Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
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Chronique 8
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Un texte de M. Barthélémy
 

Au détour de l’interview radiophonique d’un ancien ministre de l’Éducation nationale, ci-devant « nouveau » (?) philosophe (j’avais en son temps beaucoup apprécié La Sagesse des Modernes, sans doute plutôt du fait de l’écriture à deux voix avec Comte-Sponville), la profession ébahie découvre qu’on en veut, en haut lieu, aux réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED). Les lettres de cadrage budgétaire qui sont publiées peu après ne laissent guère de doute : l’Éducation nationale, premier budget de l’État, est la plus lourdement touchée. Les marges de manœuvre étant fort réduites (l’essentiel de la masse budgétaire du MEN consiste dans le paiement des traitements et des pensions, le fonctionnement représentant moins de 5 % de la masse globale), ce sont les personnels qui en feront les frais. Lesquels ? Ceux qui ne sont pas « devant élèves » et ceux qui permettent le peu de formation continue existante, les remplaçants (sait-on que dans ce vaste empire du Savoir qu’est l’Éducation nationale, les enseignants n’utilisent leur crédit formation d’un an sur l’ensemble de leur carrière qu’à hauteur de 15 jours en moyenne, non qu’ils ne souhaitent pas se former « tout au long de leur vie », mais parce que les stages programmés sont le plus souvent annulés à la dernière minute, faute de moyens de remplacement ?). Premiers touchés, nous dit-on, les enseignants spécialisés d’adaptation (maîtres E) ou de rééducation (maîtres G).


Qui s’en étonne ?

Pas la hiérarchie de l’Éducation nationale qui a toujours vu dans les enseignants spécialisés des électrons libres, et pensants, sur lesquels les inspecteurs ont le sentiment de ne pas avoir assez la main.

Pas les syndicats enseignants qui ont toujours vu dans l’enseignement spécialisé une brèche dans le service unifié d’éducation (qu’ils appellent égalitaire, mais qui est tout sauf équitable).

Pas les enseignants des classes « ordinaires » qui n’ont pas toujours compris en quoi le travail des enseignants spécialisés, payés plus et sans classe, était spécifique ni n’observaient qu’il remédiait réellement aux difficultés des élèves... - peu aidés par les maîtres spécialisés assez avares d’explications quant à leurs missions.

Pas les parents, la majorité étant parents d’enfants sans difficulté, donc ne se sentant pas concernés.

Restent les seuls enseignants spécialisés... Qui en la matière ont la mémoire bien courte : dès 1995, le rapport Gossot, bien vite confirmé par le rapport Ferrier en 1998, indiquait que des dérives dans le fonctionnement des RASED nuisaient à leur efficacité. Cinq ans à peine après leur création, les réseaux étaient déjà sur la sellette...


Et si les RASED avaient eux-mêmes contribué à scier la branche sur laquelle ils étaient assis ? Qui chez les maîtres E et G s’est ému de telle circulaire sortant les psychologues scolaires des personnels des réseaux ? Qui s’est préoccupé, inlassablement, de faire œuvre de pédagogie en expliquant les modalités d’une séance de remédiation ou de rééducation ? Qui a joué la transparence des fonctionnements ? Qui a accepté d’interroger la pertinence de la sacro-sainte séance de trois-quarts d’heure hors la classe ? Qui a pris le risque du « faire avec » ou du « faire devant » les collègues « ordinaires » ?


Je suis issu des réseaux. J’ai été porteur de leur dynamique. De leurs maladresses aussi. Je sais combien leur travail peut être précieux, pour les élèves qui ne veulent pas l’être ou qui sont en souffrance pour le devenir. Mais je crois vraiment qu’à défendre à tout va une spécificité sans l’interroger plus avant, ils se sont tirés une balle dans le pied. Quand, devenu « référent », un collègue de RASED m’a répondu : « Ce gamin, je n’ai pas à m’en occuper, il est handicapé, pas en difficulté », alors qu’en plus d’être handicapé, et indépendam­ment, il n’arrivait pas à entrer dans le nombre, j’ai compris que les RASED étaient morts, qu’ils s’étaient tués eux-mêmes...

Et quand j’observe que ni les syndicats d’enseignants, ni les associations professionnelles ne sont capables d’organiser, rapidement, une riposte commune, je me dis qu’à force d’être restés bloqués sur le « spécialisées » du sigle, les RASED en sont venus, sinon à oublier les « aides », au moins à en négliger l’aspect « réseau », c’est-à-dire ce qui manifestait les liens à tisser, les regards à croiser, les profession­nalités à co-construire.

M. Barthélémy
14 octobre 2008

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