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Au plus près des besoins de l’enfant – La difficulté scolaire
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Un texte de Claudine Ourghanlian
 

La question du sens apparaît dans les années 60-70 avec la démocratisation de l’enseignement et chez les universitaires qui cherchent à sortir des idées de déterminisme social, d’inégalité des chances, voire de handicap socio-culturel pour s’intéresser aux micro-processus à travers lesquels la réussite (ou l’échec) scolaire se fabrique au quotidien pour un individu donné. Pour eux, la question devient : comment comprendre que l’échec scolaire touche massivement des enfants appartenant aux mêmes catégories sociales alors que certains d’entre eux réussissent cependant à l’école ?(1)

La question du sens renvoie à la signification subjective des actions scolaires : quel sens cela a-t-il pour un enfant singulier d’aller à l’école, d’y travailler, d’y apprendre ? L’enfant doit être considéré comme un sujet qui donne du sens à ce qu’il voit, à ce qu’il vit, aux situations qu’il rencontre, et donc aussi à la situation scolaire, à ce qu’il est en tant qu’élève, ou encore à tel type de travail... Il s’agit donc, en posant la question du sens, de réinscrire dans la compréhension de ce qui se passe, son point de vue de sujet.

« Faire sens » ne renvoie pas seulement à l’aspect cognitif des tâches scolaires. L’expression réfère aussi à une dimension personnelle et relationnelle.

 

Une double dimension

Affective et personnelle parce que c’est ce qui permet l’investissement, l’engagement. Les instructions officielles n’attendent-elles pas en effet que s’installent, dès le cycle des apprentissages premiers, « le désir ou l’envie d’apprendre, et de connaître »(2) ?

Bernard Charlot constate que « le petit d’homme est obligé d’apprendre pour être », pour se construire « dans un triple processus d’hominisation (devenir homme), de singularisation (devenir un exemplaire unique d’homme), de socialisation (devenir membre d’une communauté dont on partage les valeurs et où on occupe une place ». Mais, pour qu’il se mobilise, il faut que la situation présente pour lui un sens. « Se mobiliser, c’est réunir ses forces pour faire usage de soi comme ressource ». « Tout rapport au savoir est aussi rapport à soi-même : à travers "l’apprendre" (...) est toujours en jeu la construction de soi et son écho réflexif, l’image de soi »(3).

Relationnelle parce que l’enfant grandit et vit dans un monde de relations. Tous les éléments de la réalité ne sont pas concernés de la même manière par la recherche de sens selon le modelage culturel et familial. De même, l’entourage « prête » du sens à l’enfant avant que celui-ci n’en produise volontairement (vocalisations porteuses pour l’entourage d’une intention de signifier, interprétation des premiers dessins, des premières tentatives d’écriture).

La question du sens a notamment été abordée à travers les notions de « rapport au savoir » et de « métier d’élève ».

 

Le rapport au savoir(4)

Le rapport au savoir, c’est la façon dont un individu donne du sens à un savoir en tant que produit ou que processus. Il n’est pas la simple intériorisation d’un rapport familial ou de classe aux savoirs et aux apprentissages. C’est un ensemble de représentations, d’attitudes et de comportements qui se construit au fil des situations et des rencontres, à l’intérieur et en dehors de l’école, et qui est susceptible d’évoluer.

Pour certains, leur présence à l’école ne se justifie que dans une logique de parcours scolaire. Il s’agit d’aller le plus loin possible pour monnayer un diplôme sur le marché du travail. D’autres, sans ignorer l’importance des diplômes, lient de manière étroite la progression dans l’institution et une logique d’appropriation des savoirs qui renvoie aux idées de formation personnelle, d’épanouissement, d’accès à une culture, à des valeurs.

Pour les élèves qui ne sont pas des « héritiers »(5), le sens des études et des savoirs scolaires ne va pas de soi. N’ayant que des buts trop lointains (l’insertion professionnelle), ils perdent le sens, la direction, s’égarent ou perdent confiance. Ils se repèrent mal dans les usages scolaires parce que ces repères ne leur ont pas été donnés par leurs parents et parce que l’école n’a pas essayé de les rendre visibles.

