Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
(Site créé et animé par Daniel Calin)

Article précédent   RASED et dys-scolies (II)   Article suivant
Réseaux d’Aides Spécialisées aux Écoles en Difficulté : Du soin à l’éducatif

 

 
Un texte de Laurent Carle
Psychologue scolaire




Eduquer, c’est émanciper. La maîtrise du langage écrit est l’ultime étape et l’écrit, l’outil le plus élaboré de cette émancipation confiée l’école primaire, à condition toutefois que celle-ci ne détourne pas son apprentissage au bénéfice de groupes d’intérêts peu concordants avec ceux de l’enfance, en enseignant une pratique qui n’a que peu à voir avec la communication écrite. Jusqu’à présent, aucun savant phoniste n’a osé prescrire la méthode phonétique pour apprendre à parler en famille aux bambins dans leur deuxième année entre septembre et mai en leur enseignant la liste des phonèmes du français et les règles pour les fusionner en syllabes. Aucun lanceur-propagateur de rumeur n’a osé proscrire la « méthode globale » qui consiste à parler avec de vrais mots et de vraies phrases à des bébés qui ne connaissent pas encore la langue. Mais à l’école, il est courant de privilégier l’oreille dans une activité (lire-écrire) qui ne sollicite que l’œil. On peut enseigner les « sons de l’écrit » et le déchiffrage oralisé. On peut paradoxalement maintenir les enfants dans une dépendance abusive en les privant de la liberté de lire, d’écrire, de s’instruire, de s’informer, de se documenter, de penser et de s’exprimer. Chez les enseignants, c’est surtout la liberté de pensée qui est corsetée. Pourtant, contrairement à ce que croient et affirment les méthodistes, fabricants de manuels, marchands, théoriciens et chercheurs en stades de phonographologie, soignants de dyslexiques ou agents d’exécution qui utilisent les « méthodes » dans leurs classes, on ne lit pas du son mais du sens. Une syllabe est donc illisible. A fortiori, une lettre. On lit des mots insérés dans une structure qui fait sens, à travers les interactions qui les relient. Par exemple, le mot est a potentiellement plusieurs sens et, partant, plusieurs « sons ». On ne peut lui en attribuer un qu’en lisant ses interactions avec les autres mots et en le situant dans la phrase : « Le matin, le soleil est à l’est ». Ce qui nécessite de lire la phrase dans son intégralité avec un empan visuel élargi et non de syllaber avec un œil de borgne, comme l’enseignent les méthodes. Quant à la polysémie homophonique, elle est encore moins déchiffrable que la monosémie : « Un chevalier aimant peut aimer sans attirer alors que l’aimant attire sans aimer. »

En vraie lecture (la voie directe, comme la nomme les phonistes), la valeur sonore, variable et aléatoire, d’une lettre ne sert à rien. C’est son indice de pertinence orthographique qui permet au vrai lecteur de mettre du sens. Apprendre à déchiffrer, ce n’est pas apprendre à lire, l’enseignement du bruit de la lettre est une tromperie. La « méthode » qui enseigne la lecture à l’unité par découpage des mots en atomes de lecture est l’arme absolue de l’obscurantisme, de la dépendance et de l’exclusion. Il n’y a pas, il n’y aura jamais de réponse, ni de solution à l’échec en lecture dans les « méthodes de lecture ». Aucune n’apprend à lire. La seule solution, c’est d’y renoncer.

« C’est la cécité, la surdité, la paralysie, l’immobilisme, l’égoïsme et les intérêts particuliers qui prévalent, à moins que cela ne soit l’impuissance... Commençons par supprimer le cours préparatoire tel qu’il existe, et par instaurer un système cohérent et humaniste avec un minimum de ruptures déstabilisantes et un maximum de repères et de continuités, qui permette à chaque enfant de s’épanouir sans peurs, blocages affectifs ou inhibitions dans toutes ses dimensions... à son rythme et dans la sécurité affective... en revenant en arrière s’il en a besoin. » En outre, pour que l’enfant puisse s’y « épanouir, “se développer dans toutes ses potentialités”, » il s’agit « d’organiser délibérément, et en premier lieu, la réflexion, le débat, les propositions... au bénéfice de l’enfant, en interaction avec l’enfant et autour de l’enfant... »

Hubert Montagner, Deux enjeux majeurs pour les enfants et l’école.

