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Enseigner, transmettre, construire
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Un texte de Pascal Ourghanlian
 

Il y a tout intérêt, une nouvelle fois, à revenir à l’étymologie. Cette dernière montre qu’il y a de l’espace et du temps dans la notion de projet. Le projet, c’est ce que je pose devant moi, à la fois pour en avoir une vision globale et pour en mettre à jour, de manière analytique, les articulations - c’est l’approche spatiale, horizontale, de l’organisation et de la division du travail. Mais le projet c’est aussi ce qui oriente la tâche vers un but, un terminus ad quem qui, par visée rétrospective, en signifiera l’accomplissement - c’est l’approche temporelle qui inscrit le projet entre un début et une fin.

On a souvent fait le reproche au projet dans l’école de n’être que l’un des éléments de l’importation d’une culture d’entreprise au sein du monde de l’éducation. Il n’en reste pas moins que son utilisation scolaire est ancienne, et réfère plus à une approche marxiste de la division du travail, qu’à une visée productiviste.

« Pour Dewey (1859-1952) aux USA, le projet centre les connaissances à acquérir sur un thème de travail, comme par exemple l’étude d’une usine ou encore la production d’un journal scolaire. Son système “learning by doing” (apprendre en faisant) est fondé sur les occupations de l’élève et sur la formation cognitive par l’expérience effectuée. Le maître a un rôle de guide.

 

En ex-URSS, Makarenko développe la méthode des complexes. Celle-ci fonctionne aussi autour d’une production, d’un thème d’actions et de recherche, socialement utiles et résultant d’actions individuelles et collectives. Le travail utile à la société devient instrument d’éducation.

 

En France, Célestin Freinet s’inspire des méthodes de la division du travail et développe un système à trois dimensions dans lequel :

– les connaissances s’élaborent grâce aux projets d’action et de recherche,

– la classe est organisée en coopérative,

– l’école produit et diffuse ses propres instruments de travail (dont le journal scolaire) »(1).

 

De manière générale, un projet est une globalité (un ensemble, un système – les termes ne sont pas exactement équivalents et renvoient à des cadres théoriques différents) réunissant des moyens (humains, matériels et financiers) en vue de la réalisation d’une fin (objectifs généraux et objectifs spécifiques), selon une programmation anticipée et dans un temps contraint.

Pour Jean-Pierre Boutinet, la cohérence d’un projet peut être mise à jour en examinant

Dans le domaine de la pédagogie, le projet part de la réunion volontaire d’un groupe d’élèves autour d’une activité pour laquelle ils ont un intérêt commun (Ovide Decroly a développé la notion de « centres d’intérêt »). C’est la réalisation de cette activité (il n’y a pas de projet sans production) qui va les mettre en situation d’apprendre (le learning by doing de John Dewey) par le dépassement des difficultés rencontrées (les situations-problèmes de Philippe Meirieu). Toute la tâche du maître, et non la moindre, est de proposer des projets qui permettent que les notions au programme soient effectivement abordées, distinguant ainsi la logique de l’apprentissage, dont il est le garant, de la logique du projet, qui peut avoir ses contraintes propres (une date d’exposition à respecter, un cadeau de fête des mères à offrir, un journal scolaire à faire paraître, etc.). L’intérêt principal de cette approche est la gestion de la complexité(3), et donc son rapport étroit à la « vraie vie » ; sa principale difficulté tient à cette nature même, qui rend inopérante l’organisation en paliers successifs d’apprentissage, du simple au complexe, selon la démarche prônée en son temps par Descartes(4) et qui demeure le cadre conceptuel dominant chez les enseignants.


La notion de projet pédagogique n’est pas, pour autant, monolithique. Les modalités de réunion d’acteurs autour d’un projet et les objectifs qu’ils poursuivent peuvent se décliner à quatre niveaux, du plus général au plus particulier :


On voit bien que, quel que soit le niveau où l’on se situe, trois critères déterminent si l’on est dans une démarche de projet ou non :


Ainsi conçue, la pédagogie de projet renvoie aux trois dimensions de l’apprendre / enseigner qui la différencie d’une pédagogie « traditionnelle » (voir le tableau) :

« D’un point de vue épistémologique, [la démarche de projet] souligne le fait que la connaissance se construit plus qu’elle ne se transmet (...)

 

D’un point de vue psychologique, elle rappelle que la motivation à apprendre est d’autant plus forte que l’activité d’apprentissage prend son sens pour l’apprenant, que celui-ci perçoit le savoir à acquérir comme le produit d’un processus d’acquisition dont il est le sujet, comme la réponse aux questions qu’il se pose, ou comme le but d’un projet d’apprentissage dans lequel il se reconnaît.

 

D’un point de vue éducatif, en développant l’autonomie et la responsabilité du jeune, elle le prépare à se monter actif et entreprenant dans sa vie personnelle et sociale, elle lui permet de se percevoir comme le sujet de ses actes et de son devenir »(7).


