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Faire la classe – Les approches disciplinaires
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Un texte de Pascal Ourghanlian
 

Les prescriptions officielles, comme les injonctions médiatiques, sont nombreuses qui font de la langue et de son acquisition l’objectif d’apprentissage prioritaire.

Comment expliquer que ce qui pourrait passer pour une évidence soit motif, tout à la fois, de rappel à l’ordre et d’étendard brandi ? Doit-on y voir la prise de conscience que la langue fédère la nation ? Qu’en aidant à penser et à mettre des mots sur le réel, elle est un élément du mieux-vivre ensemble ? Qu’elle a donc un pouvoir civique ? Ou bien qu’elle est l’élément fondateur de la liberté et de l’autonomie ? Qu’elle permet une mise à distance qui libère du réel et le rend vivable et transformable ? Qu’elle a donc un pouvoir citoyen ?

 

Des programmes à visée éducative

Les programmes de 1995 pour le cycle 2 indiquaient déjà : « La maîtrise de la langue conditionne toute la réussite scolaire et constitue le fondement de l’insertion sociale et de la liberté de réflexion. Ces enjeux essentiels, tant pour l’institution que pour chaque élève, requièrent de la part des enseignants une vigilance toute particulière à la diversité des rythmes et des modes d’acquisition, à la construction progressive de l’autonomie ».

Ceux de 2002, actuellement en vigueur, pour l’école maternelle, par exemple, précisent dans le paragraphe « Le langage au cœur des apprentissages » : « Dans l’appropriation active du langage oral se développent des compétences décisives pour tous les apprentissages : comprendre la parole de l’autre et se faire comprendre, se construire et se protéger, agir dans le monde physique et humain, explorer les univers imaginaires... En s’ouvrant ainsi aux usages et fonctions du langage, l’enfant acquiert une langue, le français, qui non seulement lui permet de communiquer avec ceux qui l’entourent, mais aussi d’accéder à la culture dont la langue nationale est le vecteur, une langue qui lui permet d’apprendre et de comprendre le monde dans lequel il vit ».

Cet aspect civique qui fonde l’horizon d’attente d’une pratique de la langue à l’école se construit dans des situations variées qui se doivent de couvrir de manière équivalente quatre grands domaines d’activité, référant à deux types de langage et à deux modalités de fonctionnement :

 

Des étapes éclairantes

Quelques grandes étapes de l’acquisition du langage peuvent être décrites :

Au-delà d’un aspect « naturel » lié à la croissance du bébé, on voit bien l’importance de la tutelle (au sens de Bruner), de l’accompagnement, nécessaire à l’installation des grandes fonctions de la communication telles que décrites par Jakobson(1) : la fonction expressive s’installe parce qu’un récepteur donne du sens (fonction conative) à un message (fonction poétique) en l’inscrivant dans un code en cours de construction (fonction métalinguistique), en référence à un contexte commun (fonction référentielle) et dans le cadre d’un contact partagé (fonction phatique). Agnès Florin(2) souligne d’ailleurs combien l’entrée à l’école maternelle va perturber en retour l’entrée dans la langue commune, en ce qu’elle deviendra décontextualisée et ne référera plus aux seuls partenaires de tutelle du cadre familial, obligeant le petit « élève » à passer du langage de la connivence, où l’approximatif est pris en compte malgré tout, au langage de la verbalisation, où seule la reformulation exacte sera prise en compte par l’interlocuteur. À cela s’ajoute le passage d’une communication individuelle à une communication collective qui obligera l’enfant à prendre pour lui le message adressé à tous, nécessité dont la méconnaissance sera à la source de nombreuses difficultés « scolaires » (difficulté à se mettre à la tâche, à comprendre les consignes, à maintenir l’orientation vers le but de l’activité, etc.). Sans oublier le développement de nouveaux lexiques spécifiques, l’élaboration de formes syntaxiques complexes, l’inscription dans des modalités culturelles nouvelles qui nécessitent la mise en place d’un véritable apprentissage, la construction de nouveaux savoirs, l’accompagnement par un étayage fort de l’adulte.

 

Des apprentissages nécessaires(3)

Prévoir les situations de communication qui vont permettre l’entraînement de toutes les fonctions du langage, tout en laissant advenir l’imprévisible et en étant attentif à respecter la volonté de l’enfant de ne pas s’exprimer, cela relève de la gageure de l’acte pédagogique au quotidien...

