Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
(Site créé et animé par Daniel Calin)

 

La rééducation ou “l’éternité du précaire”(*)

 

 
Un texte de Ludovic Cadeau,
Rééducateur RASED Angers 6

Avant-propos : rééducation et théorie

Existe-t-il une théorie unique, bien définie et indiscutable de la rééduca­tion ? Rien n’est moins sûr.

Il existe maintenant de nombreux ouvrages(1) qui tentent d’éclairer, de formaliser une forme d’aide spécialisée qui n’est pas toujours ni bien comprise, ni bien acceptée dans l’institution scolaire. Il est plus réaliste de parler d’une praxis rééducative, c’est-à-dire d’une théorisation qui se construit par des allers-retours permanents entre théorie et pratique.

Pour expliquer cette théorisation toujours en devenir, il ne faut pas oublier que la rééducation est une pratique relativement récente (les premiers stages de formation pour les Rééducateurs en Psycho-Motricité datent de 1964) et qu’elle emprunte à plusieurs champs théoriques : pédago­gique, psychanalytique voire systémique.

 
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A/ Essai de définition

I/ Aide à dominante rééducative ou rééducation ?

L’Aide à Dominante Rééducative est plus communément appelée rééducation (même si elle n’a rien à voir avec les camps du même nom). Ce terme de “rééducation” était présent dans les circulaires de février 1970 (mise en place des GAPP) et d’avril 1990 (mise en place des RASED) mais il a disparu et été remplacé par la dénomination “Aide à dominante rééducative” dans la circulaire d’avril 2002. Si dans leur travail quotidien, les rééducateurs ont conservé ce terme de rééducation, c’est (sans doute) par commodité. Mais peut-être aussi par réflexe de survie professionnelle car cette disparition allait de pair avec une autre : le nom de rééducateur était également gommé des textes officiels. Et chacun sait qu’une identité professionnelle se construit à partir d’une histoire, mais aussi d’un nom qui permet aux rééducateurs d’être reconnus et identifiés. L’appellation “Maître G” n’a pas plus de légitimité institutionnelle (il faudrait dire “Maître spécialisé titulaire du CAPSAIS option G”) et puis reconnaissons que “Les G” ça ne pèse pas lourd !

II/ Définition de la rééducation : la circulaire d’avril 2002

Des extraits de la circulaire permettent une première formalisation de la rééducation :

« Elles [les aides à dominante rééducative] sont en particulier indiquées quand il faut faire évoluer les rapports de l’enfant à l’exigence scolaire, restaurer l’investissement scolaire ou aider à son instauration. »

« Les aides spécialisées à dominante rééducative ont pour objectif d’amener les enfants à établir des liens entre leur “monde personnel” et les codes culturels que requiert l’école, par la création de médiations spécifiques. »

La rééducation s’adresse « à certains enfants, qui du fait des conditions sociales et culturelles de leur vie ou du fait de leur histoire particulière, ne se sentent pas “autorisés” à satisfaire aux exigences scolaires, ou ne s’en croient pas capables, ou ne peuvent se mobiliser pour faire face aux attentes (du maître, de la famille, etc.). »

III/ Définition de la rééducation : quelques citations

La rééducation peut être définie :

À travers sa (ses) finalité(s)

Elle [l’aide rééducative] a pour fonction de conduire progressivement l’enfant à un réaménagement de son mode de relation à l’environnement et de lui permettre de retrouver l’estime de soi, le plaisir du fonctionnement intellectuel et le goût d’apprendre. D. Luciani (Formatrice IUFM Paris Molitor)

Par rapport aux élèves à qui elle s’adresse

Elle [l’aide rééducative] s’adresse à des enfants dont le rejet de l’école et des apprentissages demande à être entendu comme un symptôme. Pour des raisons complexes et chaque fois singulières, ces enfants ont beaucoup de peine à se constituer une identité d’écolier et d’élève ; ils sont intérieurement en rupture d’école et en rupture d’apprentissage. Martial Prévot

