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Faire la classe – Gérer la classe
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Un texte de Pascal Ourghanlian
 

Évaluer, c’est mesurer ; puis rapporter cette mesure à un ensemble de référence ; et enfin porter un jugement de valeur sur l’écart ainsi mis à jour.

Dans sa concision même, cette définition a pour elle sa simplicité. Et, dans le même temps, chacun des trois termes qui la constituent pose problème, par lui-même et dans ses rapports à chacun des deux autres.

Le sujet de l’évaluation à l’école étant certainement le plus débattu, il ne sera fait état ici que de quelques réflexions générales, sans entrer dans des considérations techniques qui pourront être explorées grâce à la bibliographie proposée.

Il est une forme de psychologie à l’école dont on ne fait pas souvent mention, que l’on pourrait qualifier de psychologie écologique ou systémique en ce qu’elle se centre sur le réseau des interrelations entre les acteurs et qui doit beaucoup à la psychosociologie. Elle fait de l’observation et de l’évaluation des outils de régulation des comportements de chacun et de ses relations à l’autre (aux autres) et au savoir.

 

L’observation

Deux outils d’observation sont privilégiés dans une telle démarche :

 

L’évaluation

Voici sans doute le sujet qui a produit la littérature la plus importante (au moins en quantité) dans les domaines couverts par les sciences humaines... à tel point que certains textes officiels récents parlent de la nécessité d’une culture de l’évaluation dans l’Éducation nationale.

Car si évaluer c’est « mesurer », ce n’est pas pour autant « noter », ou pas seulement. Philippe Meirieu prévient : « Rien n’est plus néfaste que la confusion systématique de l’évaluation et de la notation : l’évaluation, en effet, renvoie à « ce qui a de la valeur » tant pour l’évaluateur que pour l’évalué, tandis que la notation, dans l’immense majorité des cas, consiste à classer une performance parmi d’autres (...) La notation est une réduction statistique qui abolit très largement « la valeur » pour la remplacer par « la comparaison » qui dit à chacun comment il se situe par rapport aux autres, alors que l’important est qu’il puisse se situer par rapport à lui-même (...) Noter tout et tout le temps, c’est se condamner à ne donner de la valeur aux réussites de certains élèves qu’en fonction des échecs des autres »(3).

Une évaluation digne de ce nom, à l’école, ne peut donc être que formative. Son objectif est d’informer, l’apprenant comme l’enseignant, du degré de maîtrise d’un apprentissage, que celui-ci soit notionnel, méthodologique ou stratégique. Elle permet le retour réflexif de l’un sur ses démarches d’apprentissage (par la prise de conscience de ses manières de faire et leur analyse, que permet la métacognition), de l’autre sur les situations d’apprentissage proposées et leur pertinence. Elle facilite, pour l’un, la confiance et l’intérêt (elle joue sur la motivation) et oblige l’autre à être au plus près des besoins de l’élève, dans une démarche d’accompagnement. Elle modifie le rapport au savoir de l’un en l’aidant à sortir du métier d’élève et conduit l’autre à une régulation de son action qui en fait un praticien réflexif.

Pour reprendre une distinction introduite par Jean Cardinet(4), l’évaluation formative se déploie à l’intérieur d’un cursus scolaire donné. Elle est la seule qui soit entièrement congruente au lieu où elle s’exerce. Les deux autres types d’évaluation se situent soit en amont (l’évaluation diagnostique(5)) soit en aval (l’évaluation certificative) de l’apprentissage en tant que tel, et déborde son cadre scolaire. Dans ce sens, Philippe Perrenoud plaide pour une extension de l’usage de l’évaluation formative, dans le cadre d’une pédagogie différenciée : 

« L’évaluation formative, comme outil de régulation des apprentissages et des enseignements, n’est rien d’autre qu’une composante d’une pédagogie différenciée. Pour que chaque apprenant soit constamment ou du moins très souvent confronté aux situations didactiques les plus fécondes pour lui, définition très simple de la différenciation, il importe que l’enseignant sache ce que l’élève a compris, acquis, sur quoi il bute, comment il apprend, ce qui l’aide ou le perturbe, l’intéresse ou l’ennuie, etc. C’est la fonction de l’évaluation formative : en savoir assez pour optimiser les situations d’apprentissage proposées à chaque élève (...)

