Un peu de droit
Le cadre législatif de la scolarisation en maternelle est fixé par l’article L. 113-1 de la partie législative du Code de l’éducation.
Ce texte est issu de l’article 2 de la loi Jospin de 1989. Ce texte original a été très légèrement modifié par l’article 4 de la loi Fillon de 2005.
Ce cadre législatif est complété par un cadre réglementaire. Voir en particulier l’article D. 113-1 de la partie réglementaire du Code de l’éducation.
Ce texte est issu de l’article 2 du décret de 1990 sur l’organisation et fonctionnement des écoles maternelles et élémentaires. Ce texte original a été très légèrement modifié par l’article 1 du décret de 2005 sur les dispositifs d’aide et de soutien pour la réussite des élèves à l’école.
Il faut noter que ces deux textes sont en partie contradictoires. Alors que l’article L. 113-1 pose une obligation d’accueil en maternelle des enfants de trois ans, le troisième alinéa de l’article D. 113-1 envisage ce qui se passe en l’absence d’école ou de classe maternelle et n’impose alors l’accueil en classe enfantine que pour les enfants de cinq ans.
La loi prévaut sur la réglementation, donc cet alinéa clairement contraire à la loi est nul et non avenu et serait inévitablement invalidé en tribunal administratif ou en Conseil d’État. L’école maternelle n’est pas obligatoire, mais l’État et les communes ont l’obligation absolue d’accueillir les enfants à l’école dès trois ans lorsque les familles le souhaitent. C’est sur cette obligation d’accueil qu’il faut rester absolument vigilant.
Je reçois ce jour, le 08/05/09, le courriel suivant :
Mme X :
Je rencontre aujourd’hui des problème pour inscrire ma fille en 1ère année de maternelle. Elle est née le XX octobre 2006.
Pour faire valoir ses droits, je cherche des précisions sur le droit à la scolarisation, plus précisément sur l’interprétation d’un article du code de l’éducation : comment interpréter le texte de l’article L. 113-1 qui pose que “Tout enfant doit pouvoir être accueilli, à l’âge de trois ans...”.
C’est le “doit pouvoir” qui me pose problème, car la réponse de ma municipalité, c’est “mais madame, l’école maternelle n’est pas obligatoire”, donc selon eux le droit ne s’applique pas et ils utilisent le seuil d’effectif pour refuser des inscriptions.
J’en reviens donc au seul droit : ont-ils le droit de refuser des inscriptions d’enfants qui auront 3 ans en septembre, octobre, novembre et décembre car il n’y a pas de place disponible ?
Ma réponse :
L’argumentaire ci-dessous reste, à ce jour (été 2011) entièrement valable pour la rentrée 2011.
Comme je l’écrivais ci-dessus, il y a bien une contradiction entre l’article L. 113-1 et l’article D. 113-1. Mais les textes législatifs priment en droit sur les textes réglementaires : l’article D. 113-1 est donc illégal, et tout tribunal administratif ne pourrait que le considérer comme tel.
Une nuance, cependant. L’article L. 113-1 affirme : “Tout enfant doit pouvoir être accueilli, à l’âge de trois ans, dans une école maternelle ou une classe enfantine le plus près possible de son domicile, si sa famille en fait la demande”. Contrairement à ce que vous pensez, ce “doit pouvoir être accueilli” est sans ambiguïté et définit rigoureusement une obligation d’offrir la possibilité de cet “accueil”, obligation qui s’impose aussi bien à l’État (donc à l’Inspection Académique qui le représente) qu’à chaque municipalité. Aucun prétexte d’effectif ne saurait justifier le non-respect de cette obligation légale : toutes les institutions publiques doivent se plier à cette obligation et se donner les moyens d’y satisfaire.
Quant à la “réponse” de votre municipalité, si, effectivement, la scolarisation en maternelle n’est pas obligatoire (ce que je considère pour ma part comme regrettable), elle est cependant, dès l’âge de trois ans, un droit. Cette confusion entre “obligation” et “droit” relève soit de la stupidité, soit, plus probablement, de la mauvaise foi éhontée.
Ce qui, en réalité, pose problème dans cet article L. 113-1, c’est la suite, c’est ce : “à l’âge de trois ans”. En toute rigueur (et les tribunaux administratifs n’ont guère comme repères que la rigueur textuelle), votre fille n’aura trois ans que le XX octobre 2009, donc pas à la rentrée.
Cela répond à votre question, d’une façon plus complexe que votre question : oui, en toute rigueur, on peut refuser d’inscrire votre fille en maternelle avant ses trois ans, mais non, on ne peut absolument pas refuser de l’accueillir dès le jour de ses trois ans.