Par rapport à son positionnement original dans l’institution scolaire

La rééducation n’est ni pédagogie ni thérapie, ni les deux à la fois, mais plutôt au croisement en empruntant aux deux (les buts pédagogiques et les postulats et caractéristiques psychologiques). Son efficacité résulte parado­xalement de cette composition et de son statut d’entre-deux. Félix Gentili (I.E.N. AIS auteur de La rééducation contre l’école, tout contre)

Par rapport au rôle du rééducateur

Le Maître “G” serait une sorte de “passeur” d’enfant entre ce qu’il est et ce qu’il pourrait être sans trop le savoir à l’avance. Il l’attire et l’aide à opérer dans un mode de fonctionnement de la pensée qui consiste à quitter ses schémas et ses systèmes personnels, souvent “prélogiques”, qu’il a tendance à appliquer à n’importe quelle situation, pour accéder à ceux auxquels l’exigence scolaire fait appel. Patrice Nagel (Formateur IUFM Lille)

 

B/Les postulats de la rééducation

La légitimité du travail rééducatif repose sur trois postulats :

I/ Le principe d’éducabilité

Le rééducateur adhère nécessairement à ce principe qui postule que, quelles que soient ses difficultés, un enfant, un être humain peut s’inscrire dans une dynamique de progrès. Philippe Meirieu affirme d’ailleurs qu’un enseignant qui doute de ce principe n’a plus le choix : il doit abandonner son métier.

Le psychanalyste Jacques Lévine complète cette idée en avançant que chaque enfant est doué de ce qu’il nomme des “capacités d’auto-réparation”. Ces facultés permettent à chacun d’élaborer, de mettre à distance des “blessures de vie” qui peuvent parasiter le désir de grandir : « Ces capacités le conduiront à rechercher d’autres solutions que celles sur lesquelles il bute, d’autres arrangements de son rapport au monde. » (J. Duval-Héraudet)

II/ Les difficultés scolaires : un symptôme

Les difficultés scolaires (cognitives ou comportementales) peuvent être envisagées comme le symptôme de difficultés personnelles. Ces difficultés deviennent scolaires car c’est à l’école que l’enfant est mis en échec.

L’attitude de l’élève en difficulté (refus d’apprendre, comportements perturbateurs, inhibi­tion...) est la seule manière qu’a trouvé l’enfant pour être entendu, pour lancer un appel (au secours), une manière de dire : « Ça ne va pas bien pour moi. »

Dans certains cas (en particulier quand les aides pédagogiques en classe ou par le maître E ont échoué), il ne paraît pas efficient (ni souhaitable) de proposer une remédiation purement scolaire car il s’agit de prendre en compte une difficulté qui, a priori, se noue dans l’histoire personnelle de l’enfant. « Le développement cognitif est en grande partie issu de la rencontre entre les mouvements corporels du sujet, ses mouvements psychiques et affectifs, et son environnement. » (Maurice Berger – Chef de service en psychiatrie de l’enfant à St Etienne)

III/ Le temps de la rééducation n’est pas du temps perdu pour les apprentissages scolaires

Le tempo de l’école (celui des apprentissages) est celui d’une marche en avant : on passe d’une notion à une autre, d’une séquence à la suivante, du CP au CE1 puis au CE2... Gare au flâneur ou au retardataire !

Dans ces conditions, le temps de rééducation peut être perçu, par certains, comme du “temps perdu”. En effet, le travail de type rééducatif n’est pas directement branché sur un programme scolaire. Il ne s’agit pas de refaire inlassablement ce que l’élève a (mal) fait en classe, ni d’instaurer une relation précepteur/élève pour individualiser l’enseignement. La rééducation instaure une rupture dans le tempo de l’école car « la ré-éducation de l’effort ne passe pas par un renforcement des contraintes mais au contraire par le fait de prendre son temps, de terminer plus tard, de savoir s’arrêter et reprendre le lendemain. Et surtout de réussir et pour cela de terminer, de venir à bout. » Philippe Cormier (Formateur IUFM Nantes)

Pour espérer des bénéfices d’une aide rééducative, il est indispensable que l’élève, son enseignant et ses parents ne recherchent pas, dans ce type d’aide, un travail de soutien ou de renfor­cement scolaires.