Pratiques pédagogiques(8) Une pédagogie traditionnelle envisage essentiellement : Une pédagogie intégrant la démarche de projet veut aussi et surtout :
Intentions pédagogiques – assimilation
– intégration (personnalisation du modèle)
– autonomie
– responsabilité
– initiative
– activité
Contenus – somme de connaissances
– référence aux diplômes
– diversité et structuration des connaissances
– raisonnement, esprit critique
– capacité et compétences
Méthodes – cours magistraux
– exercices d’application
– pédagogie différenciée
– centration sur l’élève, prise en compte des potentialités
– exercices motivants suscitant intérêt, activité et créativité
Institutions – conventions, règlements
– discipline ; sanctions
– contrat
– autonomie, participation
Démarches d’évaluation – évaluation sommative – évaluation formative
Attitudes / Relations – enseignant dogmatique
– soumission de l’élève
– coopération
– participation aux contenus et aux méthodes

Plus que l’image des poupées russes fonctionnant par emboîtements successifs, c’est sans doute l’analogie avec le réseau qui permet de décrire au mieux la mise en relation des différents niveaux de projets.

Cette mise en relation ne peut se concevoir sans quelques appuis forts, quatre au moins :

S’appuyant sur une posture éthique, par un travail de reformulation des savoirs, la pédagogie de projet débouche sur une pratique de classe respectueuse de chacun, utilisant l’étayage du groupe et donnant du sens aux apprentissages. Espace intermédiaire entre l’immanence de savoirs qui s’imposent et l’impossibilité d’apprendre, elle est une piste médiane qui donne la possibilité au plus grand nombre de faire face à la complexité et de s’y faire une place...

Pascal Ourghanlian
Septembre 2006


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Propositions bibliographiques


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Notes

(1) « Les contributions à la notion de projet ». Texte inspiré de Louis Not, précédemment en ligne sur le site de l’IUFM d’Auvergne, aujourd’hui disparu. On peut le retrouver ICI.

(2) J.-P. Boutinet, Anthropologie du projet, PUF, 1990, (3ème éd., 1993, p. 239).

(3) La référence « incontournable » est Edgar Morin ; voir, par exemple, pour une première approche : « Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur », UNESCO, 1999 : « La connaissance pertinente doit affronter la complexité. Complexus signifie ce qui est tissé ensemble ; en effet, il y a complexité lorsque sont inséparables les éléments différents constituant un tout (comme l’économique, le politique, le sociologique, le psychologique, l’affectif, le mythologique) et qu’il y a tissu interdépendant, interactif et inter-rétroactif entre l’objet de connaissance et son contexte, les parties et le tout, le tout et les parties, les parties entre elles. La complexité, c’est, de ce fait, le lien entre l’unité et la multiplicité. Les développements propres à notre ère planétaire nous confrontent de plus en plus souvent et de plus en plus inéluctablement aux défis de la complexité. Par conséquent, l’éducation doit promouvoir une “intelligence générale” apte à se référer au complexe, au contexte, de façon multidimensionnelle et dans une conception globale ».

(4) R. Descartes, Le discours de la méthode, pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, 1637 (c’est moi qui souligne).

(5) Pour leur part, Marc Bru et Louis Not proposent de distinguer « cinq fonctions principales à la pédagogie de projet :
- une fonction de motivation : les élèves s’engagent dans des activités dont ils perçoivent le sens, et renouvellent leurs intérêts pour l’école ;
- une fonction didactique : le traitement des connaissances et des compétences à acquérir est restitué dans l’action du projet ;
- une compétence économique : le produit ou l’action à réaliser nécessiteront des moyens et des aides financières ; il faudra donc intégrer des contraintes qui imposent du temps et des ressources ;
- une fonction sociale : tout projet passe par une médiation avec des partenaires ;
- une fonction politique : dans une perspective de participation active à la vie collective, c’est une formation à la vie civique ».
M. Bru et L. Not, Où va la pédagogie de projet ?, 1987, cité in J.-C. Ruano-Borbalan, Éduquer et former, Sciences humaines, 1998, p. 149.

(6) Pour une mise à plat lisible des différentes phases structurant un projet, voir L. Lafortune, « Une pédagogie du projet » in Cahiers pédagogiques n° 408, novembre 2002, coordonné par J.-F. Tressol, Savoir, c’est pouvoir transférer ?, pp. 35-36.

(7) J. Charpentier, B. Collin et E. Scheurer, De l’orientation au projet de l’élève, Hachette, 1993, pp. 98-99.

(8) D’après J. Charpentier, B. Collin et E. Scheurer, op. cit. J’ai ajouté et distingué la rubrique « évaluation ».

(9) A. Lestage et P. Belmas, Réseaux de projets et réussite scolaire, Nathan, Pédagogie, 1997, p. 21.

(10) Op. cit. p. 23.

(11) Op. cit. p. 24.


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