C’est justement par le cours préparatoire que se font le tri et l’élimination, grâce à la puissance destructrice des méthodes d’enseignement de la syllabation, des sons, du déchiffrement, du « bruit » des lettres. Alors que le contexte donne le sens aux mots, que la lecture est l’intelligence muette de la phrase dans son ensemble, l’enseignement de la « lecture » à l’unité est une manipulation de la naïveté des enfants qui les empêche d’apprendre à lire. De fait, 20 à 25 % d’élèves français, victimes de cet abus didactique, n’apprennent pas. Faire croire à un enfant de 6 ans qu’il va entrer dans l’écrit par la porte étroite de la lettre et de son bruit est plus qu’une erreur méthodologique, c’est une injustice. L’échec en lecture et la défaite en compétition qui en résulte sont des « maladies » qui frappent les enfants de même origine sociale. Un élève sur quatre ou cinq, un enfant du peuple, est donc écarté, dès le CP, de la compétition pour les diplômes et les concours. C’est la tradition. La guerre des classes commence au CP. Dans un pays où la totalité de la population est scolarisée, un adulte sur quatre ou cinq n’ouvre jamais un livre et reste étranger à l’usage de l’écrit. Une école où la notation, les jugements ad hominem, la compétition, la sélection et le tri sont à la fois la motivation, les moyens et le but, ne peut pas satisfaire le souhait d’Hubert Montagner. C’est donc par la suppression des notes et des méthodes de « lecture » qu’il faut commencer.

Ce qui fait la différence

Quand on visite des écoles en aveugle, à quoi reconnaît-on qu’un RASED y travaille dans l’esprit « Montagner » ? Dans les secteurs où l’APP(1) est implantée depuis 40 ans, comment s’y manifeste le changement ? Qu’est-ce qui fait que ce n’est pas pareil ? Le climat y est différent ? L’état d’esprit est à l’innovation ? La réflexion de groupe a remplacé les rites de la tradition et les dogmes ? On s’y réunit en concertation et en équipe pour élaborer un projet enseignants-RASED ? On y pense que ce ne sont pas les enfants qui sont faits pour l’école, mais l’école pour les enfants ? La vie quotidienne n’y ressemble pas à celle des autres écoles ? Personne n’a peur ? Personne ne s’y ennuie ? Les méthodes ont changé ? Les différences, la diversité et l’hétérogénéité ne sont plus un obstacle à l’exercice de la profession, mais un levier, un tremplin, un stimulant ?

 

Urgences et maintenance

Si ces changements sont si évidents qu’ils sautent aux yeux du visiteur étonné et ravi, alors les RASED ont marqué une empreinte ineffaçable. Ils ont accompagné le passage concerté à la pédagogie et impulsé un élan progressiste. Psychologues et psychopédagogues ont été les catalyseurs du changement pédagogique et du progrès humain. Leurs écoles sont sorties de cette logique historique de l’apprentissage compétitif, chacun pour soi, pour apprendre à apprendre ensemble en fraternité. Ils pratiquent la remédiation au seul bénéfice des enfants pour lesquels la pédagogie, la vraie, ne peut pas tout, et non pour ces innombrables enfants cassés par des théories éducatives et des pratiques didactiques d’un autre âge. Sinon, c’est qu’ils sont, à leur insu ou malgré eux, agents de maintenance et de conservation d’une institution musée (des techniques, des méthodes et de la liturgie). Comme Sisyphe, ils remontent leur rocher pour l’éternité. Le RASED n’est alors, pour quelques siècles encore, qu’une instance de recours, ou de secours, une fois le mal fait, sans effet sur les pratiques et les théories venues du XIXe siècle. D’ailleurs, qui s’étonne que si peu d’enseignants innovent dans leur classe et que l’on entende un peu partout que ce sont les vieilles méthodes qui donnent les meilleurs résultats ? Chacun s’applique à faire ce qui se fait, comme tout le monde, et la tradition, comme son nom l’indique, interdit d’inventer et de moderniser. Ce sont au contraire les 10 % de pédagogues créatifs qui étonnent et provoquent l’incompréhension. « Qu’est-ce qu’il veut, qu’est-ce qu’il a, qui c’est celui-là ? » Celui-là fait plus de découvertes pédagogiques que les chercheurs de laboratoire.

