Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
(Site créé et animé par Daniel Calin)

 

Au plus près des besoins de l’enfant – La difficulté scolaire
Texte précédent De quelques réponses institutionnelles (RASED, ZEP/REP, CMPP, etc.) Texte suivant

 

 
Un texte de Pascal Ourghanlian
 

Des GAPP aux RASED

Les groupes d’aide psycho-pédagogique ainsi que les sections et classes d’adaptation sont créés en 1970 par une circulaire(1) dont l’objet est « la prévention des inadaptations ». Il s’agit de la mise en place de structures dont la circulaire(2) de 1976 précisera qu’elles « sont une institution pédagogique spécialisée, travaillant au sein de l’école en liaison permanente avec l’ensemble des maîtres ainsi qu’avec tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont normalement les enfants en charge : les parents, les médecins intervenant au titre de la santé scolaire, les personnels du service social scolaire ». Si le travail en partenariat y est nettement évoqué et si une insistance forte est mise sur le maintien « le plus possible dans le milieu scolaire ordinaire », on reste dans une logique plus exclusive qu’intégrative.


La « mise en place et [l’]organisation des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté » par la circulaire de 1990(3) relève d’une autre logique : on passe d’une politique de structures à une politique de réseau. « La prévention des difficultés des élèves est un objectif qui ne saurait être réalisé par les seuls intervenants spécialisés même si ceux-ci y apportent, par la spécificité de leurs actions, une contribution souvent décisive. Cette prévention concerne tous les partenaires de l’école ». Il s’agit ici de responsabiliser chacun des partenaires, la circulaire(4) de 2002 précisant que « les aides spécialisées s’insèrent dans l’ensemble des actions de prévention et de remédiation mises en place par les équipes pédagogiques auxquelles elles ne se substituent en aucune manière, cette articulation requérant une concertation et des collaborations régulières ».

 

À propos de la prévention

C’est dans cette dernière circulaire qu’est définie l’idée de prévention qui « consiste en un ensemble de démarches qui visent à éviter l’apparition d’une difficulté, son installation ou son amplification »(5).

Cette définition repose sur un postulat :

  1. dans le cadre d’un apprentissage, la difficulté est “normale” : elle n’inquiète ni n’est occultée ;

    et trois “fondamentaux” :

  2. la prévention est d’abord l’affaire du maître de la classe, responsable de la mise en place de la différenciation pédagogique ;
  3. la prévention concerne tous les niveaux de la scolarité ;
  4. elle est fondée sur une observation fine à visée diagnostique, gage de la collaboration entre les enseignants et les intervenants spécialisés.

 

La prévention de l’illettrisme

C’est dans le cadre de la lutte contre l’illettrisme initiée il y a quelques années(6) que la notion est cernée de la manière la plus pragmatique, particulièrement dans le tout récent livret(7) sur les CP “renforcés”.

Reprenant la typologie en usage depuis fort longtemps dans le monde médical et diffusée depuis une trentaine d’années dans l’Éducation nationale(8), le texte propose de distinguer :

« – la prévention dite primaire par laquelle on s’efforce d’éviter l’apparition des difficultés. Il s’agit à la fois de réduire les facteurs de risque et d’accroître les facteurs “de résistance” ;

– la prévention dite secondaire : il s’agit alors de réduire le développement de difficultés déjà apparues, d’en limiter la durée et la portée ;

– la prévention dite tertiaire par laquelle on vise à réduire les conséquences de déficiences ou troubles avérés et que l’on ne peut éliminer, mais dont on peut limiter l’effet handicapant »(9).


Là où ce texte est particulièrement intéressant, c’est lorsqu’il précise le sens qu’il s’agit d’accorder aux préventions primaire et secondaire :

« Pour plus de commodité, pour employer un vocabulaire plus usuel, on peut évoquer :

l’anticipation, la prévention au sens commun, de difficultés non encore repérées mais que l’on peut craindre connaissant des sources possibles d’embûches ou des obstacles potentiels et les habiletés acquises par les élèves. On s’intéresse alors à un ensemble d’élèves que l’on sait fragiles et on renforce chez eux la capacité à affronter des obstacles constitutifs du parcours commun. On s’inscrit alors dans la logique d’un noyau d’activités communes à la classe dont on ne veut pas "décrocher" les élèves même si on reconnaît la plus ou moins grande distance qui les sépare de l’objectif ;

la “remédiation”, la réponse apportée alors que des difficultés sont déjà constatées afin qu’elles ne s’enkystent pas. On s’intéresse aux difficultés déjà là, sachant que l’état actuel des acquis conditionne très fortement la possibilité d’avancer et qu’il faut donc éviter que des lacunes s’approfondissent, faisant obstacle à des acquisitions plus complexes »(10).