 

Le métier d’élève

La notion est proposée par Philippe Perrenoud(6). Il constate que l’école demande certes aux élèves d’apprendre mais qu’elle leur réclame aussi de se conformer à un certain nombre d’attentes, souvent implicites. Ainsi, un élève acceptable, « c’est un élève qui fait bien ou très bien son métier, c’est-à-dire qui maîtrise à peu près les rituels, les règles, les gestes, les outils, le timing, les formes, les mises en page ». Ainsi, la notion de métier d’élève permet de désigner « une forme de conformisme et de productivisme dans l’exécution de tâches répétitives ».

Perrenoud observe que le métier d’élève, dans la mesure où il permet d’échapper à des conflits frontaux et de s’économiser dans son travail, a une fonction adaptative certaine. Il constate, par ailleurs, que le métier d’élève touche toutes les couches sociales alors que certains auteurs ont tendance à opposer un peu rapidement les élèves médiocres, issus majoritairement de milieux populaires, qui écoutent passivement la maîtresse, tentent de se conformer, de s’acquitter honorablement de leurs obligations scolaires, aux bons élèves, issus majoritairement de milieux favorisés, qui entrent en résonance avec les savoirs. Il se demande cependant si l’inégalité devant l’école ne peut pas s’interroger sous l’angle du métier d’élève. « Certains enfants ont reçu de leur famille tous les codes, toutes les habitudes, toutes les stratégies qui leur permettent de pratiquer ce métier sans y investir une énergie démesurée (...) D’autres ont tout à apprendre des règles et des codes qui organisent le travail scolaire ». Parmi ceux-là, quelques-uns se rendent « visibles » en renonçant à ce décodage et en brisant le cadre mais la plupart jouent consciencieusement leur rôle d’élève, se situent dans une normalité institutionnelle. Mais cela absorbe toute leur énergie, si bien qu’ils confondent « travailler » et « apprendre ». Ils n’ont pas de projet de construction d’un savoir, pas de projet d’appropriation. Ils ne perçoivent pas les enjeux d’apprentissage sous l’habillage des tâches.

Philippe Meirieu souligne que « l’apprentissage ne peut pas être une sorte de fleuve chaotique où les élèves seraient emportés et passeraient d’une étape à l’autre sans comprendre ce qui leur arrive »(7), cherchant désespérément à décoder les attentes du maître.

Il constate lui aussi que trop d’élèves confondent faire et apprendre. Tout le monde connaît ces collégiens qui viennent en classe pas même pour écouter un cours mais pour attendre que le temps passe. Par contre, il est tentant d’ignorer que, dès l’école primaire, des élèves se construisent une image de l’école sur le mode occupationnel : « on fait la date et après la lecture, et après on travaille sur le cahier vert, et après on... »(8). Ils ont une activité mais ne sont pas en activité car ils ne sont pas réellement sollicités, ils ne s’engagent pas. Souvent, leur bonne volonté n’est pas en cause mais ils n’ont pas compris, d’une part que la tâche à accomplir se réfère à des objectifs d’apprentissage, d’autre part que des activités intellectuelles sont nécessaires pour l’effectuer. Dans une consigne, ils ne distinguent pas ce qu’il y a à chercher et la manière dont il est demandé de montrer : pour eux, ils doivent entourer alors que ce que le maître attend c’est, par exemple, qu’ils retrouvent les noms de personnes. Ils n’établissent pas la distinction structurante entre tâche et objectif.

Pourquoi ? Peut-être parce que les enseignants, anxieux de bien faire, de ne pas se laisser déborder par les élèves et de les évaluer, leur proposent le plus souvent une multitude d’exercices successifs et les invitent de temps en temps, pour le plaisir, à se mobiliser sur un projet devant aboutir à une production collective. Dans les deux cas, ils mettent l’accent sur le produit de la tâche et non sur les savoir-être, savoir-faire et savoirs qu’elle permet de construire. Comment des élèves pourraient-ils, avec des notes pour tout repère, savoir où ils en sont dans les apprentissages ?