 

Recours : pourquoi pas ? Pour qui ?

« Si les RASED sont souvent présentés comme un recours possible, leur intervention est jugée trop tardive ou inadaptée. On considère qu’ils doivent apporter une aide autant aux élèves qu’aux enseignants. » (p. 192 du rapport Thélot)

  1. En général, les interventions tardives et inadaptées sont celles des secours en temps de guerre. Secours exceptionnels dans des situations d’urgence pour une institution ou une nation en crise. On ne peut pas être sur tous les fronts. On sauve ou on administre les derniers sacrements et on enterre. Les interventions oscillent entre la maintenance en urgence et l’urgence de routine. Il semble que l’école soit un champ de bataille, les APP, des véhicules blancs à croix rouge dans une guerre appelée à durer encore 100 ans. En temps de guerre, les droits civils et les libertés démocratiques limitent les marges de manœuvre des gouvernants et retardent les décisions militaires. Comme la démocratie en temps de guerre, dans l’école que nous connaissons, la pédagogie « retarde le programme ». Mais pourquoi les diplomates ne négocient-ils pas un armistice en vue d’une paix durable ? Une école « bon enfant » enfin pacifique et réconciliée avec l’enfance, c’est-à-dire une école de paix, plutôt qu’une école de guerre ! Quand un pneu est crevé, on lui colle une rustine. S’il crève tous les jours, il vaut mieux le changer, du moins en temps de paix. En temps de guerre, on bricole.
  2. Pour avoir « constaté » que les intervenants de réseau aidaient prioritairement les enseignants, il semble que la commission Thélot n’ait pas vraiment mis les pieds sur le terrain du conflit. Elle ignore que l’APP s’adresse exclusivement aux élèves. Sinon, elle aurait souhaité : « ... qu’ils apportent une aide et une information préventives autant aux enseignants qu’aux élèves ». Autrement dit, ils devraient se présenter auprès de leurs collègues comme des personnes-ressources, autant pour les empêcher de mettre les élèves en échec que pour aider ceux qu’ils y ont mis à en sortir.

La compétence d’un accompagnateur de l’action éducative, d’un aidant, en temps de paix, ce n’est pas de soigner ou de réparer les produits défectueux d’un enseignement inadapté, voire d’en faire l’inventaire, c’est d’adapter ses stratégies aux problèmes de – du fait de – l’institution et de les résoudre en concertation avec l’ensemble des acteurs de l’éducation. La prévention de l’échec par la subvention pédagogique aux enseignants pour les aider à renoncer à la pédagogie de l’échec et du tri sélectif, serait une action autrement plus thérapeutique que la prise en charge des blessés. Un pédagogue, un vrai, pense-t-il volontairement ou innocemment que quand on veut, on peut, ou, encore, qu’en français l’écrit est la transcription graphique des sons de la langue parlée ? ... Un psychopédagogue pense-t-il que l’échec est inscrit, sinon dans les gènes, du moins dans le psychisme, ou encore, que l’institution est neutre, impartiale, rationnelle, scientifique, qu’elle fait bien pacifiquement ce qu’il faut faire pour apprendre à tous, sans discrimination et sans punition, ce qu’il est nécessaire de savoir pour devenir homme ?

