Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
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Un texte de Laurent Carle
Psychologue scolaire




Rien ne peut remplacer la pédagogie en classe et à l’école. La pédagogie est plus que nécessaire, indispensable. C’est elle qui fait – qui devrait faire – la différence entre écoles publiques et privées. En effet, une école sans pédagogie n’est ni progressiste, ni sociale, ni républicaine, ni démocratique. Pourtant, du plus haut sommet de la hiérarchie jusqu’au modeste instituteur de campagne, aujourd’hui prof d’école, tout le monde ou presque la juge inutile. Beaucoup la croient dangereuse. Certains la confondent avec l’enseignement.

Sous le lourd ombrage de ces croyances, je reprends ici, pour l’analyser et le discuter, un constat en apparence neutre et objectif, trouvé dans le rapport Thélot et cité par Jacky Poulain, désabusé, dans Les RASED, encore, toujours... ?.(2)

Menacés ou en sécurité, les réseaux d’aide fonctionnent-ils au seul bénéfice des élèves, en complément de l’action pédagogique, ou, en remédiant aux effets d’un enseignement qui ne sait pas instruire, participent-ils à l’homéostasie du système, à leur corps défendant ?




Soin ou prévention ?

Dans une institution vieillie, paralysée par le conservatisme, le soin à quelques élèves choisis parmi les trop nombreux enfants difficiles qui « relèvent » d’une aide psychopédagogique, ne change ni les pratiques, ni les routines, ni les traditions, ni les destinées. Avant les « prises en charge », la prévention de l’échec passe par le changement en général, la construction du sens et le statut de l’erreur en particulier, autrement dit, par la réforme des méthodes et le renoncement aux coutumes qui tiennent lieu d’éthique didactique.

Les rééducateurs en psychopédagogie font un travail remarquable d’aide aux élèves en grande difficulté, du moins à ceux auxquels leur temps de service le permet. Là où ils existent encore, comme là où ils reviendront si la nouvelle majorité au pouvoir tient ses promesses, ils sont loin de pouvoir répondre à toutes les urgences, encore moins à toutes les nécessités. D’autre part, dans le choix du soin plutôt que de la prévention, les enfants que le maître signale parce qu’ils le retardent dans son planning quotidien ont-ils plus besoin d’une aide personnalisée que les timides anonymes qui ne se font jamais remarquer ? Qui fait appel au RASED, les parents, les enfants en souffrance ou les maîtres ? Quels sont les critères de signalement, la détresse silencieuse des inhibés ou les agitations bruyantes qui font dresser l’oreille du maître ? Au secours de qui s’élance le SAMU scolaire ? Combien ne sont pas signalés ? Les signalements sont-ils de bons critères d’intervention ? Quelle partie se joue dans le passage d’élèves du maître au rééducateur, complément ou suppléance ? Le traitement individualisé de l’élève en difficulté(s) soigne-t-il l’enfant ou masque-t-il les difficultés de l’école à éduquer tous ses écoliers ? Peut-on faire de la prévention par du soin en aval, sans intervention sur des méthodes didactiques et éducatives inappropriées ?

 

Soupçon pédagogique et enseignement orthodoxe

Dans le rapport, p. 128, dit Jacky Poulain : on exprimait aussi l’idée que « la pédagogie seule est une réponse inadaptée pour les grandes difficultés. »


Une idée ? Un soupçon plutôt. Un soupçon, c’est malheureusement, tout à la fois, la place accordée à la pédagogie et le regard qu’on lui porte. La rencontre-t-on quelque part, cette pédagogie, cette Arlésienne ? L’ignorance et le conservatisme empruntent le mot à l’intelligence et à la pensée. On dit la pédagogie présente et active – on enseigne, donc on éduque –, alors qu’elle est oubliée, méconnue, trépassée, enterrée. On cherche en vain quelque part ce « tout-pédagogique » à la marge duquel travailleraient les RASED. En pédagogie, ce qui est inadapté et inefficace, c’est son absence. Supposons qu’on la pratique quelque part dans quelques écoles, ce ne serait probablement pas une réponse adaptée aux déficits majeurs et aux troubles graves du développement. D’ici à la remiser aux archives où elle moisit depuis des lustres !