Il est donc important :

 

C/ Les principes généraux de la rééducation

Avertissement

Le terme de rééducation peut prêter à confusion : il ne s’agit pas de refaire une éducation (qui aurait été ratée) mais bien d’offrir à l’enfant la possibilité de (re)jouer son éducation.

Jouer est à entendre au sens théâtral du terme, c’est-à-dire une mise en mots, une mise en scène de son histoire. Il est possible aussi d’en jouer, voire de s’en amuser, afin de la dédramatiser et se l’approprier.

I/ La circulaire du 30 avril 2002

Les textes officiels ne donnent que peu d’indications précises sur des principes ou une stratégie à employer en rééducation. Il est même affirmé qu’il est de la responsabilité de l’enseignant spécialisé de faire des choix : « pour atteindre ces objectifs, les intervenants spécialisés compétents du réseau d’aides choisissent et mettent en œuvre, dans chaque cas, les stratégies, les méthodes et les supports les mieux adaptés à leur démarche professionnelle. »

II/ Les principes de base

La rééducation est une aide originale car elle s’adresse à un élève qui n’apprend pas (ou qui n’apprend plus) et elle est assurée par un enseignant qui n’enseigne pas (directement). Mais la rééducation se situe bien dans le cadre scolaire. Si le rééducateur s’adresse d’abord à l’enfant, il n’oublie pas la finalité de son travail, c’est-à-dire d’aider l’enfant à devenir élève. « Cela induit que l’horizon ou le décor de la “scène rééducative” est sco­laire. » (Philippe Cormier – Formateur AIS Nantes). Pour approcher cet horizon (tâche bien difficile !), quatre principes peuvent être précisés :

1/ Lieu de parole et de symbolisation

La rééducation offre à l’élève un temps bien repéré et un espace sécurisé pour qu’il puisse symboliser (par la parole, le dessin, le jeu...) ses difficultés personnelles. Cette représentation, que l’enfant adresse au Rééducateur, permet une mise à distance de certains affects. Il est essentiel, pour le Rééducateur, d’accompagner par la parole le jeu de l’enfant. Cette “mise en mots” des actions, des émotions, va, peu à peu, permettre de mettre de l’ordre, de mettre du sens sur un vécu ressenti comme chaotique : « la parole, proférée ou reçue, est une enveloppe, un contenant [...] qui permet de stabiliser l’excitation. » (Chantal Bolotte – Professeur de philosophie IUFM Nantes).

Sans cette première élaboration, les affects envahissent la pensée de l’enfant et la rendent indisponible aux apprentissages.

Ce déplacement des difficultés dans le champ symbolique est traduite pour l’enfant en une invitation au “faire semblant” : « Ici, on fait semblant, on ne se tape pas, on ne se fait pas mal. »

2/ Lieu de parole et d’autonomisation

La rééducation vise l’autonomisation de l’enfant en permettant :

Un travail de séparation

L’enfant doit être suffisamment dépris de son milieu familial (et en particulier de sa mère) pour désirer découvrir et comprendre le monde. L’entrée dans les apprentissages nécessite un sujet séparé, sinon toute la dynamique psychique de l’enfant est mobilisée pour conserver la place d’objet du désir de sa mère.

“L’artifice rééducatif”(2) permet à l’enfant de re-jouer cette séparation que l’enfant vit comme une menace. La parole, le jeu, le cadre rééducatif(3) vont servir de tiers pour instituer une triangulation et interdire tout enfermement dans une relation duelle et mortifère.