 

La pédagogie est nécessaire et indispensable aux écoliers

Aux écoliers sans difficultés, aussi

La pédagogie est une philosophie de l’éducation qui met l’école au service de tous, non à l’usage des privilégiés. La pédagogie, c’est la démocratie à l’école. Elle vise l’autonomie, l’émancipation de la tutelle magistrale et les interactions positives entre élèves. Les « bons élèves » aussi ont besoin de démocratie scolaire, non pour « réussir » à l’école dont ils n’ont pas besoin, mais pour développer leurs vraies qualités humaines, prendre goût à la démocratie, la démocratie sociale, devenir hommes et citoyens plutôt qu’oligarques et nantis. Faute de quoi, ils ne seront que membres d’un cénacle de sénateurs, sinon d’une caste. Parvenus aux marches du pouvoir, ils s’emploieront à maintenir le système scolaire dans le mode de fonctionnement qui les a fait gagner (voir le rapport Thélot).(3)

 

L’homme ne devient homme que par l’éducation.
Emmanuel Kant

Vous n’ignorez pas qu’en vous confiant un enfant, chaque famille vous demande de lui rendre un honnête homme, et le pays un bon citoyen.
François Guizot

Il y a peu d’hommes auxquels on ne puisse apprendre convenablement quelque chose. Notre grande erreur est d’essayer d’obtenir de chacun en particulier les vertus qu’il n’a pas, et de négliger de cultiver celles qu’il possède.
Marguerite Yourcenar

Je vis que je réussissais, et cela me fit réussir davantage.
Jean-Jacques Rousseau

 

Ces citations en préambule du rapport sont toutes en contradiction, hélas, avec le quotidien scolaire des élèves français. Et la suggestion de charte (encadré 5.1 du rapport) ci-dessous ne les avancerait guère :

CE QUE POURRAIT ÊTRE UNE CHARTE DE L’ÉCOLE

La Charte de l’École à laquelle la Commission songe aurait pour double fonction de renforcer l’autorité des valeurs, des règles et des usages de l’École auprès de ses acteurs ou de ses usagers et d’assurer une plus grande lisibilité des engagements et du fonctionnement de l’École. Une telle « Constitution de l’École » permettrait ainsi de promouvoir une culture de l’engagement réciproque entre les Français et leur École.

Le texte, concis et clair, contiendrait six types d’éléments :

1. Les principes républicains et les valeurs démocratiques que le fonctionnement de l’École de la République se doit de prendre en compte et d’incarner.

2. Les principes d’une éducation humaniste, républicaine et démocratique.

3. Les missions et les objectifs que l’École s’engage à réaliser.

4. Les engagements, en termes de règles et d’usages, que les personnels de l’École, les élèves et les parents doivent prendre afin de garantir le respect mutuel et les conditions de l’efficacité de l’acte éducatif.

5. L’explicitation des grandes modalités de l’éducation concertée avec les parents – quand bien même celles-ci ont vocation à être déclinées et approfondies au plan local.

6. Les grandes règles de fonctionnement global de l’École (notamment les modalités de l’articulation entre les niveaux national, territorial et celui de l’établissement).

 