D’autant que deux grands modèles cohabitent pour « travailler » l’oral en classe :

Comme souvent, l’entrée par la gestion du temps et de l’espace, et par la gestion des regroupements permet de poser quelques repères. L’articulation des moments en grand ou petit groupe et en individuel sont à anticiper, à la fois parce qu’ils infèrent des activités différentes, mais aussi parce que le langage mis en œuvre diffère dans son aspect injonctif (les consignes) comme dans son aspect de production attendue (participation « simple », répétition de correction, activités de catégorisation, évocation, rappel de récit(7), dictée à l’adulte(8), etc.).

La réflexion sur les contextes de production est aussi nécessaire : faire fonctionner le langage en situation de communication immédiate (en réponse, dans la classe, dans la cour) ne s’apprend pas de la même manière qu’en situation de communication différée (préparer la présentation d’une exposition aux parents visitant l’école, la narration d’un épisode vécu à la maison qu’on rapporte à l’école, etc.).

Pour ne pas conclure et montrer combien le jeu sur les variables didactiques(9) est vaste, voici un récapitulatif proposé par Claudine Garcia-Debanc(10) qui permet de commencer à débroussailler cette grande forêt de l’oral en classe :

« Nature de l’activité orale

– Participation à une interaction / oral monogéré / oral scriptural / écrit oralisé

Place de l’activité dans le projet de la classe

– Domaine disciplinaire / « oral citoyen » (participation à la gestion de la classe ou de l’école)

– Activité intégrée à un projet / provoquée / simulation (jeu de rôle)

– Degré de ritualisation : activité exceptionnelle / activité fréquente / activité ritualisée

Modalités d’organisation du groupe-classe

– Organisation du groupe : groupe-classe / travail en groupes (taille des groupes, constitution des groupes par affinité ou selon les compétences...)

– Présence / absence du maître au moment de la production orale

– Nature des interlocuteurs : à l’intérieur de la classe, entre classes

– Rôles explicites donnés aux enfants (porte-parole, instructeur, régulateur) / pas de rôles

– Disposition spatiale

Pratiques sociales de référence

– Genre socialement existant (interview, débat...) / genre scolaire (exposé) / interaction ordinaire en classe

– Prise en compte d’enregistrements radio ou télé

– Registre de langue choisi

Nature des conduites discursives attendues

– Enjeu discursif : expliquer, convaincre...

– Conduite discursive : raconter, décrire, expliquer, argumenter

– Monogéré / Polygéré

Tâches discursives

– Degré de précision

– Nature de la consigne

Relation écrit / oral

– Rapport à l’écrit : pas d’écrit / écrit à lire / à produire

– Nature de l’écrit : schéma / tableau / notes / texte

– Moment où intervient l’écrit : avant l’oral / entre deux phases orales / après l’oral

Nature de l’étayage par l’enseignant

– Nature des questions : ouvertes / fermées

– Nature et fréquence des reformulations

– Niveau de traitement didactique privilégié : gestion des tours de parole / discursif / lexical / syntaxique / phonologique / prosodique / non-verbal

Place et forme d’une analyse métalinguistique

– Utilisation d’outils d’enregistrement : vidéo / audio / transmission d’un micro

– Moment : pause en cours d’action / analyse à chaud / visionnement ou réécoute en groupes / visionnement ou réécoute en groupe-classe

– Élaboration d’outils d’évaluation ?

– Modalités d’élaboration d’outils d’évaluation : interaction orale / rédaction en groupes d’indicateurs à observer / rédaction individuelle d’indicateurs à observer

– Utilisation d’outils d’évaluation ?

– Modalités d’utilisation d’outils d’évaluation ».

Pascal Ourghanlian
Septembre 2006


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Notes

(1) R. Jakobson, Essais de linguistique générale, « Linguistique et poétique », Éditions de Minuit, 1969. Une présentation claire se trouve dans J.-P. Meunier et D. Peraya, Introduction aux théories de la communication, De Boeck, 1993, chapitre 2, 2.4.

(2) A. Florin, Parler ensemble en maternelle, Ellipses, 1995 – ouvrage qui fonde l’opposition maintenant bien répandue entre petit parleur et grand parleur.

