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Faire la classe – Gérer la classe
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Un texte de Pascal Ourghanlian
 

Ce qui a légitimé l’école républicaine des hussards noirs, c’est la disparition des différences(1) – dialectales, religieuses, socio-économiques – aussitôt franchie la porte de l’école publique. Dans une volonté d’égalité de traitement et dans une perspective d’intérêt général – faire de tous de bons citoyens –, les différences ne devaient surtout pas être prises en compte. Contribuer à les réduire consiste d’abord à les bannir de l’Institution.

À partir des années 60-70, avec la démocratisation de l’enseignement, l’idée d’égalité des chances s’est imposée au premier plan. Mais on a très vite constaté que l’accès possible de tous aux différents niveaux d’enseignement ne garantissait en aucune manière l’égalité des parcours scolaires. La question des différences socio-économiques et celle d’un échec scolaire touchant massivement les enfants issus des milieux populaires ont été soulevées.

Dans les années 80-90, ont émergé les idées de discrimination positive (« donner plus à ceux qui ont le moins ») et de différenciation pédagogique. La première a conduit à la politique des ZEP puis des REP, au dispositif des CP accompagnés. La seconde a débouché sur les notions d’aide individualisée, de groupes de besoin ou, plus récemment, de projet personnalisé de réussite éducative ou de parcours scolaire personnalisé.

Le professeur des écoles a pour mission de gérer l’hétérogénéité des niveaux mais aussi d’accueillir les enfants d’âge scolaire quelles que soient leurs différences (voir la politique d’intégration). Face à la déstabilisation des enseignants, l’Institution leur propose un arsenal d’évaluations, nationales ou départementales, qui veut les amener à observer leurs élèves, à savoir dire précisément où ils en sont dans la construction des compétences attendues.

Ce couple évaluation/différenciation est à la base du métier de professeur des écoles aujourd’hui, pour le meilleur de l’attention aux parcours et aux stratégies d’apprentissage des élèves, pour le pire d’une « évaluationite » aiguë qui place ces derniers en position de toujours avoir à faire leurs preuves...

L’expression de « pédagogie différenciée » a été introduite en France, à la fin des années 1970, au sein de l’Institut National de la Recherche Pédagogique (INRP), par Louis Legrand(2) et André de Peretti(3). Ils reprenaient l’essentiel des apports de la pédagogie de la maîtrise, née aux États-Unis au début des années soixante, dont voici les principes tels que proposés par Françoise Raynal et Alain Rieunier(4) :

« – définir précisément, en termes de comportement observable prouvant l’appren­tissage, les objectifs à atteindre en proposant des critères de maîtrise extrêmement clairs ;

– identifier très précisément les pré-requis ;

– évaluer exactement le niveau de départ des élèves avant le début de chaque leçon ;

– mettre tout le monde au même niveau (maîtrise des pré-requis) avant de commencer (activités d’apprentissages individualisés) ;

– dispenser la leçon ;

– vérifier à la fin de celle-ci quels sont les acquis réels des élèves en fonction des objectifs poursuivis ;

– identifier les élèves qui n’ont pas atteint le niveau de maîtrise prévu ;

– combler immédiatement le retard par des cours spéciaux qui portent le nom de “remédiation” afin que chacun se présente au début de la leçon suivante sans handicap ».

 

Louis Legrand cherche à dépasser le côté applicationniste de la démarche, son aspect mécaniste(5), tout en en conservant les points les plus positifs : le temps laissé à l’apprenant, la centration sur ses besoins propres et ses démarches, le rôle des situations d’apprentissage. Ce qui lui permet ce dépassement, c’est l’usage qu’il propose de faire de l’évaluation formative(6). Dans le cadre de la pédagogie de la maîtrise, l’évaluation réfère au système, elle fait de l’organisation et de la gestion de celui-ci l’élément premier par rapport à l’individu qui doit se situer par rapport à lui. Pour la pédagogie différenciée, dont Legrand se fait le défenseur, le cadre de référence de l’évaluation formative est celui qui fait de « l’identification et de l’analyse des difficultés de l’élève (...), l’élément central du système de formation (...) : l’individu est premier par rapport au système »(7).

Ce disant, une autre différence essentielle se joue entre la pédagogie de la maîtrise et la pédagogie différenciée. La première peut être mise en œuvre sans que rien ne soit changé à la manière de faire la classe : « La force de cette conception de la pédagogie de maîtrise réside en grande partie dans le fait qu’elle n’exige a priori aucun bouleversement profond des modes de fonctionnement habituels de l’école »(8).

