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Chronique 30
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Un texte de M. Barthélémy
 

Chère Aïcha,


Un peu désespérée par la tournure que prennent les événements et la manière dont les enseignants spécialisés des RASED sont malmenés, vous m’interrogez sur la fonction d’enseignant référent et sollicitez des conseils.

J’aimerais répondre à votre demande, d’autant que nous entretenons depuis quelque temps déjà des relations épistolaires qui montrent votre implication au service des plus petits et que vous m’obligez à faire retour sur ma pratique par la pertinence de vos questions.

Mais, dans ce cas d’espèce, je ne suis pas certain d’être la bonne personne à qui vous adresser...


Je n’ai jamais été doué aux échecs : il faut toujours jouer avec plusieurs coups d’avance, ce que je n’ai jamais su bien faire. Un peu à l’inverse de ma vie professionnelle : j’ai très vite vu les limites de la fonction de directeur d’école dans les conditions actuelles, je ne me suis jamais senti bien comme maître E en RASED sans les moyens d’un travail approfondi et je commence déjà à apercevoir les limites du travail de référent où le droit à compensation (mal compris par les enseignants) se transforme à la vitesse grand V en devoir, voire en , pour certaines familles qui instrumentalisent le handicap comme source de revenus supplémentaires...

Et si je prends un peu de distance, et que j’essaie de voir ce qu’il y a de commun dans toutes ces expériences décevantes, c’est mon incapacité grandissante à accepter le tour que prend cette société dans laquelle je me sens de moins en moins bien. Plus je m’observe, plus je constate que je verse dans les comportements que je reprochais aux autres : individualisme, repli sur ma petite famille, aspiration aux grands espaces et aux horizons renouvelés, envie de calme – jusqu’à faire calculer mes droits à la retraite !... Sans doute le syndrome de la cinquantaine.

Mais je m’égare : le travail de référent, majoritairement, peut être passionnant si, de mon point de vue, on est capable de “tenir” sur un point : bien que salarié de l’ÉN, l’enseignant référent est au service du seul élève handicapé, de la cohérence et de la continuité de son parcours scolaire – pas au service du désir des parents, des objectifs scolaires ou des choix thérapeutiques. Le référent est l’interface entre ces trois pôles du trépied (parents/école/soins), il a pour tâche de mettre de l’huile entre les rouages de ces trois instances, mais uniquement référée aux besoins actuels de l’élève, besoins qui servent de boussole (et nécessitent de prendre du recul par rapport aux trois points de vue qui s’expriment, légitimement, mais chacun dans leur domaine) et actualité qui impose de réajuster le plus finement possible les choix effectués pour qu’ils collent au présent du jeune et non à son avenir supposé en fonction d’un passé dépassé.

Ça demande : 1. d’être suffisamment capable de vivre ce que vit le jeune dans son handicap tout en le mettant à distance pour ne pas être submergé par un empathie immobilisatrice ; 2. d’être suffisam­ment caractériel pour “tenir tête” à des parents soucieux de normalisa­tion, à une école peu capable de différenciation et à des soins dans la toute-puissance ; 3. d’être suffisamment modeste et au clair avec soi-même pour ne pas se prendre pour Dieu... et rester à une place “suffisamment bonne” (merci Winnicott, objet et espace transitionnels compris ; merci Anzieu, moi-peau compris).

Vous avez un atout maître : vous n’avez pas été secrétaire de CCPE, et n’êtes donc pas enfermée dans des représentations et des manières de faire d’un autre âge.

Il s’agit maintenant de faire retour sur vous-même et d’examiner si vous êtes capable de tenir ensemble et en même temps les deux bouts de la corde : comprendre que, quoiqu’en dise notre société qui édulcore la réalité et vit en permanence dans le déni (de sourd à “personne sourde” puis à “personne atteinte de surdité” puis à “personne souffrant d’une déficience auditive”, par exemple...), le handicap est une caractéristique existentielle de la personne handicapée qui doit « vivre avec » ET que le handicap se mesure dans un environnement spécifique en termes de participation rendue possible ou non par des choix politiques.

En d’autres termes, le handicap, c’est ce qui articule l’individuel et le politique, le “sociétal” et l’humain.

Beau boulot. Je ne suis plus convaincu qu’on ait donné les moyens de le remplir correctement. Mais ça c’est mon point de vue de vieil aigri. Et ça vaut certainement le coup de se battre pour le faire advenir plus réel...

M. Barthélémy
28 avril 2009

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Pour écrire à M. Barthélémy : “monsieurbarthelemy–AROBASE–gmail.com” (...en remplaçant bien sûr “–AROBASE–” par “@”)

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