L’évaluation formative peut contribuer à surmonter les trois obstacles fondamentaux que rencontre la pédagogie différenciée dans un cycle (comme dans une classe) :

1. Un enseignant, même bien formé et expérimenté, ayant tout son temps, entièrement disponible pour un seul élève, ne parvient pas toujours à comprendre la nature des difficultés d’apprentissage, à imaginer une stratégie adéquate et enfin à la mettre en œuvre avec continuité, en l’ajustant jusqu’à ce qu’elle produise des résultats. L’évaluation formative participe alors à la construction d’une représentation précise non seulement des acquis de l’élève, mais de sa façon d’apprendre, de son rapport au savoir, de son projet, de ses ressources. C’est à cette condition que l’enseignant pourra donner une réponse satisfaisante à la question : que faire pour aider cet élève à apprendre ?

2. Dans une école, il est impossible, faute de temps, d’énergie, de moyens, d’activités suffisamment riches et diverses, d’offrir constamment à chacun une " éducation sur mesure ". C’est un problème de gestion de classe et de répartition des ressources rares. On peut optimiser le traitement des différences dans l’optique d’une pédagogie différenciée, surtout en travaillant en équipe et en cycle, mais on restera loin de l’idéal, parce que le rapport entre le nombre d’enseignants et le nombre d’élèves restera toujours nettement moins favorable que dans d’autres métiers, où la prise en charge est essentiellement individualisée. L’évaluation formative a donc aussi une dimension stratégique : identifier les urgences, les leviers, les problèmes qu’il faut traiter en priorité (...).

3. Même si les ressources de régulation étaient sans limites, il ne serait ni possible, ni souhaitable, d’optimiser constamment les situations d’apprentissages proposées à chaque élève, pour des raisons d’ordre relationnel et affectif autant que cognitif :

– les savoirs et les compétences de haut niveau se construisent dans l’interaction, au sein d’un groupe ; il est impossible de maîtriser complètement ce qui arrive à chacun sans paralyser le fonctionnement collectif ;

– aucun apprenant ne supporterait une prise en charge aussi « dense », il se rebellerait contre une optimisation constante des situations d’apprentissage qu’on lui propose ; l’observation formative participe d’une forme de transparence qui peut accroître la pression sur les apprenants, voire provoquer une ingérence dans la sphère privée des élèves voire des familles ».(6)


Et cette extension prônée par Perrenoud rejoint la définition que formulait Georgette Nunziati de l’évaluation formatrice : « À ces objectifs de régulation pédagogique, de gestion des erreurs et de renforcement des réussites, l’évaluation formatrice ajoute de façon prioritaire ceux de représentation correcte des buts, de planification préalable de l’action, d’appropriation des critères et d’autogestion des erreurs »(7).

L’évaluation devient alors un temps particulier d’une démarche globale, d’un positionnement pédagogique, voire d’une éthique professionnelle qui a à voir avec l’observation, pour favoriser la régulation à l’œuvre dans tout acte d’enseignement/apprentissage.

Pascal Ourghanlian
Septembre 2006


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Propositions bibliographiques


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Notes

(1) Au sens de Claude E. Shannon, théoricien américain de la communication et de l’information dont les travaux, particulièrement sur le feedback, seront repris par Jakobson.

(2) Voir M. Postic, Observation et formation des enseignants, PUF, 1977 (3ème éd., 1989).

(3) P. Meirieu, Faire l’École, faire la classe, ESF, 2005.

(4) J. Cardinet, « Des instruments d’évaluation pour chaque fonction », 1983 et « L’évaluation formative à l’école primaire », in Éducation et recherche, n° 3, 1989, pp. 288-295.

(5) L’évaluation diagnostique a pour objet de mettre à jour les points d’appui et les obstacles à un apprentissage en train de se mettre en place. Un bon exemple en est fourni par le dispositif des évaluations nationales CE1. L’évaluation certificative a pour objet de faire le point sur les acquis formulés par rapport à des attendus. Le baccalauréat en est l’exemple le plus évident.

(6) P. Perrenoud, « Les trois fonctions de l’évaluation dans une scolarité organisée en cycles », 2001.

(7) G. Nunziati, « Pour construire un dispositif d’évaluation formatrice », in Cahiers pédagogiques n° 280, janvier 1990, p. 57.


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