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Rapport sur les écoles centrales

 
Présenté par Lakanal à la Convention nationale, au nom du Comité d’instruction publique, dans la séance du 26 frimaire an III (16 décembre 1794).

 

Source Gallica : http://visualiseur.bnf.fr/CadresFenetre?O=NUMM-29292&I=367&M=tdm (pages 299 à 306)

Le projet de décret présenté par Lakanal à la suite de ce rapport a été adopté par la Convention le 7 ventôse an III, après discussions et diverses modifications : c’est le décret du 7 ventôse an III. Il sera remplacé un an plus tard par le titre II du décret du 3 Brumaire an IV (loi Daunou).

De l’Imprimerie nationale, Frimaire, l’an III.
La cote de la Bibliothèque nationale se donne comme suit : 26 frimaire an III : 8° Le38 .1106.


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Citoyens,

L’établissement des écoles primaires était la dette de la patrie envers chacun de ses enfants : puisqu’elle leur doit la sûreté de leurs personnes et de leurs propriétés, elle leur doit essentiellement cette portion de lumières sans laquelle l’homme fut toujours la victime de l’imposture.

La malveillance et le patriotisme irréfléchi ont alarmé l’opinion sur l’énormité des dépenses qu’entraînera d’après leurs calculs, l’organisation de l’instruction publique ; il importe de détruire l’idée exagérée qui semble s’accréditer. On pourrait dire aussi des lois qu’il ne suffit pas qu’elles soient bonnes, mais qu’il faut encore qu’elles paraissent telles à tous les esprits.

La population de la République étant estimée de vingt-six millions d’habitants, on aurait vingt-six mille écoles primaires, à raison d’une par population de mille individus ; l’ensemble coûterait à la République 62,400,000 livres : mais il s’en faut de beaucoup que la dépense effective des écoles primaires atteigne cette somme. En effet, suivant le texte de la loi, toute population au-dessous de deux mille personnes n’aura qu’une école primaire ; toute population au-dessous de trois mille n’en aura que deux, et ainsi de suite.

Le ressort d’une école primaire peut s’étendre, sans inconvénient, à deux mille toises à la ronde ; ainsi elle peut embrasser environ trois lieues carrées de superficie. Tout district où cette étendue de sol n’aura pas une population de deux mille personnes pourra n’avoir qu’une école primaire. Cette considération seule réduit de beaucoup le nombre de ces écoles.

Les tableaux de population insérés dans les derniers volumes des mémoires de la ci-devant Académie offrent le plus communément une population d’environ cinq cents individus par lieue carrée ; d’où il résulte que l’étendue de trois lieues carrées, que nous prenons pour l’arrondissement d’une école primaire, renferme à peu près quinze cents habitants.

À la vérité les cas extrêmes, ceux dans lesquels la population est très rapprochée ou très dispersée, s’éloignent beaucoup de cette donnée. Dans le département du Nord, par exemple, le nombre moyen des habitants de la campagne est de dix-huit cent quatre-vingt-trois par lieue carrée.

Mais les résultats de ce genre sont peut-être les plus favorables à l’économie que nous avons en vue, puisqu’alors il est facile de grouper les communes de manière à comprendre plus de mille personnes dans l’arrondissement de chaque école primaire. On voit par là que le choix du mode à adopter par les administrations de district pour la répartition des écoles ne doit pas être abandonné au hasard : il peut en résulter une grande économie, s’il est bien fait ; mais si on néglige l’attention de grouper les communes de manière à former, dans le plus petit espace possible, des ensembles de population qui approchent, autant que faire se pourra, de deux mille individus, on tombera nécessairement dans une augmentation de dépenses qu’il est facile d’éviter.

Un calcul bien simple suffira pour convaincre de l’utilité de cette considération.

Supposons que, dans l’étendue de la République, les deux tiers des écoles primaires renfermassent dans leurs arrondissements une population de quinze cents individus, et que le tiers seulement fût restreint à une population de mille, cette hypothèse donnerait dix-neuf mille cinq cents écoles primaires pour toute la France, d’où résulterait une dépense de 46,800,000 livres, et, par conséquent, une économie de 25,600,000 livres, somme au moins suffisante pour couvrir les frais des autres degrés d’instruction. Les lieux où la population est très dispersée doivent sans doute apporter des modifications à ce calcul, mais nous avons présenté les deux limites.