Une (re)construction de son historicité

L’historicité est « la capacité à donner du sens et à se repérer dans son histoire » (Jacques Lévine). Chaque enfant s’inscrit dans une histoire. Il doit pouvoir faire des liens entre son passé et son présent. C’est à travers quelques points d’ancrage stables qu’il garde en mémoire que chaque sujet effectue un perpétuel travail de (re)construction de son histoire personnelle. La conscience de cette continuité d’existence est indispensable pour s’inscrire dans les apprentissages et se projeter dans l’avenir.

L’espace rééducatif est un lieu de parole où l’enfant va pouvoir s’inscrire dans une historicité : « En se racontant en même temps qu’en jouant ses histoires avec le rééducateur l’enfant va pouvoir reconstruire sa propre histoire. » Y. de La Monneraye.

3/ Espace de transition et de socialisation

Winnicott définit “l’espace transitionnel” comme le champ d’expériences qui permet à l’enfant la « transition entre le Moi et le non-Moi grâce à des processus de représentation et de symbolisation. »

La rééducation peut être considérée comme une zone intermédiaire entre le monde personnel (privé et familial) de l’enfant et le monde social (l’école). Des règles moins contraignantes (mais signifiantes), une présence empathique, une écoute singulière peuvent sécuriser l’enfant et l’aider à faire ce mouvement vers l’école et sa culture(4).

4/ Espace de création(s) et situations de réussite

Contrairement à la situation didactique où l’enseignant anticipe et met en œuvre sa séquence, en rééducation, une grande initiative est laissée à l’enfant. En effet, ses choix vont déterminer, au moins en partie, le déroule­ment de la séance.

En menant ses propres expériences, en créant des liens (avec le Rééducateur), en construisant, en imaginant, l’enfant va pouvoir expérimen­ter ses facultés de création(5). Ainsi, il va s’investir de façon personnelle dans ce lieu qui est (encore) l’école et renforcer son estime de soi : « ne pas permettre à l’enfant d’être actif dans ses expériences, ne pas lui permettre d’avoir des initiatives, c’est créer un obstacle majeur dans son organisation narcissique. » J. Duval-Héraudet

 

D/ Les modalités de l’intervention rééducative

Une large majorité des rééducateurs de l’Éducation Nationale se reconnaissent dans la rééducation dite relationnelle(6) qui est basée sur les interrelations élève/rééducateur. Malgré la diversité des approches (en fonction de la personnalité mais aussi de la formation de chaque réédu­cateur), on retrouve quelques points communs à toutes les pratiques professionnelles :

I/ L’institution rééducative

D’après de La Monneraye, l’institution rééducative, c’est l’accord passé entre adultes (parents, maître de la classe, rééducateur) pour dire qu’une aide rééducative est possible dans le cadre scolaire. Chaque partie respecte l’autre dans sa fonction et ainsi s’établit « une institution triangulaire, où chacun aura sa place à tenir, s’interdira de prendre celle de l’autre et dont le rééducateur sera le garant. » Cette reconnaissance mutuelle est le préalable nécessaire au démarrage de la rééducation car elle va créer, pour l’élève, un espace de liberté reconnu par ses parents et son enseignant.

II/ Le processus rééducatif

Le processus rééducatif peut s’entendre comme l’élaboration dynamique d’une histoire inter-relationnelle entre l’enfant et le Rééducateur. Comme l’affirme Yves de La Monneraye, ce processus est plus à envisager comme un récit que sous la forme d’un programme marqué par des étapes.

À travers la construction de ce récit, l’enfant va “travailler”(7) son histoire personnelle et peu à peu lui donner du sens.