Ces recherches et réflexions montrent que « le sens » ne va pas de soi. Ce n’est pas une donnée. Il doit être construit. Certaines pistes explorées par ailleurs se retrouvent dans ce contexte précis.

 

Les pédagogies nouvelles

Dans une grande première moitié du XXème siècle, des mouvements se sont développés par opposition à l’école traditionnelle qui était accusée, d’une part, de fragmenter les savoirs et de ne s’intéresser qu’à leurs aspects formels ; d’autre part, de réduire l’enfant à une fonction de vase à remplir et de le vouer par conséquent à la passivité. Au-delà de leurs différences, ces mouvements novateurs partagent certaines valeurs et affirment tout particulièrement que l’individu a, dès son plus jeune âge, des dispositions positives qu’il importe de laisser s’exprimer et de reconnaître. L’enfant doit être pris dans sa globalité, ce qui demande que son intelligence, son affectivité, sa créativité, son activité, sa sociabilité soient sollicitées et que le pari de son éducabilité(9) soit tenu. Il faut aussi, selon ces mouvements, laisser la place à l’apprentissage par rapport à l’enseignement, faire place à l’activité et à la réflexion des élèves par rapport à la parole du maître. Une attention toute particulière est portée à l’évaluation pour qu’elle devienne non plus un élément de sanction mais un élément de formation de l’individu.

Dans la mouvance de l’École nouvelle, des mouvements de recherche théorique et pratique se sont formés pour fédérer les initiatives des maîtres, militer pour des pédagogies favorisant l’expression et la communication (ICEM – Pédagogie Freinet, notamment) mieux adaptées à la construction de l’autonomie des enfants et leur donnant les moyens d’exercice de la citoyenneté (GFEN proche de Henri Wallon(10), pédagogie institutionnelle(11)).

Sans poser explicitement la question du sens des apprentissages scolaires, tous ces mouvements la rejoignent lorsqu’ils avancent que l’important ce n’est pas que les enseignants enseignent mais bien que les élèves apprennent. La mise en tension qu’ils proposent entre, d’un côté, la prise en compte de la diversité des élèves et l’attention portée à chacun d’eux et, par ailleurs, l’importance accordée à la classe, à la prise en compte du groupe, avec ses échanges, ses débats, l’instauration de règles communes semble par ailleurs proposer une piste de réflexion et de travail. Parce qu’il est à la jonction de deux fonctions de l’école - faire accéder chacun à une culture commune et permettre à chacun de construire une personnalité singulière -, « le sens » doit être construit à la fois individuellement et collectivement.

 

Les projets éducatifs et pédagogiques(12)

Depuis les années 70, l’idée de projet revient de manière récurrente dans les textes officiels. Dans la lignée des tenants de l’éducation nouvelle et des méthodes actives, elle a d’abord concerné majoritairement les élèves qu’il s’agissait de « mettre en projet », c’est-à-dire de remotiver, d’impliquer dans leurs apprentissages. Des 10 % instaurés dès 1973 aux projets d’action éducative (PAE) créés en 1981, l’institution est dans cette perspective de remotiver les élèves pour l’école en leur proposant des activités dont ils perçoivent le sens. Les Travaux Personnels Encadrés (TPE) d’aujourd’hui sont de la même façon un espace d’autonomie concédé aux lycéens. Le projet est censé représenter une motivation puissante parce qu’il fait de l’élève un sujet actif et responsable et parce qu’il ne présente plus des savoirs atomisés, ne cherche plus à construire des compétences isolées. Immergé en situation de production, l’élève rencontre des obstacles et réalise, pour les dépasser, des apprentissages qui ont alors du sens.

Notons qu’avec notamment le projet d’école mis en place en 1990, la notion de projet s’élargit à un changement des acteurs concernés. Les projets deviennent des outils de réflexion, d’unité et de mise en cohérence mobilisant les énergies et les compétences des adultes.