Du coup, si vous exigez son accueil à la rentrée, vous avez de forts risques de ne pas être suivie par le tribunal administratif. Par contre, si vous exigez son accueil dès le XX octobre au matin, tout tribunal administratif ne pourra que vous donner raison.
Certes, humainement, c’est stupide, mais, du point de vue du droit, il en va infailliblement ainsi. Le mieux est donc de vous conformer rigoureusement à cette “logique”, donc d’accepter, ou de faire semblant d’accepter, que votre fille n’entre pas en maternelle à la rentrée, à la condition expresse qu’elle y fasse son entrée le XX octobre au matin. Cela devrait suffire à résoudre votre problème, et à faire accepter l’accueil de votre fille dès la rentrée, solution évidemment la plus sensée (et celle qui correspond aux pratiques ordinaires)... Si ce n’est pas le cas, je vous conseille vivement d’attaquer immédiatement en tribunal administratif ET la mairie ET l’inspection académique (afin de contrer leur habitude de se renvoyer mutuellement une responsabilité qui est en réalité conjointe).
Je vous autorise à faire tout usage de ce courriel qui vous semblerait bon, publiquement et/ou judiciairement. Ce conflit m’intéresse évidemment au plus haut point. Je suis prêt, si vous le souhaitez, à participer activement à votre défense, et à donner à cette affaire toute la publicité qu’elle mérite.
Remarque complémentaire :
En ce qui concerne les enfants qui ont trois ans entre la rentrée et la fin de l’année civile qui la suit, aucun texte, effectivement, ne leur accorde le droit à la scolarisation. Il existe toutefois un texte réglementaire qui traite explicitement du même problème, mais à propos des enfants qui atteignent deux ans durant le trimestre qui suit la rentrée. C’est ce passage de la circulaire n° 91-124 du 6 juin 1991 :
« Les enfants dont l’état de santé et de maturation physiologique constaté par le médecin de famille est compatible avec la vie collective en milieu scolaire peuvent être admis dans une école maternelle ou dans une classe maternelle. Cette admission est prononcée, dans la limite des places disponibles, au profit des enfants âgés de deux ans au jour de la rentrée scolaire. Toutefois, les enfants qui atteindront cet âge dans les semaines suivant la rentrée et au plus tard au 31 décembre de l’année en cause pourront être admis, à compter de la date de leur anniversaire, toujours dans la limite des places disponibles. »
Certes, ce texte ne traite que de la possibilité (“dans la limite des places disponibles”) de scolariser les enfants de deux ans et non du droit à la scolarisation des enfants de trois, mais il explicite “l’esprit” dans lequel l’Éducation Nationale traite ces problèmes d’âge. Il peut probablement constituer un argument recevable auprès d’un tribunal administratif.
Précision :
Pour la rentrée 2011, cet argumentaire est valable pour tous les enfants nés en 2008, jusqu’au 31 décembre 2008 à minuit inclus. Tout autre “argument” est une pure baliverne. Ne vous laissez pas abuser !
Nouvelle précision :
En principe, le droit à la scolarisation à 3 ans posé par l’article L. 113-1 est valable pour tous les enfants qui parviennent à l’âge de trois ans au cours de l’année scolaire, même si c’est de janvier à juin. Toutefois, “de tradition” (je n’ai pas trouvé de texte législatif ni réglementaire sur ce point), l’Éducation Nationale organise toutes ses classes sur la base des âges atteints par les élèves au cours dans l’année civile correspondant à la rentrée scolaire, et non au cours de l’année scolaire elle-même. Sollicité à plusieurs reprises par des parents, je déconseille d’engager des recours au tribunal administratif pour les enfants qui parviennent à leur 3 ans de janvier à juin, un tel recours me semblant avoir peu de chances d’aboutir.
Bien entendu, on peut aussi se battre sur ce point, mais il s’agit alors à mon sens de défendre la scolarisation des enfants de 2-3 ans. C’est un autre problème : actuellement, qu’on le regrette ou non, cette scolarisation n’est pas un droit. Voir toutefois ce jugement de la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux en date du 19/04/2010, concernant un secteur classé “Zone de Revitalisation Rurales”.
Post-scriptum :
J’invite tous les parents concernés à se saisir de cet argumentaire afin de faire valoir, individuellement ou collectivement, les droits de leurs enfants. “ILS” ne sont forts que de nos faiblesses et de nos renoncements. Ma correspondante a d’ores et déjà obtenu gain de cause.
Il serait bon qu’une association lance un recours en Conseil d’État à l’encontre de cet article D. 113-1 derrière lequel les autorités municipales et académiques ne cessent de se cacher, en toute mauvaise foi, pour tenter de ne pas appliquer la loi.
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