Dans cette charte imaginaire, on trouve une demi-douzaine de vœux pieux, sans mention de la condition préalable qui permettrait de les réaliser : la pédagogie. Il n’est pas dit que les enseignants doivent s’y former. Elle n’est pas nommée une seule fois, comme si elle allait de soi ou si l’institution pouvait s’en passer. Elle serait donc « inconstitutionnelle ». Par contre, on demande à l’élève de s’engager au respect des maîtres et à garantir les conditions de l’efficacité de l’enseignement. La charte de la médecine demande-t-elle aux malades de respecter les soignants et de réunir les conditions de l’efficacité de l’acte médical (efforts de guérison) pour recouvrer la santé ? Quant à l’humanisme éducatif évoqué, le voit-on dans l’œil du prof orthodoxe quand il s’adresse aux élèves, auxquels il condescend à transmettre ? Non, l’empathie de l’éducateur pour son élève, l’amour pédagogue, n’est pas au programme. Les membres des RASED pourraient peut-être se donner comme mission d’introduire ces vertus pédagogiques dans les esprits « pédagogues », de leur apprendre à enseigner autrement, à éduquer plutôt qu’à exposer des savoirs. Ce qui reviendrait à se rendre inutile, c’est-à-dire à travailler à leur propre disparition. C’est la plus noble des missions et la plus productive(4). En attendant cette fin glorieuse, l’aide à la réflexion pédagogique, aux projets, l’engagement dans le changement, l’implication dans la réforme, qui redonneraient compétence et qualification aux enseignants dans leurs écoles et dans leurs classes, seront les planches de salut à la fois de l’école et de l’APP. Car ils sont les mieux placés pour impulser la réflexion, le débat, les propositions au bénéfice de l’enfant. Quel bénéfice ? De quoi l’enfant a-t-il besoin à l’école ? Le capitalisme a besoin de toujours plus d’usines, d’ateliers, de marchés, de plus-value, de profit, d’enrichissement et de main d’œuvre bon marché. Les peuples ont besoin de paix, de pain, de démocratie et de dignité. Le système scolaire traditionnel a besoin de toujours plus de moyens, de postes, d’heures d’enseignement en plus pour chaque discipline, en moins pour chaque professeur. Les enfants ont besoin de démocratie, de respect et de pédagogie pour apprendre le bonheur d’apprendre. Ce n’est pas un supplément de moyens qui peut régénérer l’école, c’est l’entrée de l’humanisme dans les classes. Pour rencontrer les maîtres en réunion, débattre, échanger, réfléchir en commun, secouer les routines, envisager d’autres formes d’organisation d’enseignement, du temps scolaire, d’autres priorités que le « programme », d’autres façons de traiter « l’échec », le temps et les locaux ne manquent pas. Ce qui manque, c’est l’esprit humain et la foi en l’homme. Pour les retrouver on pourrait utiliser l’habituel no school time de juin comme mois de l’humanisme. Quatre semaines par an de réflexion et de projets pour changer l’école !

 

Et pour conclure :

« Qui éduquera les éducateurs ? Ce sera une minorité d’éducateurs, animés par la foi dans la nécessité de réformer la pensée et de régénérer l’enseignement. Ce seront des éducateurs qui ont déjà en eux le sens de leur mission... »

« C’est que ce sont plus que des fonctions et des professions. Le caractère fonctionnel de l’enseignement conduit à réduire l’enseignant au fonctionnaire. Le caractère professionnel de l’enseignement conduit à réduire l’enseignant à l’expert. L’enseignement doit redevenir non plus seulement une fonction, une spécialisation, une profession, mais une tâche de salut public : une mission. Une mission de transmission... »

« La transmission nécessite évidemment de la compétence, mais elle requiert aussi, outre une technique, un art. Elle nécessite ce qui n’est indiqué dans aucun manuel, mais que Platon avait déjà indiqué comme condition indispensable à tout enseignement : l’éros, qui est à la fois désir, plaisir et amour, désir et plaisir de transmettre, amour pour la connaissance et amour pour les enseignés. L’éros permet de dominer la jouissance liée au pouvoir au profit de la jouissance liée au don. C’est cela qui, en tout premier lieu, peut susciter le désir, le plaisir et l’amour de l’élève et de l’étudiant... »

« Là où il n’y a pas d’amour, il n’y a plus que des problèmes de carrière, d’argent pour l’enseignant, d’ennui pour l’enseigné. La mission suppose évidemment la foi, ici foi dans la culture et foi dans les possibilités de l’esprit humain. La mission est donc très haute et difficile puisqu’elle suppose en même temps art, foi et amour... »

Edgar Morin, La tête bien faite, col. L’Histoire immédiate, Éd. du Seuil, Paris, 1999.

