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Faire la classe – Les approches disciplinaires
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Un texte de Pascal Ourghanlian
 

La France manque de scientifiques. À la fois parce qu’elle en forme peu, les filières scientifiques n’attirant que peu les jeunes bacheliers, et parce qu’elle ne sait pas les garder, les plus renommés d’entre eux s’expatriant, principalement pour les vallées informatiques des États-Unis.

Tel est du moins le constat fait par les scientifiques français eux-mêmes et par leur institution de tutelle, le Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, qui a conduit au lancement d’opérations plus ou moins médiatisées autour de savants français à la réputation internationale avérée (Georges Charpak ou Pierre-Gilles de Gennes) comme « La main à la pâte ». Cette dernière a débouché sur la mise en place du plan de rénovation de l’enseignement des sciences et de la technologie à l’école(1) et la définition des nouvelles orientations officielles(2) adossées à de fort copieux documents d’accompagnement(3) qui insistent à la fois sur l’aspect expérimental de l’initiation scientifique et technologique et sur son aspect éthique(4). C’est aussi cette dynamique qui explique la réintroduction d’une épreuve de sciences et technologie dans les épreuves d’admissibilité du CRPE(5).

 

La démarche expérimentale

Elle fait l’objet de nombreuses mises en demeure. Par exemple : « La rénovation de l’enseignement des sciences et de la technologie à l’école représente une autre priorité de l’école primaire. Conformément aux programmes, la démarche d’investigation inspire la pédagogie des sciences. Le développement de réelles activités expérimentales par les élèves, qui ne soient pas de simples manipulations à partir de consignes, et la généralisation du carnet d’expériences qui doit accompagner chaque élève durant sa scolarité primaire, sont encore à mettre en œuvre dans de nombreuses classes »(6).

La démarche expérimentale et, plus largement, la démarche hypothético-déductive(7), peut être définie de la manière suivante : « On observe le réel, on se pose des questions à propos d’un phénomène ; on formule ensuite une hypothèse pour l’expliquer et on en déduit si possible toutes les conséquences logiques ; on conçoit et on met au point toutes les expériences possibles permettant de vérifier cette hypothèse et ses conséquences. Si une seule expérience contredit l’hypothèse ou une de ses conséquences, on ne peut pas formuler de règle générale. Si toutes les expériences confirment l’hypothèse et ses conséquences, on peut formuler une règle générale appelée loi qui sera valide(8) jusqu’au moment où quelqu’un éventuellement démontrera qu’elle ne l’est plus »(9).


Quatre principes sont à l’œuvre dans une telle démarche :

 

L’éthique

Du « science sans conscience n’est que ruyne de l’âme »(12) au Comité consultatif national d’éthique(13), la question morale n’a jamais été très loin de la question scientifique. Qu’est-ce à dire cependant que d’« ouvrir les élèves aux grands problèmes éthiques de notre temps » par la démarche expérimentale ?

Les textes officiels récents présentent l’éducation civique comme l’un des deux grands axes qui structurent l’enseignement primaire(14) (programmes 2002) ou parlent de « comportements civiques » (paragraphe « Développer l’éducation à la responsabilité » de la circulaire de rentrée 2005). Ils insistent sur le fait que toutes les disciplines de l’école primaire concourent à cette prise en compte d’une dimension civique (et/ou citoyenne, la notion n’est pas stabilisée, voir la partie 3.2). Mais rien n’est dit de manière explicite quant aux liens entre sciences et responsabilité(15).

Et si l’on comprend bien combien il est important de faire percevoir les menaces d’un scientisme forcené sans limites anthropologiques, sociales et morales, il faut bien dire qu’un discours sur ce thème risque de renvoyer l’enseignant perplexe à une interrogation sur le libre-arbitre et le respect de la conscience d’autrui, bien éloignée de la nécessité d’installer correctement les bases de la démarche expérimentale. Du risque de tout confondre, avec les meilleures intentions du monde...

