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Chronique 25
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Un texte de M. Barthélémy
 

Cela fait maintenant trois ans que je suis la scolarisation de Nafissatou, petite fille qui vit dans son monde et vit le nôtre comme agressif, se réfugiant dans ses cris ou papillonnant de la lumière clignotante d’un néon à l’écoulement de l’eau du robinet de la classe. Trois ans qu’elle est scolarisée en petite section, contre mon avis (quand va-t-on l’autoriser à grandir ?), avec la même maîtresse, la même AVS et un hôpital de jour qui vient de passer la main à un IME, à la plus grande satisfaction de ses parents qui ne sont plus monopolisés par des trajets, un emploi du temps et une diversité d’interlocuteurs qui les requerraient à plein temps ou presque.

Durant les deux années école/hôpital de jour, Nafissatou a progressé, elle a abandonné les néons et l’eau pour se poser à la peinture, les cris pour accepter que les autres viennent s’asseoir à côté d’elle. Depuis son entrée à l’IME, à l’école, chacun observe combien Nafissatou régresse à nouveau, retrouvant les rituels qui étaient les siens lors de son entrée à la maternelle. De son côté, l’IME souligne que Nafissatou est l’une des plus avancées du groupe dans lequel elle est prise en charge, ce qui valide le travail des années précédentes. Cette disparité d’observations, après un changement important de lieux, de personnes référentes, de temps de prises en charge, est chose courante. Courante pour moi, mais ni pour les parents qui ne comprennent pas que les professionnels ne parviennent pas à s’accorder, ni pour l’école qui a le sentiment d’avoir travaillé « pour les autres » et de perdre les « bénéfices » des années passées...

L’objet d’une équipe de suivi est justement que chacun entende au même moment les mêmes mots prononcés par des interlocuteurs différents afin qu’une image plus juste de l’évolution de l’enfant puisse apparaître dans les recouvrements ou les disjonctions qui s’opèrent selon les lieux d’observation.

Concernant Nafissatou, la dernière réunion de l’équipe, la première avec tous les (nouveaux) partenaires, a conduit l’IME à prononcer un mot qui n’avait jamais été utilisé auparavant, ni par les soignants, ni a fortiori par l’école ou la famille, celui d’autisme. À peine ce mot prononcé, les parents se sont effondrés, l’école a été interloquée.

Je n’ai aucune compétence pour suivre ce diagnostic ou le nier – et ce n’est pas mon rôle. Ce dont je peux témoigner, c’est que ce diagnostic, fort, et encombré des représentations de chacun, est tombé comme une chape de plomb sur la réunion, sans qu’aucun « rattra­page » ne soit possible. Le mot était dit, par les professionnels du soin qui plus est, il venait désormais recouvrir Nafissatou de son étiquette ambiguë, sans aucune précaution d’annonce.

Maladresse ? Toute puissance du médical ? Aveuglement de la famille et de l’école qui, jusqu’à présent, accompagnaient la petite au plus près de ses besoins et de ses progrès sans chercher à « savoir » ? Un peu de tout ça, sans doute.

Peut-être sera-ce un choc « salutaire » ? Un renvoi nécessaire à la réalité ?

Pourquoi ai-je un doute ? Pourquoi ce malaise, ce sentiment diffus que, jamais, un être humain ne se résume à la case dans laquelle on l’enferme ? Qu’apporte cette appellation d’autisme aux progrès de Nafissatou ? Est-elle suffisamment « typique » de la pathologie que de nommer cette dernière permette de mieux savoir ce qu’il convient de faire avec elle ? Ou, au contraire, sa déclinaison de la pathologie fait d’elle une enfant « comme les autres », en ce sens que chacun est différent, et que c’est sa différence à elle qu’il convient de prendre en compte, comme celle de son voisin de classe « ordinaire » ou de sa voisine d’IME « différente » ?

Voici donc que maintenant Nafissatou est autiste. Le verbe « être » en français, à la différence par exemple de l’espagnol, est redoutable : il dit à la fois l’état et le devenir. Sera-ce pour Nafissatou un état définitif, qui la caractérisera comme personne que l’on accompagnera (« ser ») ou sera-ce pour elle un accident, qui décrira un moment de son développement dont elle sortira (« estar ») ?

Je n’en sais rien. Mais ce que je crois, c’est que cette annonce-là, de cette manière-là, risque de conduire à cristalliser une dynamique, à figer des progrès, à décourager des regards. À disqualifier le travail des années antérieures. À laisser à la seule force de vie de Nafissatou la tâche de continuer d’avancer... Qui est importante. Mais qui a encore besoin, et pas qu’un peu, de l’étayage des adultes...

M. Barthélémy
10 mars 2009

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