Ces lignes ne sont pas sans rappeler les deux missions assignées aux personnels des RASED, de prévention et de remédiation(11). On trouve là, dans le cadre très précis de la difficulté d’apprentissage de la lecture-écriture, la convergence complète entre les objectifs que l’Institution fixe à ses personnels, qu’ils soient spécialisés ou non.

 

Les zones et les réseaux d’éducation prioritaire

Récemment remise en cause, la politique d’éducation prioritaire a été créée en France en 1981, consolidée en 1992, relancée en 1997, toujours fondée sur une valeur (l’égalité des chances) et construite selon un principe (la discrimination positive : « donner plus à ceux qui ont moins »).

Ses modalités de mise en œuvre s’appuient sur un projet de zone, cohérent, coordonné et suivi grâce à un contrat de réussite qui pose des priorités, définit des types d’actions pédagogiques, prévoit des actions de formation, décrit les partenariats possibles et finance les moyens appropriés.

La carte de l’éducation prioritaire est composée de zones (ZEP) et de réseaux (REP), d’échelles et aux moyens de fonctionnement différents(12). En 2001, un élève sur cinq relevait des actions d’une ZEP ou d’un REP (mais selon des disparités géographiques importantes : moins de 7 % des élèves de l’académie de Poitiers, plus de 30 % pour ceux de l’académie de Paris), bénéficiant d’un effort financier de la part de l’État d’environ 12 % supérieur, de classes à effectif moindre et d’enseignants volontaires pour un travail en équipe (et dont le volontariat est reconnu par une bonification indiciaire).

« Assurer l’acquisition des apprentissages fondamentaux, et en particulier la maîtrise de la lecture et des langages, est le premier des objectifs de l’éducation prioritaire comme dans l’ensemble du système éducatif. L’accent est également mis sur les technologies de l’information et de la communication, sur les activités culturelles et sportives et sur l’éducation à l’image. Lutter contre la violence et les incivilités, renforcer l’éducation à la citoyenneté et à la morale civique est une autre priorité. Dans cette perspective, les liens entre l’École et les parents, l’ouverture de l’École sur le quartier et le travail en partenariat avec les associations et les instances locales sont favorisés »(13).

La création récente des « pôles d’excellence »(14) et l’abandon de la politique de discrimination positive remettent en cause la politique de ces 25 dernières années qui, si elle nécessitait sans doute d’être une nouvelle fois évaluée et revue(15), avait le mérite de mobiliser des moyens et des professionnels(16) autour d’élèves dont les difficultés socio-économiques, au-delà du politiquement correct, expliquaient pour une bonne part leur difficulté à entrer dans les apprentissages.

Pascal Ourghanlian
Septembre 2006


*   *   *
*

Notes

(1) Circulaire n° IV-70-83 du 9 février 1970 : Prévention des inadaptations – Groupes d’aide psycho-pédagogique – Sections et classes d’adaptation.

(2) Circulaire n° 76-197 du 25 mai 1976 : La prévention des inadaptations et les groupes d’aide psychopédagogique.

(3) Circulaire n° 90-082 du 9 avril 1990 : Mise en place et organisation des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté.

(4) Circulaire n° 2002-113 du 30 avril 2002 : Les dispositifs de l’adaptation et de l’intégration scolaires dans le premier degré.

(5) Circulaire citée, BO n° 19 du 19/05/2002, p. 1272.

(6) Les premiers travaux « internes » d’ATD-Quart-Monde datent de la fin des années 70 ; en février 1981 est publié le rapport de Gabriel Oheix Contre la pauvreté et la précarité – 60 propositions ; le terme apparaît dans les dictionnaires en 1983 ; le Groupe permanent de lutte contre l’illettrisme (GPLI) est créé en 1984 ; les travaux universitaires de Jean-Marie Besse datent de 1995 et l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANCLI) est créée en octobre 2000.

(7) Enseigner la lecture et prévenir les difficultés dans les CP à effectifs réduits ou à encadrement renforcé, MEN, 2004 (document complémentaire au livret : Lire au CP – Repérer les difficultés pour mieux agir, MEN-CNDP, 2003).