Pascal Ourghanlian
Septembre 2006


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Notes

(1) Note de service n°2000-078 du 8 juin 2000 parue au BO n° 23 du 15 juin 2000.

(2) Arrêtés du 25 janvier 2002 parus au BO hors-série n° 1 du 14 février 2002.

(3) Enseigner les sciences à l’école, cycle 1, 2 et 3 – Outils pour la mise en œuvres des programmes 2002 ; Fiches connaissance, cycles 2 et 3 ; Sciences et technologie, cycle 3, 2002.

(4) « Le nouveau programme de sciences et technologie est, en effet, résolument centré sur une approche expérimentale. Les connaissances proposées sont d’autant mieux assimilées qu’elles sont nées de questions qui se sont posées à l’occasion de manipulations, d’observations, de mesures. Ces enseignements s’ouvrent aussi sur les grands problèmes éthiques de notre temps auxquels les enfants sont particulièrement sensibles (développement économique, environnement ou santé) ». BO HS n° 1 du 14 février 2002, p. 65.

(5) Voir en annexe du présent ouvrage l’arrêté du 10 mai 2005 « fixant les modalités d’organisation du concours externe, du concours externe spécial, du second concours interne, du second concours interne spécial et du troisième concours de recrutement de professeurs des écoles ». JO n° 111 du 14 mai 2005, p. 8332 et BO n° 21 du 26/05/05 p. 1068.

(6) Circulaire 2005-067 du 15/04/2005 portant sur la « préparation de la rentrée 2005 ». BO n° 18 du 05/05/05, pp. 929-930.

(7) Voir G. Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, (1ère éd. 1938), 1996 et Le rationalisme appliqué, 1949.

(8) C’est le principe de rectification posé par Bachelard selon la belle formule de Michel Fabre : « Se corriger, c’est dépasser son erreur dans une forme supérieure de conscience », dans Bachelard éducateur, PUF, 1995, p. 125.

(9) MEN, Ministère de la Justice, Activités scientifiques et technologiques en classes-relais : la démarche expérimentale, s.d. dont je reprends l’« exemple de cheminement pour une démarche expérimentale en classe », p. 5 et l’organigramme correspondant.

(10) Sur la notion de représentations – essentielle –, comme mise à jour des conceptions individuelles, voir l’ouvrage fondateur : A. Giordan et G. De Vecchi, Les origines du savoir. Des conceptions des apprenants aux concepts scientifiques, Delachaux et Niestlé, 1987.

(11) L’une des modalités essentielles, bien que non suffisamment travaillée, de ce protocole est l’isolement et la variation d’un paramètre : faire varier simultanément deux paramètres empêche l’observation ou conduit à des conclusions erronées.

(12) Rabelais, Pantagruel, 1532, chap. 8, « Comment Pantagruel estant à Paris receupt lettres de son pere Gargantua, et la copie d’icelles ».

(13) Le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé a été créé par le décret du 23 février 1983. Relevant auparavant de la loi du 29 juillet 1994, il est désormais inscrit dans la loi du 6 août 2004. Sa mission est de « donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé ».

(14) « (...) prendre conscience de manière plus explicite de l’articulation entre liberté personnelle, contraintes de la vie sociale et affirmation de valeurs partagées (...) », BO HS cit., p. 91.

(15) Voir H. Jonas, Le principe responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique, Éditions du Cerf, 1979 et sa formule désormais célèbre : « Un impératif adapté au nouveau type de l’agir humain et qui s’adresse au nouveau type de sujets de l’agir s’énoncerait à peu près ainsi : “Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre” ; ou pour l’exprimer négativement : “Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie” ; ou simplement : “Ne compromets pas les conditions pour la survie indéfinie de l’humanité sur terre” ; ou encore, formulé de nouveau positivement : “Inclus dans ton choix actuel l’intégrité future de l’homme comme objet secondaire de ton vouloir” », (rééd. poche, 1998, p. 40).


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