Comme l’élaboration du “roman familial”(8) permet à l’enfant de prendre de la distance avec ses parents, on peut suggérer que la rééducation engendre un “récit rééducatif” qui offre la possibilité à l’enfant de se dégager de son monde intérieur trop prégnant pour s’ouvrir au monde de l’école. Yves de La Monneraye rappelle d’ailleurs que le processus rééducatif est « le parcours symbolique qui permet de passer d’une relation de dépendance et d’assu­jettissement à une relation de sujet articulé à autrui. »

Le transfert

Difficile de parler de rééducation sans évoquer les phénomènes de transfert(9). Rappelons tout d’abord qu’à l’école le transfert n’est pas l’exclusi­vité du travail de rééducation. Il arrive qu’un élève en difficulté se mette tout à coup au travail parce qu’il a rencontré un nouvel enseignant avec qui “ça accroche” (même si parfois il peut y avoir des accrochages). François Tos­quelles rappelle d’ailleurs l’existence de ce phénomène à l’école quand il écrit : « je ne voudrais pas affoler les instituteurs, ni peut-être certains analystes, mais cette possibilité de reprise, de résurgence, on l’appelle, depuis Freud, le transfert. »

Dans le cadre de la relation duelle induite par la rééducation, les phénomènes du transfert se polarisent sur la personne du Rééducateur. Et comme le rappelle Jeannine Duval-Héraudet, c’est en « se décalant légèrement de cette place que le transfert de l’enfant assigne au Réédu­cateur » que celui-ci va pouvoir faire bouger les choses et faire évoluer la situation.

III/ Le rôle du rééducateur

La première fonction du Rééducateur est d’ouvrir une nouvelle porte (de secours ?) à l’élève en difficulté. Provisoirement, il ne va plus s’agir de travailler directement sur la problématique scolaire (puisque les aides en classe ont échoué) mais d’emmener l’enfant dans le champ du symbolique(10). Cette invitation inaugure un nouveau type de relation dans le cadre scolaire. Le Rééducateur s’adresse à l’enfant en lui signifiant : « Tu as bien sûr des difficultés en classe mais c’est surtout toi, en tant que personne humaine, qui m’intéresse. »

Ensuite, par son écoute, par le dialogue qu’il engage, par les médiations qu’il propose, le Rééducateur incite l’enfant à poursuivre son “récit réédu­catif”. Le Rééducateur doit être alors suffisamment “contenant” et “conteneur”(11) pour permettre à l’enfant « d’avancer sur son propre chemin. » (Philippe Cormier).

IV/ Le cadre rééducatif

1/ Le cadre rééducatif : un lieu, un temps, des règles

Un lieu

Un cadre délimite deux lieux : l’intérieur et l’extérieur. L’espace réédu­catif est cet intérieur, c’est un lieu singulier (à l’écart de la classe et de ses règles de fonctionnement) mais toujours dans l’enceinte scolaire.

Un temps

Le temps de l’aide à dominante rééducative est « un temps prélevé dans un temps de l’entrebâillement social » (J.-J. Guillarmé), il n’est ni le temps scolaire rythmé par l’emploi du temps de la classe, ni le temps privé de l’enfant cadencé par la vie familiale. La régularité des séances et leurs durées immuables sécurisent l’enfant.

Des règles

La première règle énoncée renvoie à l’objet des rencontres « Tu viens ici pour mieux réussir dans ton “métier” d’élève. » Les autres règles permettent de baliser un espace sécurisé où le passage à l’acte est interdit :

2/ Le cadre rééducatif : ses fonctions

a/ Une fonction sécurisante

Le besoin de sécurité est primordial. Les règles énoncées, l’accueil et l’écoute du rééducateur, la confidentialité des séances instaurent ce senti­ment de sécurité. Le cadre doit être précis, solide, immuable afin d’accueillir les diverses manifestations de l’enfant en difficultés : passivité, instabilité, agressivité.

b/ Une fonction limitative

Bien des élèves qui sont adressés au rééducateur ont des difficultés avec “les limites à ne pas dépasser”. Et pourtant, c’est bien parce que l’enfant rencontre des limites qu’il va pouvoir se construire. Ce sont les interdits (et les autorisations) familiaux qui constituent le socle du Surmoi, instance psychique qui fait obstacle à certaines pulsions qui pourraient entraîner des perturbations sociales.

