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Des questions politiques récurrentes
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Un texte de Pascal Ourghanlian
 

En France, les textes officiels organisent l’année de travail de l’élève(1) sur 36 semaines réglementaires(2). La semaine scolaire s’étend sur 26 heures(3), interrompue le mercredi(4). Des aménagements particuliers (semaine de quatre jours ou autres formes de semaine aménagée) sont possibles(5), sous réserve que l’économie générale de l’année soit préservée (cinq périodes de travail, quatre périodes de vacances), que les durées de la journée et de la semaine ne soient pas allongées et que les répartitions des heures d’enseignement par discipline soient préservées(6). Cette organisation est, globalement, équivalente à celles des autres pays européens(7) (à l’exception de l’Espagne et de l’Italie), seule la durée de la journée étant différente (la française étant la plus longue).

Or, de manière récurrente, en de multiples occasions (rentrée scolaire, publication du calendrier scolaire tri-annuel, vacances d’hiver “mal” réparties pour les professionnels du tourisme, difficultés de circulation), cette organisation est remise en cause par les uns ou par les autres, chacun proposant sa solution, le plus souvent en réponse à son point de vue propre.

 

L’organisation de la semaine et de la journée

Si la chronobiologie n’est vulgarisée que depuis 1970, les éléments scientifiques sur lesquels elle se fonde datent, au moins, de la Seconde Guerre mondiale. Ils mettent en évidence que le rythme essentiel de l’organisme est la journée (rythme circadien, 24 h. +/- 4h.), celui qui fonctionne selon l’alternance veille/sommeil, et qu’aucun rythme dont la semaine serait l’empan n’a pu être mis à jour. Hubert Montagner(8), François Testu(9) et d’autres montrent que réfléchir à un aménagement de la semaine, sans penser d’abord un aménagement de la journée, prenant en compte temps forts (9 h.30-11 h. 30 et 14 h. 30-17 h.) et temps faibles, n’a aucun sens.

Pour ces chercheurs, les performances cognitives optimales dépendent de la stabilité des rythmes veille/sommeil (alternance jour/nuit, régularité des repas, des moments de jeux ou de promenade, régularité des heures de coucher et, surtout, d’éveil) et d’une bonne qualité du sommeil. Les variations de l’activité intellectuelle ont essentiellement été étudiées au cours de la journée, les modifications au cours de la semaine beaucoup moins, ces dernières étant par ailleurs les plus dépendantes des modalités d’organisation hebdomadaire. De manière dite « classique », la performance de l’activité intellectuelle de l’enfant s’élève du début jusqu’à la fin de matinée scolaire, chute au moment du repas, puis progresse de nouveau, plus ou moins selon l’âge, au cours de l’après-midi scolaire, sauf le lundi, jour où les performances sont moindres. Ce rythme n’est plus vérifié lorsque l’aménagement de la semaine est conçu sur quatre journées (avec pause le mercredi), voire s’inverse chez les enfants les plus jeunes et/ou les plus en difficulté sociale - ce qui doit conduire à interroger les modalités retenues d’aménagement du temps de l’enfant.

Le point de vue des chronobiologistes, sans doute le plus respectueux des rythmes propres de chaque enfant, ne peut être le seul versé au débat : l’école s’inscrit dans une société dont la dynamique de l’emploi est telle que divers secteurs économiques, par le biais d’un lobbying efficace, en font un enjeu auquel les parents d’élèves, eux-mêmes impliqués dans le monde du travail, ne peuvent rester insensibles... Voici les conclusions du dernier rapport officiel diligenté par l’Éducation nationale sur le sujet(10).

La réforme des rythmes scolaires apparaît très inégalement engagée

1. Elle touche très diversement écoles et élèves :

– Moins d’un tiers des écoles apparaît concerné : 30 % des écoles, 29 % des élèves ;

– La semaine de quatre jours, sans expérimentation pédagogique, est la modalité d’aménagement qui l’emporte largement.