 

Régénérer l’enseignement et donner du sens à sa mission, ce n’est pas moderniser les vieilles méthodes « qui ont fait leurs preuves », c’est :

Là où Edgar Morin parle de transmission, je suppose qu’il pense « éducation ». Mais, quoique la seule transmission réduise aussi, ne lui déplaise, l’enseignant au fonctionnaire, l’idée est la même. Autre erreur de diagnostic, à ses yeux il semble évident que la compétence professionnelle précède l’art, la foi, l’amour, l’éros, parce qu’elle serait acquise ou donnée d’origine, comme la grâce. Rien n’est moins sûr. C’est peut-être parce que l’éros a manqué que la compétence n’a pas été acquise ! Dès lors, trois questions se posent. Pourquoi la cinquième puissance mondiale confie-t-elle ses enfants à des maîtres sans compétence pédagogique ?(5) Pourquoi recrute-t-elle des candidats à l’enseignement sans foi, sans amour, sans éros, sans capacité artistique et sans créativité ? Qui sont les mieux placés pour éduquer les éducateurs ?

Enfin, on ne peut envisager de changer l’école sans commencer par soi-même. Rompre avec l’idéologie dominante est affreusement inconfortable. S’en libérer demande beaucoup de conviction et de détermination. Par exemple, dans la perspective d’une approche globale, si l’on veut saisir la réalité scolaire dans sa complexité, le groupe Balint est préférable au WISC. L’œilleton de l’instrument de mesure psychotechnique offre à l’œil de l’observateur, devenu borgne, une vision parcellaire et quantifiée des problèmes sortis de leur contexte. L’instrument décide à sa place de la cause, de l’origine et de la localisation du dysfonctionnement. Il l’invite à faire impasse sur l’observation de l’école et de ses acteurs et a fortiori sur la relation enseignant-enseigné. La faiblesse de la psychométrie, c’est qu’on ne peut examiner et mesurer que l’enfant, jamais un adulte, et qu’un seul à la fois, encore moins une situation problématique, et qu’elle n’offre qu’une seule hypothèse de travail : placement en classe de ségrégation ou pas. En s’imposant à son utilisateur, otage consentant, l’outil définit sa profession aux yeux de ses usagers (expert en psychométrie défectologique de l’enfant « inadapté »), mais aussi ses conditions de travail : l’isolement et le secret. Comme le dirait Edgar Morin, il « ...empêche de voir le global qu’il fragmente en parcelles ainsi que l’essentiel qu’il dissout. » Il « ...empêche même de traiter correctement les problèmes particuliers qui ne peuvent être posés et pensés que dans leur contexte... » « ... Cette intelligence myope finit le plus souvent par être aveugle. Incapable d’envisager le contexte et le complexe, l’intelligence aveugle rend inconscient et irresponsable... »

On peut travailler soit sur des éléments détachés et isolés, signalés comme défectueux, soit sur l’ensemble du système ou sur les deux. On peut travailler sur commande ou sur la demande. Habituellement, pour l’institution et les enseignants, le psychologue scolaire est le spécialiste de la pathologie des autres, des enfants surtout. Pourtant, on a toujours le choix : se conformer ou choisir. À savoir,

Qui choisit ?

Laurent Carle
novembre 2012

 
  Retour en haut de la page

*   *   *
*

Notes

(1) Aide Psycho-Pédagogique.

(2) La notation ne fait pas qu’interdire l’apprentissage, elle ôte le désir d’apprendre, naturellement présent en chaque individu. Lorsque 80 % d’un peuple, enseignants compris, ne cherchent plus la connaissance dans les livres, alors les croyances, les illusions et les peurs l’emportent sur la raison. Ils offrent donc leur crédulité, leur naïveté, leur foi aux animateurs de jeux télévisés, de téléréalité, aux publicités, aux bonimenteurs, aux politiciens, aux prédicateurs, aux miracles de Lourdes, aux marchands de salades, de légendes, de peurs, de croyances, d’idoles, de prières, d’horoscopes, de garantie de salut éternel et d’illusions de bonheur à vie. C’est la grand-messe de l’irrationnel, la foire aux gadgets sur catalogue et dans le temple. Alors que la recherche et la connaissance avancent par le doute, l’interrogation, l’hypothèse et l’incertitude, on vend au peuple des certitudes d’opérette et des promesses de bazar. Il achète.