Nous ne parlons pas des instituteurs payés à 1,500 livres, parce que le nombre des villes dont la population excède vingt mille personnes est fort peu considérable ; de plus, nous supposons une location de 200 livres, qui n’est point effective, et qui surpassera dans beaucoup d’endroits l’évaluation du loyer des propriétés nationales consacrées aux écoles primaires.

Ainsi les écoles primaires, quel que soit le résultat des calculs de la malveillance ou du patriotisme irréfléchi, prises au moyen terme, ne coûteront au plus que 54,600,000 livres, le sixième environ de vos contributions. Eh ! qui ne conviendra pas que chez un peuple libre l’instruction doit être l’objet principal sur le tableau de ses dépenses ?

Vous vous êtes donc renfermés dans les bornes de l’absolu nécessaire : eh ! compte-t-on avec la nécessité, surtout quand, par la nature de son génie et de ses ressources, un grand peuple a l’ambition de s’élever à cet état de splendeur en deçà duquel il n’a pas rempli sa destinée ?

Vous n’avez pas cru qu’il pût suffire à la dignité de la nation française que ses enfants se bornassent à des connaissances instrumentales, telles que la lecture, l’écriture, la numération ; si c’est assez pour la masse des citoyens, c’est peu pour la gloire d’une République qui veut jouir de tous les trésors que lui promet le génie de ses habitants, et qui est appelée à régénérer l’univers moral, aussi bien que l’univers politique. J’ai entendu dire, sous le règne du dernier tyran, qu’il ne fallait apprendre aux Français que la constitution et la guerre ! J’admire autant qu’un autre l’austérité des Spartiates, auxquels on prétendait nous assimiler : mais je crois qu’il est plus beau de mettre en œuvre tous les moyens que la nature a donnés à l’homme pour perfectionner ses sens et étendre ses rapports, que de parvenir, par un effort surnaturel, à prouver à cette mère commune qu’on peut se passer de ses bienfaits. S’interdire la gloire et les jouissances des arts, c’est l’absurde vertu des anachorètes ; la vertu de l’homme consiste à les épurer, à les utiliser tous.

Les écoles primaires, comme l’annonce le nom que vous leur avez donné, sont le vestibule du grand édifice promis depuis longtemps à l’impatience des Français : édifice que plusieurs architectes ont déjà construit par la pensée, sans consulter le génie des temps et des lieux, et dont je vous présente aujourd’hui le plan géométral tracé par votre Comité d’instruction publique. Il dépend de vous de le voir s’élever avec majesté pour servir d’asile éternel aux sciences et aux arts, sans lesquels la liberté ne fera que passer sur la terre.

Pour cette vaste construction, il faut commencer par déblayer les débris des collèges, où d’inutiles professeurs, étonnés de se trouver encore au poste des abus, rassemblent sur des ruines quelques élèves mendiés, soit pour jouir d’un salaire dont vous avez oublié de dégrever le budget national, soit pour se soustraire, eux et leurs disciples, aux travaux et au mouvement de la Révolution. Ces professeurs sont dans le culte des arts ce qu’étaient nos derniers prêtres dans le culte de la divinité.

Les collèges contre lesquels réclamait la philosophie depuis tant de siècles, que Montaigne et J.-J. Rousseau ont dénoncés à la raison humaine comme les asiles de l’ignorance privilégiée, vont donc disparaître du sol de la France libre, et, sans aucune dépense nouvelle, vous allez trouver dans leurs décombres, et dans la dotation qu’ils absorbaient, plus de ressources qu’il ne vous en faut pour les établissements régénérateurs que nous vous proposons. Un grand nombre de départements les ont réclamés par des Adresses multipliées : nous citerons les départements du Gers, du Tarn, des Bouches-du-Rhône, du Loiret, de la Sarthe, du Calvados, de l’Hérault, de l’Yonne, de l’Ardèche, de la Côte-d’Or, des Côtes-du Nord, de l’Ariège, de la Dordogne, du Mont-Blanc, de la Moselle, des Hautes-Pyrénées, du Bas-Rhin, de la Charente-Inférieure, et du Jura.