Le cadre rééducatif a une fonction limitative. L’interdit du passage à l’acte permet à l’enfant de faire la différence entre “il n’y a pas d’interdit de parole” et “je fais ce que je veux”. Paradoxalement, cet interdit va ouvrir sur autre chose : utiliser les médiations pour exprimer ses difficultés, ses angoisses et ses questions.

c/ Une fonction symbolisante

La fonction symbolique, c’est la capacité à utiliser un objet secondaire qui représente un premier objet absent (cet objet initial pouvant être une personne, un objet matériel ou un événement).

Très jeune, un enfant est capable d’utiliser cette fonction à travers le jeu symbolique. C’est ce qu’avait observé Freud à propos de son petit-fils quand celui-ci éloignait et ramenait une bobine de fil. Freud, en observant cette scène, interpréta ce jeu de va-et-vient comme la disparition et la réapparition de la mère. Le jeu avec cette bobine de fil permettait à l’enfant de surmonter l’angoisse de la séparation en “la jouant”, en l’apprivoisant.

V/ Les médiations

C’est parce qu’il est souvent trop difficile, pour un enfant, de parler de ses difficultés que le rééducateur utilise des supports divers qui vont faire office de médiation : « il est plus facile de parler de son histoire à partir d’un dessin ou d’un modelage. L’objet permet de dire, de ne pas dire ou de “mi-dire” le plus souvent » (J. Duval-Héraudet).

Les médiations proposées

Tous les supports favorisant la parole et l’accès à l’imaginaire peuvent être proposés : figurines animales, poupées, matériel de dessin et de décou­page, pâte à modeler...

Les jeux de société sont aussi utilisés : ils permettent à l’enfant de se confronter aux règles, d’apprendre à perdre, voire d’expérimenter “la triche”.

Je propose également d’autres objets culturels plus élaborés (livres, fichier scolaire). Il ne s’agit pas de (re)faire la classe mais plutôt de jouer à être un élève (ou un maître).

VI/ Le projet d’aide

La circulaire d’avril 2002 précise que le projet d’aide est un document écrit « qui caractérise la situation de l’élève, énonce les objectifs visés, prévoit la démarche et les supports qui vont organiser l’action, donne une estimation de sa durée, indique les modalités de son évaluation. »

Un exemplaire du projet d’aide est mis à disposition de l’enseignant de la classe.

La durée d’une rééducation

Il est toujours difficile d’estimer la durée d’une aide à dominante rééducative (il n’y a pas de programme pré-établi). Ce qui semble important, c’est d’annoncer à l’élève lors des premières séances que l’aide aura une fin et que, dans quelques temps, il pourra se débrouiller seul dans la classe. Un bilan régulier avec l’enseignant de la classe (environ toutes les 8 ou 9 séances) permet de faire le point de l’évolution de l’élève et d’évoquer la suite ou la fin de l’aide (l’arrêt de l’aide peut être demandé par l’élève et elle n’est effective qu’après son accord).

L’évaluation d’une rééducation(12)

« Évaluer l’aide rééducative, c’est évaluer les actions conjuguées et complémentaires de plusieurs acteurs que sont, au minimum, et au-delà de l’enfant lui-même : les parents, l’enseignant et le Rééducateur » (Document FNAREN(13)). L’évaluation se fait à deux niveaux : l’évolution de l’enfant en rééducation et l’évolution de l’élève en classe. Le 1er niveau concerne directe­ment le Rééducateur et lui permet d’ajuster son travail en fonction de l’évolution de l’enfant (investissement et implication, capacité à communi­quer, capacité à symboliser...). Le 2e niveau se fait en collaboration avec l’enseignant de la classe (et régulièrement avec les parents de l’enfant). Cette évaluation du 2e niveau se fait par rapport aux difficultés qui sont à l’origine de la demande d’aide.

 

E/ La rééducation : pour quels élèves ?

