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Chronique 23
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Un texte de M. Barthélémy
 

Isabelle, c’est deux grands yeux bleus, sous des cheveux poivre et sel coupés courts, sur un sourire plissé malicieux et toujours offert.

Isabelle, c’est une voix modulée qui, tour à tour, apaise, encou­rage ou exprime les choses les plus douloureuses à entendre mais qui doivent être dites. Sa parole est thérapeutique, parce qu’elle ne cherche pas à l’être.

Isabelle, sa classe, c’est un paysage de Land Art, annexe du jardin pédagogique du collège, une serre tropicale où les plantes carnivores n’arrivent plus à digérer les moucherons qui naissent des plantations, une salle de concert où Schubert le dispute à Grand Corps Malade, une bibliothèque ouverte sur le monde où les livres entrent et sortent, une ruche où chacun s’active, où chacun trouve une place à sa juste mesure.

Isabelle, ses élèves, ils sont fous ou malades. Chacun le sait, nul ne s’en préoccupe. Lorsqu’une crise arrive, ce qui est rare tant le climat qui règne ici apaiserait même un taureau de corrida, chacun, à l’unisson d’Isabelle, absorbe, renvoie de la sérénité, calme en proposant des mots.

Isabelle, ses élèves, elle les envoie en lycée professionnel, en EREA, en CFA, malades ou fous, mais armés pour vivre avec les autres, pour peu que ces derniers soient bienveillants et qu’ils soient accompagnés.

Isabelle, ses élèves, elle ne les intègre pas, ils ne sont pas exclus, ils n’ont pas à entrer, ils sont là.

Isabelle, son sourire, parfois, se fait mélancolique. Elle n’est pas dupe. Elle sait que ses élèves, ou ceux qu’elle n’aura plus, auront à se battre, chaque jour, pour garder cet axe vertical qu’elle a contribué à leur forger – surtout dans le regard des autres.

Isabelle, ses cheveux montrent qu’elle en a fini avec l’École, que l’heure de la quitter est là. Cette retraite bien méritée, elle y va sans remords, pleine de nouveaux projets, de nouvelles rencontres, au plus près de l’infini de bleu et de gris de l’Océan.

Isabelle, son regard, parfois, s’envole. Pour un instant, pour un instant seulement, je sais qu’elle s’approche au plus près de la folie, presque à s’en brûler les ailes, qu’elle accepte sa part de folie, de maladie, qu’elle a su, elle, regarder en face et apprivoiser.

Isabelle, c’est l’enseignante de « mon » UPI, l’une des plus belles rencontres de ma carrière. Son départ ne sera pas un départ ordinaire. Il n’inscrira pas le mot « fin » sur l’écran de ce qu’elle m’aura appris. Sa leçon sera, dans mon panthéon à moi, à l’égale de celles de Montaigne ou de Camus. Excusez du peu...

M. Barthélémy
10 février 2009

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Pour écrire à M. Barthélémy : “monsieurbarthelemy–AROBASE–gmail.com” (...en remplaçant bien sûr “–AROBASE–” par “@”)

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