Ce ne sont pas des écoles secondaires. Elles sont devenues inutiles par l’étendue que vous avez donnée aux écoles ouvertes à l’enfance. Ces écoles présentent en effet tous les germes des connaissances qui seront enseignées dans les écoles centrales ; des établissements intermédiaires, des écoles de district ou de canton, seraient superflus. Le talent, qui seul doit s’élancer à ce nouveau degré de la hiérarchie scolaire, sera le lien de correspondance entre les écoles primaires et les écoles centrales. Des écoles secondaires formeraient aujourd’hui une institution aristocratique : car, ou les jeunes citoyens sans fortune, et obligés de se déplacer pour fréquenter ces écoles, y seraient soutenus par les bienfaits de la nation ; et dans ce cas vous la jetteriez dans des dépenses qu’elle ne pourrait soutenir que par des impositions oppressives ; ou vous ne couvririez pas de la munificence nationale le mérite réduit à l’impossibilité de suivre à ses frais ces écoles secondaires ; et, dès lors encore inaccessibles aux élèves sans fortune, quoique destinés par la nature à parcourir avec succès la carrière des arts, ces écoles ne seraient qu’une création anti-populaire, un outrage sanglant fait aux principes de l’égalité.

D’un autre côté, les éléments, auxquels on a toujours cru devoir borner l’instruction de l’adolescence, seront enseignés dans ces premiers établissements avec plus de choix et de variété, sans y être amalgamés avec ceux d’une langue certainement utile, mais qui, devenue l’unique véhicule de toutes les idées, retardait infiniment la marche de l’esprit humain dans les premières années de la vie. La jeunesse sera donc mieux instruite, et en moins de temps. Il est bon, il est nécessaire que le plus grand nombre des jeunes citoyens, sans aspirer à une instruction plus étendue, se distribue, en quittant ces écoles, dans les champs, dans les ateliers, dans les magasins, sur vos navires, dans vos armées. Tous ceux qui doivent former la masse de la génération auront trouvé dans les écoles primaires tout ce qu’il fallait pour remplir avec honneur, dans ces divers états, leur rang de citoyen. Il serait funeste à la chose publique de lui ravir des hommes utiles pour traîner encore pendant plusieurs années, dans de nouvelles écoles, des esprits vulgaires que la nature n’a pas prédestinés au génie.

Mais, pour la gloire de la patrie, pour l’avancement de l’esprit humain, il faut que les jeunes citoyens exceptés par la nature de la classe ordinaire trouvent une sphère où leurs talents puissent prendre l’essor ; quel que soit l’état où le hasard les ait fait naître, quelle que soit leur fortune, la nation s’empare de leur génie : elle les façonne pour elle bien plus que pour eux ; elle en fait à ses frais un Euclide ou un Dalembert, un Quintilien ou un Rollin, un Locke ou un Condillac, un Drake ou un La Peyrouse ; elle rassemble pour ce grand ouvrage tout ce qu’elle a de ressources, parce que les employer de la sorte, c’est moins les consommer que les multiplier. Elle ne considère pas les dépenses d’un tel établissement, parce qu’elle sait qu’il est essentiellement lié à son existence physique et morale, comme la force armée l’est à son existence politique. Elle ne dit pas : « L’intérêt et l’amour-propre des particuliers, ou même la nature qui produit le génie, me garantissent tous ces avantages », parce qu’elle ne livre pas ainsi ses plus grands intérêts aux calculs de l’intérêt étranger, ou aux chances du naturel ; elle ne remet pas cette organisation à des temps plus favorables, parce que les temps sont marqués par l’irrésistible nécessité, oui, l’irrésistible nécessité ! La tyrannie a dévoré les génies les plus célèbres. Les flambeaux des sciences à demi éteints éclairent à peine quelques individus isolés et solitaires. Et si vous ne vous hâtez de les rallumer, la République va se perdre dans les ténèbres.

On vous a démontré déjà combien il est urgent de former des officiers de santé. Les communes les ont cédés aux armées où l’humanité, toujours sous le fer et dans le feu, réclame les secours les plus prompts. Vous propagerez la science de la vie, non comme autrefois, par des formules hiéroglyphiques et quelques adages applicables à tout, et par conséquent à rien, mais par une étude approfondie de la nature, qui, pour la conservation de ses trois règnes, a combiné entre eux des actions réciproques et des secours mutuels. C’est la connaissance de ces combinaisons éternelles qui formera notre système médical. Celui-là sera à l’abri des épigrammes du bel esprit et du mépris des philosophes. L’homme qui le possédera sera le vrai conservateur de l’espèce humaine ; et, par un rapprochement qui paraîtra singulier, mais qui n’en est pas moins réel, en guérissant les maux du corps, il portera le plus grand coup à l’incurable fanatisme, puisque, quand les médecins sauront guérir, le peuple n’ira plus recourir à d’impuissantes reliques. C’est dans l’impossibilité de les adresser à un mortel habile dans cet art, que la Grèce ouvrait à ses peuples le temple d’Esculape.