L’aide rééducative s’adresse aux enfants qui éprouvent de grandes difficultés à répondre aux exigences qu’impose le statut d’élève. Ils sont écoliers (c’est à dire inscrits à l’école) mais sont dans l’incapacité à s’adapter à ce nouveau monde socialqui n’a pas les mêmes règles que leur milieu familial.

La circulaire d’avril 2002 souligne cette nécessaire adaptation au monde scolaire : « certains enfants, du fait des conditions sociales et culturelles de leur vie ou du fait de leur histoire particulière, ne se sentent pas “autorisés” à satisfaire aux exigences scolaires, ou ne s’en croient pas capables, ou ne peuvent se mobiliser pour faire face aux attentes (du maître, de la famille, etc...). Les aides spécialisées à dominante rééducative ont pour objectif d’amener les enfants à dépasser ces obstacles, en particulier en les aidant à établir des liens entre leur “monde personnel” et les codes culturels que requiert l’école, par la création de médiations spécifiques. »

Félix Gentili (IEN AIS) fait un inventaire des causes qui peuvent être à l’origine de ces difficultés d’adaptation : « Être élève relève d’un rôle social. Ce rôle ne peut être tenu par certains enfants pour de multiples raisons : refus de la collectivité, posture affective vis à vis du maître, peur de la présence d’autrui, habitude à monopoliser l’attention des adultes, problèmes personnels issus de son histoire, inquiétude sur son origine, séparation familiale, conflit de loyauté avec les parents, peur de réussir, refus d’obéir à des attentes précises, réduction de l’estime de soi... »

Toutes ces difficultés peuvent s’exprimer chez un enfant par diverses attitudes :

Tous ces symptômes traduisent un véritable “mal être” à l’école.

 
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Conclusion : La rééducation ou la chronique (éternelle) d’une mort annoncée...

En 1998, je fréquentais le centre de formation AIS de Nantes en tant que stagiaire de l’option E. Déjà, à cette époque, les couloirs frémissaient de bruits annonçant la disparition imminente des Rééducateurs. Le discours ambiant était alarmiste mais... rien ne se passa.

Quelques années plus tard, je repris le chemin de ce même centre de formation, cette fois en tant que stagiaire de l’option G. La même atmosphère apocalyptique régna rapidement quelques semaines après la rentrée. Mais cette fois-ci, c’était sûr, les heures des Rééducateurs étaient comptées. L’année s’acheva et ... rien ne se passa.

Il est pourtant vrai que la fonction des Rééducateurs est régulièrement pointée du doigt et menacée par l’institution scolaire. Des rapports officiels (Mingat 1991, Gossot 1996) remettent en cause la légitimité de ce type de travail dans l’enceinte de l’école. Alain Mingat, par exemple, affirme que la rééducation individuelle est plus proche de la thérapie que de la pédagogie et qu’elle n’est donc pas du ressort de l’Éducation Nationale(14).

La rééducation à l’école est critiquée et, depuis toujours, les Réédu­cateurs ont pris (l’inconfortable) habitude de travailler dans la précarité et l’incertitude.

Cette précarité peut parfois amener un sentiment d’insécurité mais elle a deux avantages :

1/ Précarité et vitalité

La position toujours contestée des Rééducateurs les oblige à expliquer leur travail, à se remettre en question, à faire évoluer leur pratique. Dans une telle situation de précarité, la rééducation doit continuer à s’adapter, à bouger, à progresser si elle ne veut pas perdre son équilibre.

2/ Précarité partagée avec les élèves en difficulté

D’un côté, l’institution scolaire s’interroge sur la présence des Rééduca­teurs en son sein. De l’autre côté, des élèves en grandes difficultés scolaires manifestent leur mal-être à l’école. Il semble que ces deux publics aient un point commun : leur place, à l’école, est inconfortable. C’est peut-être pour cela qu’ils se rencontrent si souvent et qu’ils réussissent à travailler ensemble !

