Un texte de M. Barthélémy
François souffre d’une myopathie de Duchêne, la pire des saloperies qui soient, qui l’a cloué dans un fauteuil dès 5 ans et qui le condamne à brève échéance. Car François vient de passer les 19 ans, et les médecins, et les statistiques, ne lui donnent que quelques rares années à vivre.
Sauf que des statistiques, et des médecins, François se fout : il passe son Bac à la fin de cette année, il dit à ses parents qu’ils ne vont pas tout de suite se débarrasser de lui (on peut être handicapé et ado...), il s’éclate avec la chienne d’accompagnement qu’il souhaitait et dont il vient d’être pourvu...
Rien, chez ce grand jeune homme, n’appelle commisération ni appréhension. Ni les tuyaux du respirateur, ni la position cassée, ni les membres en vrac. Seuls, au premier plan, le sourire dévastateur et le regard noir, des fous rires incontrôlables (et dangereux...), des coups de gueules irrépressibles, nécessaires et justifiés.
Des mots insupportables pour ceux qui l’aiment, des mots qui disent qu’il a tout compris - au-delà des mots. « Je vais mourir. Peut-être bientôt. Mais vous aussi. On ne sait pas quand. Mais pour le moment, je suis vivant. Alors arrêtez vos gueules d’enterrement ! ».
On n’accompagne pas un gamin comme ça, ni dans sa scolarité, ni dans sa vie. C’est lui qui vous accompagne, qui vous montre ce qui est possible, qui vous dit ce qu’il vaut mieux éviter. Qui vous montre le chemin à parcourir puisqu’il y a belle lurette que son chemin à lui, c’est le moteur de son fauteuil qui le permet.
Le réel est tenace. Il pèse de tout son poids de réel. Et le réel ce n’est pas que la kiné respiratoire, les fausses routes, les changes acrobatiques. C’est aussi cette envie de vie, jamais battue, si parfois abattue. Lorsque Lady s’élance dans le jardin, c’est François qui lui court après. Immobile dans son fauteuil. Les autres, autour, qui essaient de la rattraper, sont pesants, sans grâce, tétanisés.
Ce métier me rendra fou. De douleur. D’admiration. Il me faudra aller voir ailleurs. Que ma vie professionnelle ne finisse pas par rendre fade ma vie personnelle. Que je continue à savoir accueillir le banal, le quotidien pour ce qu’il est : la vraie vie aussi, même si quotidienne, même si banale.
En attendant, François, tu es mes jambes, tu es mon souffle.
Garde-toi.
M. Barthélémy
27 janvier 2009
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