2. Les expériences sont très diverses dont se dégagent quelques grands constats :

– Il existe de nombreux facteurs de diversification des expériences : existence ou non d’une réflexion pédagogique et éducative aboutie, existence ou non d’activités complémentaires à l’école ;

– Les aménagements des rythmes scolaires ne semblent pas avoir d’effet visible sur les performances scolaires des élèves ;

– Il existe un « effet école » marqué : le succès apparaît davantage corrélé à l’implication générale de l’équipe qu’à un mode privilégié d’organisation ;

– L’ampleur et la variabilité des coûts posent un problème d’équité ;

– L’attachement des communautés scolaires (enseignants + parents + municipalité) à leur forme d’aménagement des rythmes est fort.

 

Avantages et inconvénients des deux grands types d’aménagements

1. La semaine de quatre jours :

– Des avantages évidents : elle répond à une demande sociale forte et favorise les relations entre parents et enfants ; elle est simple de mise en œuvre et de coût global moindre que les autres formes d’aménagement ;

– Des inconvénients bien réels : la semaine organisée sur quatre jours traduit rarement un projet centré sur les apprentissages de l’élève ; dans les zones urbaines, les temps où l’enfant est « livré à lui-même » sont plus importants.

2. La semaine de cinq jours avec aménagement des rythmes scolaires :

– L’aménagement consiste le plus souvent à reproduire les modalités d’organisation sur quatre jours (report des cours du samedi au mercredi, récupération de jours sur les congés) ;

– Les objectifs sont plus souvent éducatifs que pédagogiques ;

– Des problèmes récurrents apparaissent : coordination enseignants-intervenants difficile à mettre en œuvre, addition des différents temps (d’accueil, scolaire, périscolaire) provoquant un allongement du temps d’activité global, source de fatigue, surcoût pour les communes (personnels et locaux).

 

Perspectives

1. Aucune solution nationale ne paraît pouvoir s’imposer à l’ensemble des écoles.

2. L’abandon pur et simple de l’aménagement sur quatre jours, lorsqu’il existe, n’est pas envisageable.

3. Le report du temps d’école du samedi au mercredi est intéressant à tous égards et est à encourager.

4. De nombreuses écoles, réputées hors aménagement des rythmes scolaires car dotées d’un emploi du temps classique, connaissent un véritable aménagement du temps de l’enfant.

 

Manière élégante et circonstanciée (sur 74 pages tout de même !), d’enterrer toute velléité de réforme qui ne pourrait satisfaire tous les acteurs, particulièrement ceux qui ont habituellement le dernier mot, les acteurs économiques... Quant aux besoins de l’enfant...

 

L’organisation des cycles d’apprentissage

Une manière de répondre à ces derniers ou, plus exactement, une manière de laisser à celui-ci le temps dont il a besoin pour entrer dans les apprentissages qui lui sont proposés, a consisté à « éclater » l’unité temporelle annuelle du « cours » pour la remplacer par celle, plus large, du « cycle ». Des cours préparatoire, élémentaire et moyen, les textes sont passés aux cycles des apprentissages premiers, fondamentaux ou des approfondissements, qui répartissent sur deux, trois voire quatre années les compétences à acquérir. Organisation susceptible de répondre à l’exigence posée par Vygotski : l’apprentissage précédant le développement, une compétence peut être reprise à des niveaux de complexité différents tout au long de la scolarité.

Comme souvent dans l’Éducation nationale, ce dispositif en cycles d’apprentissage – permettant d’éviter les redoublements, reprises à l’identique d’une année scolaire, les ruptures d’un niveau de classe à l’autre, la fragmentation des savoirs, de centrer l’activité d’enseignement du maître sur les stratégies d’apprentissage de l’élève – s’est superposé aux structures anciennes des cours, sans les remettre en cause dans la plupart des cas. L’unité de la classe n’ayant pas été abandonnée, ni l’organisation temporelle de la journée, aucun effet bénéfique sur les rythmes de l’enfant n’a pu être mis à jour grâce à ce qui aurait pu être une véritable révolution des pratiques au sein de l’institution.