Tous les arts, toutes les sciences se tiennent et s’enlacent ; mais il en est qui ont une connexion plus étroite ; il en est d’autres, pour ainsi dire, supérieurs, qui entraînent dans leur tourbillon une foule d’arts subordonnés qui sont comme leurs satellites ; ils sont faits pour se réfléchir mutuellement leur lumière : ainsi la physique, la chimie, l’anatomie, l’histoire naturelle, quoique chacune ait sa sphère particulière et son existence à part, se rangent autour de la médecine ; et vous n’aurez fondé des écoles utiles pour celle-ci, que lorsque les autres auront leur chaire et leurs études. Ce sont les membres d’un même corps ; la privation d’un seul arrête ou gêne l’action de tous les autres.

Nous avons depuis longtemps négligé les belles-lettres, et quelques esprits, qui veulent passer pour profonds, regardent cette étude comme futile. S’ils avaient observé la marche de l’esprit humain, ils auraient vu toujours les belles-lettres s’élever comme l’aurore des sciences. Ce sont elles qui ouvrent l’esprit au jour de la raison, et le cœur a l’impression du sentiment ; elles substituent la moralité à l’instinct, elles polissent les peuples, elles exercent leur jugement, elles les rendent plus sensibles et en même temps plus dociles aux lois, plus capables de grandes vertus. Chez les peuples anciens qui ont marqué dans l’histoire, les lettres ont tenu lieu de toutes les sciences : ils n’avaient presque aucune vraie connaissance, mais ils étaient lettrés : ils avaient des poètes, des orateurs, des écrivains moraux, et ils ont été grands aux yeux de l’univers.

L’illustre philosophe de Genève, voyant dans la corruption les peuples éclairés, conclut que les lettres les avaient corrompus ; il aurait dû dire qu’ils l’avaient été, non par les lettres, mais malgré les lettres qui, dans cet état de décadence, modifiaient encore l’action du vice et rallumaient de temps en temps, dans les âmes le flambeau de l’honneur ; oui, jusqu’à l’abus qu’on en a fait, tout prouve le bon usage qu’on en pouvait faire.

Encouragez donc l’étude et le perfectionnement des belles-lettres ; ressuscitez les langues anciennes pour enrichir la nôtre de leurs trésors ; les auteurs de l’antiquité respirent l’amour sacré de la patrie, l’enthousiasme de la liberté, et cette haine vertueuse que l’être sensible doit aux oppresseurs de l’humanité. Rapprochez de vous les langues principales de l’univers moderne ; ce n’est que par là que la vôtre peut se perfectionner ; et vos idées ne s’étendront, ne se rectifieront que par l’importation de toutes les idées étrangères. Dès lors la poésie, la musique, l’éloquence, qui agissent si fortement sur un peuple libre, prendront en France le caractère qu’elles doivent avoir et qu’elles n’ont jamais eu ; dès lors, au lieu d’Anacréon, vous aurez des Tyrtées et des Homères ; au lieu d’Isocrate, vous aurez des Démosthènes ; surtout si par vos institutions les grands principes de la morale républicaine deviennent populaires, et si votre législation sublime cesse d’être la science du petit nombre.

En général, on avait senti la nécessité de ces branches d’enseignement ; on ne s’était trompé que sur la fin et les moyens : mais pourquoi l’agriculture, le commerce, les arts et métiers, n’ont-ils jamais eu leurs écoles ? Pourquoi les a-t-on livrés à la routine de l’instinct ou à l’intérêt de la cupidité ? Croyait-on à l’impossibilité de les réduire en principes ? ou pensait-on qu’en ce genre les méprises fussent sans conséquence, et la perfection sans valeur ? Vous vengerez les arts et métiers, l’agriculture et le commerce, de cet oubli des nations : non en allant comme les rois, poser sur le soc, en un jour solennel, une main protectrice, cette vaine cérémonie avilit ce qu’elle a l’air d’élever ; mais vous assignerez des instituteurs qui abrègent, qui assurent la marche de l’industrie. L’expérience démontre l’utilité de ces sortes d’établissements. Le célèbre Smith a donné à Édimbourg des leçons sur le commerce, dont la réunion et l’ensemble ont formé l’Essai sur les richesses des nations, l’ouvrage peut-être le plus utile aux peuples de l’Europe. L’agriculture date des premiers jours du monde, et elle est à une distance immense de la perfection ; c’est que la charrue, poussée au hasard, n’a jamais été précédée du flambeau de la réflexion ; et si elle est plus florissante sur les bords de la Tamise, c’est que la patrie reconnaissante y a l’œil sur le cultivateur, et que le premier qui y sema du gland, d’où sortent les vaisseaux de ligne, a obtenu des statues éternelles.