Alors que Philippe Perrenoud montre combien il est difficile de « mettre l’élève au centre du système » et de prendre en compte ses manières de faire pour l’accompagner au plus près de ce qu’il est capable de faire tout seul, combien sont nombreux les deuils à faire, les renoncements à accepter :

« (...) pour différencier, il faut faire son deuil : 1. du fatalisme de l’échec, ce qui oblige à assumer une part de responsabilité, voire de culpabilité ; 2. du rejet des inégalités sur un bouc émissaire, ce qui amène à mettre en cause ses propres fonctionnements ; 3. du plaisir de se faire plaisir, en renonçant à tout ce qu’on aime faire même si ce n’est pas utile ; 4. de sa liberté dans la relation pédagogique, en acceptant d’être confronté intensivement à la distance culturelle, au conflit, au rejet ; 5. des routines reposantes, en se faisant à l’idée que rien n’est jamais acquis, qu’il faut réinventer la pédagogie tous les jours ; 6. des certitudes didactiques, parce que les élèves en échec résistent au savoir et obligent à envisager d’autres façons d’apprendre et d’enseigner ; 7. du splendide isolement, en mesurant l’impuissance du maître seul dans sa classe face à l’échec scolaire ; 8. du pouvoir magistral, en abandonnant le rôle du chef d’orchestre pour devenir personne-ressource, travaillant en coulisse plus que sous les feux de la rampe »(9)


Et de proposer de retenir quelques éléments essentiels d’une culture professionnelle développée par les tenants du soutien scolaire, réhabilité comme il convient :

« a. savoir observer un enfant en situation, avec ou sans instruments ;

b. maîtriser une démarche clinique(10) (observer, agir, corriger, etc.), savoir tirer un parti positif des essais et erreurs, être formé à une pratique méthodique, systématique ;

c. savoir construire des situations didactiques sur mesure (à partir de l’élève singulier plus que du programme) ;

d. savoir négocier/expliciter un contrat didactique personnalisé (sur le modèle du contrat thérapeutique) ;

e. pratiquer une approche systémique (...) ;

j. savoir qu’il faut souvent sortir du registre proprement pédagogique pour comprendre et intervenir efficacement ;

k. savoir tenir compte des rythmes des individus plus que des plannings de l’institution ;

l. être convaincu que les individus sont tous différents et que ce qui “marche” pour l’un ne “marchera” pas nécessairement pour l’autre (...) »(11).

Pascal Ourghanlian
Septembre 2006


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Propositions bibliographiques


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Notes

(1) « Il est interdit de parler breton, et de cracher par terre »...

(2) L. Legrand, La différenciation pédagogique, Scarabée, 1986 et Les différenciations de la pédagogie, PUF, 1995.

(3) A. de Peretti, Les points d’appui de l’enseignant : pour une théorie et une pratique de la pédagogie différenciée, INRP, 1984 (2ème éd., 1990).

(4) F. Raynal et A. Rieunier, Pédagogie : dictionnaire des concepts clés, ESF, 1997 (3ème éd., 2001), article « Pédagogie de la maîtrise », p. 275.

(5) On voit bien, par exemple, que la notion de pré-requis, longtemps à l’œuvre, en particulier à l’école maternelle par rapport à l’entrée au CP qu’il s’agissait de préparer, ne résiste pas à la conception de Vygotski selon laquelle l’apprentissage précède le développement.

(6) A. de Peretti, Recueil d’instruments et de processus d’évaluation formative, INRP, 1983.

(7) F. Raynal et A. Rieunier, op. cit., article « Pédagogie différenciée », p. 272.

(8) L. Allal, « Vers un élargissement de la pédagogie de la maîtrise : processus de régulation interactive, rétroactive, proactive » in M. Huberman, dir., Assurer la réussite des apprentissages scolaires : les propositions de la pédagogie de la maîtrise, Delachaux et Niestlé, 1988, p. 90.

(9) P. Perrenoud, « Du soutien pédagogique à une vraie différenciation de l’enseignement : évolution ou rupture ? », 1991, p. 5.

(10) Pour éclairer ce point, capital, voir la démarche initiée par Jean Piaget et explicitée dans M. Perraudeau, L’entretien cognitif à visée d’apprentissage, L’Harmattan, 2002.

(11) P. Perrenoud, art. cit., pp. 8-9.


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