Mais, comme le souligne François Testu : « Les aménagements du temps scolaire ont été conçus par et pour les adultes. Ils ont pratiquement toujours résulté des exigences économiques, politiques, religieuses et sociales de la société adulte du moment. La mise en place de la coupure du mercredi, des vacances d’été, des vacances de février et de la semaine de quatre jours illustre bien l’incidence des facteurs politiques et économiques sur le fonctionnement de l’école, sur les aménagements du temps scolaire. Ils témoignent d’une évolution de notre société qui, après avoir établi son identité politique et économique, réglé ses systèmes de production, a libéré du temps : temps de vie, temps de travail, temps des loisirs, temps scolaire... Ils soulignent aussi le peu de cas que les adultes font de l’intérêt des enfants »(11).

La remise à l’honneur du redoublement, l’abandon de l’aménagement du temps de l’enfant comme priorité, la centration de nouveau excessive sur les seuls savoirs – tous ces éléments sont des indicateurs d’un amoindrissement de l’intérêt porté aux besoins propres, et spécifiquement différenciés de 2 à 12 ans, des enfants scolarisés à l’école primaire(12).

Pascal Ourghanlian
Septembre 2006


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Notes

(1) L’enseignant, lui, est redevable de 1607 heures annuelles. Le temps de présence devant les enfants étant de 936 heures (36 x 26), restent donc 671 heures, consistant en préparations, corrections et temps de réunions... imputables au temps de service, et qui correspondent à plus de 3 heures quotidiennes de « labeur hors élève » par jour ouvré !...

(2) L’article L. 521-1 du Code de l’Éducation détermine les principes applicables à l’établissement du calendrier des vacances scolaires : il fixe la durée de l’année scolaire à « 36 semaines au moins, réparties en cinq périodes de travail, de durée comparable, séparées par quatre périodes de vacances des classes » et dispose que le calendrier des vacances scolaires de l’enseignement primaire et secondaire est arrêté par le ministre de l’Éducation nationale, pour une durée de trois ans.

(3) Arrêtés du 22 février 1995 et du 25 janvier 2002.

(4) Arrêté du 12 mai 1972.

(5) Le Code de l’Éducation, dans l’article cité, prévoit des possibilités d’adaptation « pour tenir compte des situations locales ».

(6) Article 10 du décret n° 90-788 du 6 septembre 1990.

(7) Note de synthèse LC 91 du Sénat de juin 2001 : http://www.senat.fr/lc/lc91/lc91.html.

(8) H. Montagner, Rythmes de l’enfant et de l’adolescent, Stock, 1983 (rééd. 1992).

(9) F. Testu et G. Fotinos, Aménager le temps scolaire, Hachette, 1996 ; F. Testu et R. Fontaine, L’enfant et ses rythmes, Calmann-Lévy, 2001.

(10) IGEN, L’aménagement des rythmes scolaires à l’école primaire, janvier 2000.

(11) F. Testu, « Aménager le temps scolaire. Pour qui ? », in Enfances et Psy n° 13, 1er trimestre 2001, p. 67.

(12) Voir, bien que plus ancien que les remises en cause actuelles, le remarquable article de Chryssafo Kassimi, Olivier de Peretti et Élisabeth Bautier, « L’aménagement des rythmes scolaires : une politique nationale territorialisée ou l’émergence de politiques de territoire » in Ville-École-Intégration n° 117, juin 1999, p. 127-143. « Le contrat d’aménagement des rythmes scolaires institué en 1995 risque, faute d’une symbolique forte, de favoriser des initiatives qui, sous prétexte de prendre en compte les réalités et les spécificités locales, se substituent à l’intérêt général dont l’État est le garant. Les ARS mis en place laissent voir une grande hétérogénéité dans leurs logiques et leurs objectifs : démocratisation des apprentissages scolaires, socialisation, construction d’une culture commune non scolaire, développement local, logique de service ».


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