(3) Pour la réussite de tous les élèves (format PDF), Rapport de la Commission du débat national sur l’avenir de l’École présidée par Claude Thélot, La documentation Française, Paris, 2004. Voir aussi : ÉCOLE. Séparons la question scolaire des inégalités sociales, Abdelmajid Arbouche, 29 octobre 2012, Le Nouvel Observateur, Le Plus.

(4) « L’ICEM (Pédagogie Freinet), l’OCCE, la Ligue de l’enseignement, les PEP, la JPA, les CEMEA et d’autres que j’oublie, ceux qu’on appelait, il n’y a pas si longtemps, les œuvres complémentaires de l’école, sont peut-être les derniers remparts de cette École qui prend l’enfant dans sa globalité pour le faire avancer, pour en faire un citoyen, face au dogmatisme et au formatage de ce qu’on cherche à nous imposer. Les trois quarts de ce qui fait ma compétence professionnelle aujourd’hui, c’est à leur contact que je les ai acquis et non dans l’Institution. »
Roland Braun, Directeur d’école, C’est décidé, j’entre en résistance !!

Si les œuvres périscolaires peuvent apporter les trois quarts des compétences, pourquoi les RASED n’en apporteraient pas la moitié ? L’autre moitié, les enseignants dans leurs écoles se la donneraient par le travail en équipe, la coopération et l’échange.

(5) « J’ai fait toute ma carrière sans avoir jamais ouvert un seul livre de pégagogie – la coquille n’est pas de l’auteur de cet article ; rendons-là à César ! – (excepté pour mon CAP, j’avoue, pour avoir des références...). Je n’ai “pondu aucun livre pseudo-pédago” (c’est facile à faire avec le net...). Je me suis tj. éclaté en classe, mes élèves aussi. Pas besoin de Piaget, Meirieu, Bentolila et je ne sais qui ! Et franchement je n’en ai rien à faire ! » (Perle de blog)

D’accord, en matière de pédagogie, Bentolila n’est pas un bon exemple, surtout en pédagogie de la lecture. S’il l’avait lu, il le saurait. Imaginons un élève lui déclarant : « Je suis arrivé en terminale sans avoir jamais lu une page de La Fontaine, Racine, Molière ou Victor Hugo et je ne sais qui. Je me suis tj éclaté en récré. »

« L’expérience (longue) et l’observation des classes de CP m’ont montré que l’apprentissage de la lecture qui se fait à l’aide d’albums (plus de 90% des classes) est inefficace voir dangeureuse. Les enfants devinent mais ne lisent pas et n’apprennent pas l’orthographe. La seule solution actuellement est, certains Parents l’on compris, d’apprendre à lire aux enfants à la maison avec une méthode alphabétique. J’ai moi-même pratiqué pendant de nombreuses années ces méthodes de lecture, je sais de quoi je parle. Pourquoi l’illettrisme est-il devenu la cause nationale en 2013? Si le contructivisme avait donné de bons résultats nous n’en serions pas là. » (Autre perle de blog)

Démonstration par l’exemple de l’efficacité des méthodes alphabétiques, par quelqu’un « qui sait ».

Non seulement on ne donne aucune formation pédagogique aux enseignants mais, régulièrement, on les met en garde contre l’immixtion de la pédagogie dans leur système de pensée ! Comme le montre ce commentaire, ils s’y soumettent pieusement.

 
*   *   *
*

Informations sur cette page Retour en haut de la page
Valid XHTML 1.1 Valid CSS
Dernière révision : jeudi 30 janvier 2014 – 16:45:00
Daniel Calin © 2014 – Tous droits réservés