 

Auto-évaluation et métacognition(13)

Étroitement liée à la notion de projet, il y a celle d’évaluation. Et, plus particulièrement, celle d’évaluation formative correspondant à une volonté de définition plus précise des objectifs et des critères d’évaluation ainsi qu’à la prise en compte de la démarche des élèves et non du seul résultat de cette démarche. Mais dans ce cadre-là, l’important est de travailler à la construction d’une compétence d’auto-évaluation par les élèves. « L’appropriation par les élèves des critères des enseignants, de même que l’autogestion des erreurs et la maîtrise des outils d’anticipation et de planification de l’action s’imposèrent très vite comme des objectifs prioritaires »(14). Georgette Nunziati souligne qu’il ne faut pas confondre auto-évaluation et auto-notation. L’auto-évaluation « accompagne tout le déroulement de l’action ». Il s’agit alors d’auto-contrôle, sorte de regard critique sur ce que l’élève fait pendant qu’il le fait, guidé en cela par son propre système interne de pilotage et qui doit normalement déboucher sur un auto-bilan qui compare le résultat au but et revient sur la démarche adoptée pour l’analyser.

On voit ici la proximité des notions d’auto-évaluation et de métacognition. L’enjeu de l’élaboration de ce regard distancié sur ce que fait l’apprenant, sur comment il le fait, sur comment il pourrait le faire autrement, c’est de permettre à l’élève de se construire comme sujet de ses apprentissages, de l’aider à comprendre que ses démarches déterminent en grande partie ses réussites et ses échecs.

Claudine Ourghanlian
Septembre 2006


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Notes

(1) C’est cette question qui fonde, entre autres, les travaux – essentiels – de Bernard Lahire. Voir : Culture écrite et inégalités scolaires, Presses universitaires de Lyon, 1993.

(2) « Les programmes d’enseignement de l’école primaire », BO HS n° 1 du 14 février 2002, utilisent trois fois le terme « envie », six fois « désir ».

(3) B. Charlot, Du rapport au savoir. Éléments pour une théorie, Anthropos, 1997.

(4) Cette notion a été introduite et travaillée par Bernard Charlot, Elisabeth Bautier et Jean-Yves Rochex au sein du groupe ESCOL de l’Université Paris VIII-Saint-Denis : voir le site ESCOL et l’ouvrage qu’ils ont cosigné, et intitulé École et savoir dans les banlieues... et ailleurs, 1992. Pour une introduction claire, lire B. Charlot, « Le rapport au savoir en milieu populaire : “apprendre à l’école” et “apprendre la vie” », in VEI Enjeux, n° 123, décembre 2000, pp. 56-63.

(5) P. Bourdieu et J.-C. Passeron, Les héritiers. Les étudiants et la culture, Éditions de Minuit, 1964, fondateur si on se réfère à la date de parution de l’ouvrage, et sa « suite », La reproduction. Éléments pour une théorie du système d’enseignement, Éditions de Minuit, 1970, qui « enfonce le clou » sur les décombres de Mai 68.

(6) Voir en particulier : Métier d’élève et sens du travail scolaire, ESF, 1994.

(7) P. Meirieu, Faire l’École, faire la classe, ESF, 2005.

(8) Le « on » a son importance dans ce propos d’élève : il indique assez combien ce n’est pas un « je » qui s’exprime et que la conscience d’un « nous » n’est pas installée...

(9) Avant d’être un ensemble de « méthodes » dont l’efficacité n’a pas été formellement démontrée (en particulier l’affirmation selon laquelle il est possible de développer des structures de pensée de manière indépendante et transversale aux contenus travaillés), le postulat de l’éducabilité cognitive repose sur l’écart mis à jour par Vygotski entre ce que chacun est capable de faire seul et ce qu’il peut accomplir, de proche, avec l’aide d’autrui.

(10) Sur Wallon, voir de R. Zazzo, Psychologie et marxisme : la vie et l’œuvre de Henri Wallon, Denoël/Gonthier, 1975.

(11) Orientation prise par une frange du mouvement Freinet en 1958 sous l’impulsion du psychiatre Jean Oury et de son frère Fernand Oury. Voir A. Vasquez et F. Oury, Vers une pédagogie institutionnelle, 1967 (rééd. Matrice, 1993).

(12) Voir le point 6.3.

(13) Voir le point 8.2.3.

(14) G. Nunziati, « Pour construire un dispositif d’évaluation formatrice » in Cahiers pédagogiques, n° 280, 1990.


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