(8) L’idée de prévention dans l’Éducation nationale pourrait faire l’objet d’une approche historique et/ou sociologique. Tel n’est pas l’objet du présent paragraphe. Notons seulement que les textes de 1970-1976 sur la prévention ont pour cadre historique le tournant des années soixante et la massification de l’enseignement et que l’un des initiateurs de ces textes, André Labregère, a développé le modèle de la prévention à des fins pédagogiques dès 1972. Voir J. Petit dir., Les enfants et les adolescents inadaptés et l’Éducation nationale – tome 1 : L’action psychopédagogique, Armand Colin/Bourrelier, 1972 et, particulièrement, l’article d’A. Labregère, « La prévention des handicaps et des inadaptations », pp. 119-129.
Par ailleurs, il serait sans doute intéressant de suivre l’évolution du paradigme, du tournant du XXème siècle à celui du XXIème, qui fait passer de l’idée de préservation (de l’enfance en danger) à celle de prévoyance, puis de celle de prévention à celle de (principe de) précaution – comme réponses institutionnelles successives à l’ajustement (au/du) social.

(9) Op. cit., p. 30.

(10) Op. cit., p. 10 (c’est moi qui souligne). La question, non tranchée par le texte, est de savoir qui est le « on » dont parle le texte : l’institution ? les enseignants ordinaires ? spécialisés ? les parents ? l’élève lui-même ? Souci judicieux de laisser une liberté de mise en œuvre aux acteurs ou incapacité des concepteurs à sérier les problèmes ?

(11) La remédiation « a pour objectif de favoriser la conquête d’acquisitions qui n’ont pu être faites dans les activités ordinaires d’enseignement, de reconstruire des représentations, des connaissances, etc. ». Circulaire citée, BO n° 19 du 19/05/2002, p. 1275.

(12) Les REP ont été créés en 1998 afin de désenclaver les établissements en ZEP en leur associant des établissements hors ZEP.

(13) MEN/DESCO, « La politique éducative prioritaire en France », avril 2002.

(14) En 1997, le rapport d’évaluation commandé par le ministère, dit rapport Moisan-Simon, sur Les déterminants de la réussite scolaire en ZEP, demandait que les objectifs de l’éducation prioritaire soient recentrés sur des objectifs scolaires d’acquisition des savoirs et de maîtrise de la langue. À la suite duquel rapport furent mis en place les « pôles d’excellence » autour de ressources culturelles, scientifiques et sportives jugées plus efficaces.

(15) Voir par exemple l’article de Sylvie Cèbe et Roland Goigoux, « Donner plus de quoi ? À ceux qui ont moins de quoi ? Et le donner comment ? », 2001 :
« Si tous les enfants naissent libres et égaux, ils ne le restent pas longtemps au regard de l’accès aux savoirs et à la formation : les évaluations récentes de notre système éducatif prouvent que les effets des politiques éducatives ne sont pas à la hauteur des efforts consentis.
Pour expliquer cet échec, les thèses ne manquent pas, les solutions proposées aux maîtres non plus – radicales pour les uns, minimales pour les autres. Certains, adeptes d’une théorie innéiste de l’intelligence, affirment qu’il ne faut pas vouloir aider les enfants défavorisés à développer leurs capacités intellectuelles puisque – les évaluations des programmes d’éducation compensatoire semblent l’indiquer – elles sont limitées. D’autres s’appuient sur la thèse du handicap socio-culturel pour soutenir que si les causes du problème ici posé sont hors de l’école, les solutions le sont aussi. D’autres encore privilégient une logique de générosité, proche des logiques humanitaires : ils posent en principe qu’il suffit de donner « plus », sans chercher à savoir ce dont les élèves ont vraiment besoin. D’autres enfin choisissent de redonner confiance en l’école et de remotiver ses maîtres. Pour eux, l’innovation est synonyme de progrès, quel qu’en soit le contenu : peu importe la pertinence des pratiques d’enseignement pourvu qu’elles soient nouvelles et, de préférence, médiatiques.
Si divergentes qu’elles soient, ces thèses ont un point commun : partant des résultats pour expliquer les causes, leurs auteurs ne cherchent pas sérieusement à expliquer ce qui fait la différence entre les élèves. La politique des Zones d’Éducation Prioritaires ne déroge pas à cette règle : si elle se donne bien pour objet de « donner plus à ceux qui ont moins », elle ne définit pas la nature de ce « don » et laisse trois questions en suspens : donner plus de quoi ? À ceux qui ont moins de quoi ? Et le donner comment ? »

(16) Voir les bulletins X.Y.ZEP du Centre Alain Savary.


*   *   *
*

Informations sur cette page Retour en haut de la page
Valid XHTML 1.1 Valid CSS
Dernière révision : mercredi 01 janvier 2014 – 00:00:00
Daniel Calin © 2013 – Tous droits réservés