(3) Ce paragraphe fait l’impasse sur une approche sociologique pourtant indispensable, telle qu’elle est développée dans le remarquable ouvrage de Bernard Lahire, Culture écrite et inégalités scolaires. Sociologie de l’"échec scolaire" à l’école primaire, Presses universitaires de Lyon, 1993.

(4) Voir, par exemple, le désormais « classique » : J. Dolz et B. Schneuwly, Pour un enseignement de l’oral. Initiation aux genres formels à l’école, ESF, 1998.

(5) S. Plane, « L’oral dans la classe », in Argos n° 26, décembre 2000.

(6) C. Garcia-Debanc, « Évaluer l’oral », in Pratiques n° 103-104, novembre 1999.

(7) Il s’agit pour les élèves de redire une histoire entendue. Le travail en petit groupe hétérogène permet à chacun de participer au plus près des compétences qui sont les siennes, en s’appuyant sur les propositions des pairs, pour avancer dans la compréhension du récit, sa structuration, l’approche des différences-ressemblances oral/écrit. Le rappel de récit peut être considéré comme instrument d’évaluation de la compréhension et comme outil d’enseignement/apprentissage. Des références théoriques peuvent être trouvées dans : J. Giasson, La compréhension en lecture, De Boeck, 1990, A.-M. Chartier et al., Lire, écrire : produire des textes, Hatier, 1998 et M. Brigaudiot, Première maîtrise de l’écrit, Hachette, 2004. Les deux objectifs généraux poursuivis par le rappel de récit renvoient aux « incitations » officielles : 1. « écouter les autres pour mieux apprendre » réfère au grand domaine « Vivre ensemble » (p. 104 de Qu’apprend-on à l’école maternelle, 2002) et aux compétences de communication du grand domaine « Le langage » (p. 93) et 2. « mettre une histoire dans sa tête pour être capable de la redire » réfère aux compétences concernant le langage d’évocation (p. 93) et à celles de familiarisation avec la langue de l’écrit et la littérature (p. 94).

(8) La dictée à l’adulte est une situation pédagogique dans laquelle l’enfant met en forme un texte signifiant bien qu’il n’ait pas encore acquis une maîtrise suffisante des contraintes orthographiques et graphiques de la langue écrite. Grâce à la prise en charge, par un scripteur compétent, de la réalisation matérielle du texte, l’enfant, déchargé de l’acte graphique, s’attache à la structuration de son énonciation orale, évoluant du parler au dicter, il devient un énonciateur d’écrit. Il découvre, aussi le fonctionnement de la langue écrite et les difficultés liées à la mise en mots du texte et à sa composition. L’objectif prioritaire de la dictée à l’adulte est de rendre manifestes les opérations mentales à l’œuvre dans l’écriture d’un texte, amenant progressivement l’enfant vers une production autonome. Voir, par ex. : Anne-Marie Chartier et al., Lire écrire 2. Produire des textes, Hatier, 1998, Catherine Tauveron, Apprendre à lire – Bâtir une culture au CP, Hachette, 1998 ou Jacques David, « Une activité de production d’écrit à l’école maternelle : la dictée à l’adulte » in Études de linguistique appliquée, n° 59, 1985 et « La dictée à l’adulte ou comment de jeunes enfants oralisent l’écrit » in Études de linguistique appliquée, n° 81, 1991.

(9) On appelle « variables didactiques » l’ensemble des éléments sur lesquels peut jouer l’enseignant pour moduler les conditions d’apprentissages. Par opposition, certaines variables sont appelées « indépendantes » dans la mesure où elles ne peuvent pas être modifiées par l’enseignant (modèle social d’origine, styles éducatifs familiaux, pratiques sociales de référence des élèves) ou sont « constitutifs » de l’enseignant lui-même (conception de l’apprentissage, modalités de traitement de l’erreur). Voir aussi le « Tableau des variables permettant de concevoir une stratégie pédagogique » dans l’article « Stratégie pédagogique » in F. Raynal et A. Rieunier, Pédagogie : dictionnaire des concepts clés, ESF, 1997.

(10) Art. cit.


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Dernière révision : mercredi 01 janvier 2014 – 00:00:00
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