter leur adresse.

Vos comités m’ont chargé de vous proposer le projet de décret suivant :


Décret du 21 juillet 1791


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