Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
(Site créé et animé par Daniel Calin)

 

Chronique 17
Chronique précédente   Des nouvelles d’Ahmed   Chronique suivante

 

 
Un texte de M. Barthélémy
 

Ahmed est un petit garçon de l’autre rive de la Méditerranée, qu’un cancer vicieux a conduit en France pour se faire soigner et se faire poser des yeux « tout neufs ». Lorsque je le rencontre pour la première fois, il me « regarde » bien en face, ses yeux noirs grands ouverts derrière des lunettes à la fine monture d’acier. Sa mère me demande: « Il est beau mon fils, non ? », avec cet accent inimitable qui dit et cache, tout à la fois, la détresse. Parce que si Ahmed est beau, indubitablement, petite bouille malicieuse et souriante, ses yeux ne me regardent pas, ils sont ouverts sur le noir absolu et définitif que des prothèses et les lunettes (ah ! ces lunettes, totalement inutiles, mais auxquelles le père, oui, le père surtout, tient comme à une illusion de vue) ne masquent qu’aux yeux des autres.

J’ai accompagné Ahmed un an, son année de grande section de maternelle. L’institut parisien n’avait pas pu l’accueillir si jeune, n’ayant jamais fréquenté l’école. Seule une scolarisation en classe ordinaire, un an au moins, pouvait l’initier à la vie en collectivité et rendre possible ensuite l’internat. De département limitrophe en département limitrophe, donc de MDPH en MDPH et de services sociaux en services sociaux, Ahmed et sa maman (le père, au pays, pour gagner les frais de séjour en France) ont connu l’errance, avant de débarquer sur mon secteur où ils sont hébergés chez une « amie » qui s’empressera de s’en débarrasser. La priorité de l’école du secteur (travail admirable de la directrice et de l’enseignante), c’est de stabiliser Ahmed sur l’école et donc la maman dans le quartier ou, au moins, le département, en faisant de la scolarité d’Ahmed, pour les services sociaux et la MDPH, la priorité absolue. Que de démarches ! D’allers-retours en voiture dans une banlieue parisienne pas si riche en transports de proximité ! Le référent transformé en assistante sociale, chauffeur de taxi, confident... Et Ahmed, à l’arrière de la voiture, commentant chaque bruit de clignotant, chaque arrêt, chaque mouvement, « là, tu tournes, parce que moi je penche », « là, c’est rouge, parce que tu t’arrêtes », « là tu vas vite, c’est l’autoroute ». Un foyer d’urgence, enfin, un taxi mis en place, une AVS à temps plein, un service de soins ambulatoires – tous les leviers que je peux activer, les collègues remuer, les services mobiliser, mon travail de référent dans sa plénitude, qui montre son importance et sa nécessité, pas toujours évidentes...

Grâce à Ahmed, je découvre les méandres de l’hébergement d’urgence dans notre beau pays de France. Je découvre des métiers nouveaux (instructeur en locomotion). Je découvre la force convoca­trice d’un petit bonhomme de 6 ans, dont les souffrances (les chimio­thérapies, les opérations, les murs pris en pleine figure, les chutes, les angoisses) ne sont « rien » au regard de l’énergie vitale qui le pousse à grandir et à embrasser la vie.

À l’issue de cette première année d’école, l’idée de l’institut en internat est abandonnée : Ahmed intègre une CLIS 3 pour enfants aveugles ou malvoyants, toujours sur le département. Il va suivre, aussi longtemps que possible, une scolarité ordinaire, dans une classe brailliste à petit effectif, dans une école ordinaire, avec sa cour de récréation et sa cantine...


J’ai eu des nouvelles d’Ahmed par la collègue qui est désormais sa référente. Ahmed a conservé son sourire et sa belle énergie, il est désormais autonome avec la canne blanche, son CP se passe plus que bien, il apprend à lire et à utiliser le poinçon. Ma collègue, à son tour, a été conquise par cette « pulsion de vie » qui fait d’Ahmed, dans nos parcours professionnels, un jalon, une borne sur la route, une aide pour faire notre métier autrement. Un rayon de soleil, dans ces temps d’hiver qui s’installe et de morosité citoyenne. Pour nous rappeler que rien n’est jamais en vain...

M. Barthélémy
16 décembre 2008

*   *   *
*

Pour écrire à M. Barthélémy : “monsieurbarthelemy–AROBASE–gmail.com” (...en remplaçant bien sûr “–AROBASE–” par “@”)

Informations sur cette page Retour en haut de la page
Valid XHTML 1.1 Valid CSS
Dernière révision : samedi 01 février 2014 – 15:50:00
Daniel Calin © 2014 – Tous droits réservés