Il est sans doute une foule d’exercices auxquels on élevait la jeunesse, qu’il faut absolument proscrire de l’éducation nationale et livrer aux fantaisies des particuliers ; mais il est du grand intérêt de la patrie de s’assurer que les mathématiques se cultivent et s’approfondissent, parce qu’elles donnent le pli de la vérité, parce que sans elles l’astronomie et la navigation n’ont plus de guide, l’architecture civile et navale n’ont plus de règle, la science de l’artillerie et des sièges n’a plus de base. Rien, en un mot, de ce qui a quelque degré d’utilité publique ne doit être négligé dans votre système d’instruction gratuite, pas même le dessin, qui n’a été considéré jusqu’à présent que relativement à la peinture mais qui, sous le rapport du perfectionnement des sens, accoutumé les yeux à saisir fortement les traits de la nature, et est, pour ainsi dire, la géométrie des yeux, comme la musique est celle de l’oreille.

Voilà les principaux objets d’enseignement qui seront traités avec une certaine étendue dans les nouvelles écoles, que nous nommons centrales, parce qu’elles seront placées au centre des écoles primaires de chaque département, et à la portée de tous les enseignés.

Quel plus beau spectacle que de voir, dans toute la République, s’élever ces savantes constructions où se réuniront, dans un foyer commun, les lumières de chaque département ! Vous y rassemblerez les hommes éclairés des collèges que vous allez supprimer ; en les unissant aux élèves sortis des écoles normales, ils seront forcés d’en suivre la direction. C’est là que les gens de lettres qui, cachés au fond de leur cabinet, y nourrissent solitairement le feu du génie, iront avec allégresse en répandre l’influence. C’est là aussi qu’après tant de campagnes célèbres, les amis des arts qui sont dans nos armées viendront servir la patrie d’une manière aussi utile et moins dangereuse, et unir les palmes des lettres aux lauriers de la victoire. C’est là enfin que vous recueillerez, de tous les points de chaque département, les divers monuments des arts qui doivent servir à leur reproduction ; dispersés, ils sont sans objet et sans utilité : réunis, exposés à l’admiration publique et à l’émulation du talent, ils allumeront dans les âmes le feu qui les a créés. Mais à cet égard nous devons à la nation un grand exemple d’égalité et de fraternité. Vous avez dans la commune de Paris des richesses incroyables dans ce genre. Il est sans doute essentiel que les artistes et les savants trouvent dans cette métropole des sciences et des arts les plus riches collections ; mais n’accaparez pas une opulence inutile. Pourquoi le superflu des cabinets et des bibliothèques de Paris ne serait-il pas versé dans les départements ? Gardez tous les chefs-d’œuvre uniques, il est juste qu’ils fassent l’ornement des lieux qui les ont vus naître ; mais tous les doubles en fait de tableaux, de livres, de statues, de machines, d’objets quelconques d’études, vous en enrichirez les écoles départementales. Le génie portera ainsi sa flamme épuratrice jusqu’aux extrémités de la République. De là, par un effet réciproque, reporté naturellement vers le centre, il se formera une circulation d’où dépend l’embonpoint et la vie du corps social.

Les écoles normales ont annoncé à la France le complément de l’instruction, qui ne peut être que dans les écoles centrales ; vous ne laisserez pas l’édifice imparfait. L’univers, la postérité sauront qu’au milieu des orages d’une révolution inouïe, dans les crises d’une guerre dont vous souffliez l’embrasement sur vingt nations punies de leurs forfaits ; tandis que, dans l’intérieur, vous terrassiez d’une main le crime et l’immoralité, et que de l’autre vous cicatrisiez les plaies que la patrie avait reçues de ses parricides enfants, votre génie infatigable, combattant sans relâche l’ignorance et le vandalisme qui menaçaient d’envelopper la République, élevait un temple immense, un temple éternel, et jusqu’à vous sans modèle, à tous les arts, à toutes les sciences, à toutes les branches de l’industrie humaine, et que vous assuriez par ce chef-d’œuvre, à la nation française, sur les peuples de l’univers, une supériorité plus glorieuse que celle que nous avaient donnée les succès de nos armées triomphantes.


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