La rééducation à l’école est contestée, voire menacée, sous prétexte qu’elle n’est pas complètement dans le champ pédagogique. Et pourtant, si le Rééducateur était avant tout un pédagogue ? Au sens étymologique du terme, c’est à dire “celui qui conduit les enfants à l’école”. Pour certains enfants, le chemin de l’école est tortueux, escarpé et parsemé d’embûches. Le Rééduca­teur aide ces enfants, quelquefois en les attendant sur le bas-côté, à trouver le chemin qui mène jusqu’à la porte de l’école, sans les précéder, sans les tirer de force mais en les accompagnant.

Ludovic Cadeau
Novembre 2006

 
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Notes

(*) “L’éternité du précaire” : expression utilisée par Jean Oury (psychiatre et psychanalyste) quand il parle de la vie, de la mort et du temps qui passe.

(1) On peut citer :
La parole rééducatrice, Yves de La Monneraye ;
Une difficulté si ordinaire, Jeannine Duval-Héraudet.

(2) L’expression est de Yves de La Monneraye, cf. La parole rééducatrice, page 126.

(3) Cf.paragraphe Les modalités de l’intervention rééducative.

(4) « Les aides spécialisées à dominante rééducative ont pour objectif d’amener les enfants à établir des liens entre leur “monde personnel” et les codes culturels que requiert l’école. » (Circulaire avril 2002).

(5) Maslow, psychologue qui s’est intéressé aux motivations de l’homme, a désigné ce besoin de création comme nécessaire à l’épanouissement personnel de chacun.

(6) Il est possible d’inventorier d’autres types de rééducation. Par exemple : la rééducation fonctionnelle, basée sur la correction du trouble (l’orthophonie).

(7) Le terme de “travail” est à considérer ici au sens de réaménagement psychique. Lire à ce sujet le texte de Daniel Calin : Le travail psychique en rééducation.

(8) Concept proposé par Freud : l’enfant “s’invente” une nouvelle famille pour pouvoir se distancier de ses parents.

(9) Concept fondateur de la cure psychanalytique : dans le cadre de la relation duelle avec l’analyste, le patient revit des émotions (souvent enfouies dans l’inconscient) qu’il a connues dans son enfance.

(10) Les profanes de l’Éducation Nationale peuvent très rapidement repérer une conversation entre Rééducateurs : leurs interventions sont très souvent scandées par le terme “symbolique”. Dans la trilogie lacanienne (réel, symbolique et imaginaire), le symbolique est ce qui permet à chaque être humain de mettre des mots et du sens sur sa vie psychique et sa propre réalité (la réalité est la construction mentale organisée du monde, le réel restant indicible).

(11) Dans la prime enfance, la mère assume ces fonctions de “contenante et conteneur” avec son enfant. En verbalisant ce qui se passe, elle rassure son enfant et lui “prête des mots” pour symboliser des affects, des émotions qui le submergent. Plus tard, l’enfant sera en mesure de symboliser, d’élaborer lui-même ses propres éprouvés.

(12) Le travail du Rééducateur, comme l’est celui de tout fonctionnaire de l’Éducation Nationale, est soumis à une évaluation. Elle est institutionnellement assurée par l’I.E.N. Cette évaluation est à la fois qualitative (lors d’une inspection) et quantitative (lors du bilan de fin d’année).

(13) FNAREN : Fédération Nationale des Rééducateurs de l’Éducation Nationale.

(14) De plus, on assiste actuellement à un fort engouement pour l’approche cognitivo-comportementaliste. Cette stratégie postule qu’il est plus efficace de travailler directement sur le symptôme en utilisant « des procédures reproductibles pour des patients ayant des difficultés similaires » que « sur les causes inconscientes » (citations extraites du site officiel de l’Association Française de la Thérapie Comportementale et Cognitive). Ce type d’approche de la difficulté ne laisse pas de place à la rééducation qui est basée sur la rencontre avec un enfant considéré comme un sujet à part entière et qui « tient dur comme fer à son symptôme. » (Yves de La Monneraye)

 
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