La pédagogie est la philosophie de l’éducation au bénéfice des enfants, de tous les enfants. C’est une réflexion perpétuelle et généreuse qui, nourrie de la liberté de pensée, se soustrait à tous les dogmes. Accompagnant l’élève sur son itinéraire d’émancipation, elle le soutient et l’encourage. Elle fait en sorte qu’il réussisse ce qu’il entreprend. Elle ne le soumet pas. Elle ne le punit, ni le récompense, car pénaliser l’erreur et moraliser les apprentissages, c’est substituer une motivation artificielle au désir d’apprendre et lui voler ce qu’il apprend. Réussir : si l’on entend par réussite le bonheur d’apprendre, l’appropriation et la maîtrise des savoirs et non les bonnes notes, le mérite et le « travail », l’élève n’a pas à prouver qu’il peut réussir, on lui doit la réussite. Car la connaissance n’est pas une marchandise que le maître dépose dans l’oreille du destinataire pour qu’il la stocke dans son grenier cognitif après lui avoir fait la place. C’est une pensée qui se structure dans et par l’action à partir de savoirs déjà-là qu’elle remplace. Apprendre, c’est remplacer des croyances par des savoirs, c’est renoncer à ce qu’on croyait savoir. Agir : on apprend à faire le bon geste psychomoteur ou mental en le faisant, en se trompant. Apprendre, ce n’est pas écouter attentivement la leçon savante du maître pour la lui restituer en intégralité, apprendre, c’est faire quelque chose qu’on ne sait pas faire pour apprendre à le faire (Philippe Meirieu), avec toutes les aides possibles et tous les concours nécessaires, sans restriction. On apprend pour soi, mais on n’apprend rien seul. En classe pédagogique on fait pour apprendre, en classe orthodoxe on étudie pour « réussir » (gagner), accessoirement pour faire, si le programme en laisse le temps, sinon on fera quand on sera grand. Chez les uns, on apprend à nager dans l’eau, on apprend la bicyclette en roulant, on apprend à parler en parlant, à écrire en écrivant, à lire en lisant. Chez les seconds, on apprend la bicyclette en pièces détachées dans un abécédaire de schémas et de règles, on apprend les mouvements de la brasse à sec, les règles de grammaire, d’orthographe, de conjugaison et le vocabulaire avant d’écrire, les règles de correspondance et les « unités de lecture » de la méthode avant tout. Ça prend beaucoup de temps, une année. L’activité proprement dite, rouler, nager, débattre, échanger, écrire, lire, en tant que projet vital, personnel ou collectif, est, au pire, déclarée étrangère à la classe, au mieux, reportée sine die. En classe active, on vit et on agit, en classe contemplative, on écoute et on attend. Chez les premiers, apprendre, c’est agir et interagir avec ses pairs. Chez les seconds, c’est écouter la leçon du maître puis faire un devoir d’application, seul. C’est mémoriser par cœur la règle, la définition, la table ou la conjugaison pour pouvoir la réciter le lendemain en interrogation de contrôle. Chez les premiers la pédagogie est centrée sur l’élève et sur un fonctionnement démocratique. Chez les seconds, toutes les activités sont centrées sur le maître, sur son projet, sur son enseignement, sur ses choix personnels en vue de façonner ses meilleurs élèves à partir de l’élève idéal qu’il a en tête, qu’il fut ou faillit être, enfant, ou du modèle qu’il désire à présent devenir à leurs yeux. Il décide du contenu de son enseignement pensé confusément comme un apprentissage et des moyens qu’il juge utiles pour que cet enseignement fasse prodige et savoir. À poursuivre ce fantasme, il y a forcément des « pertes ». Pour motiver ses élèves non impliqués dans sa pédagogie il est obligé de les noter, de les récompenser et de les punir pour leur « travail ». Bref, à l’école du maître, l’enfant n’est propriétaire ni de ses apprentissages, ni de ses savoirs, mais il doit rendre des comptes. Si aucune autre pédagogie n’est pensable dans l’école française, c’est que, jusqu’à présent et à preuve du contraire, 9 enseignants sur 10 n’ont aucune formation pédagogique et, par conséquent, ignorent de quoi il s’agit. Il est difficile d’en avoir la moindre idée quand soi-même on n’a jamais rencontré un pédagogue pendant sa propre scolarité. Il faudrait beaucoup d’imagination et beaucoup lire. Dans la littérature pédagogique, ce n’est pas facile de faire le tri entre les faux pédagogues qui sont légion et les vrais, si rares. Quand on n’a pas appris la pédagogie en formation initiale, on peut croire qu’on n’en a pas plus besoin que de connaissance en psychologie des apprentissages. C’est cohérent. On enseigne, on croit à l’efficacité de son enseignement, on pense que l’enseignement vaut apprentissage et qu’il suffit d’enseigner pour que les élèves s’instruisent, à la condition « qu’ils y mettent de la bonne volonté et fassent les efforts nécessaires. On n’a rien sans rien. » Ce que fut le parcours des enseignants, enfants. C’est pourquoi, la plupart s’en désintéressent, beaucoup la méprisent. Certains, même, considèrent la pédagogie comme une dérive professionnelle, un égarement de l’esprit : la pédagogite provoquée par le virus du pédagogisme(3). Par bonheur, les enseignants du dixième décile se sont donné les moyens de se former pédagogiquement envers et contre tous(4). Bref, la pédagogie n’existe que dans quelques classes, dans des classes spécialisées. Pas souvent, l’or est rare. Il faut se demander pourquoi la psychopédagogie paraît indispensable à côté de la classe tandis que la pédagogie semble extravagante à l’intérieur. L’idée de la commission Thélot exprime qu’on peut s’en passer dans les classes, mais pas des RASED dans les écoles. Si Claude Thélot ne faisait pas, comme beaucoup, la confusion entre pédagogie et enseignement, il aurait noté dans son rapport : « Enseignement n’est pas apprentissage. L’enseignement ne suffit pas et il est inadapté pour les grandes comme pour les petites difficultés. Il faudrait introduire la pédagogie dans toutes les classes de France. Dans les écoles RASED on constate un changement pédagogique en profondeur. Les enseignants y prennent soin des enfants avant de se soucier de leurs acquis corporatifs et de leur carrière. Les membres des réseaux y jouent le rôle d’agent de subvention pédagogique. Il faudrait donc créer des RASED là où il n’y en a pas. »

 

Si, par insuffisance de moyens et de personnels, le soin manque souvent pour les 2 à 3 % d’écoliers, dits « cas », la pédagogie, elle, manque cruellement à 100 % des élèves dans les classes où on l’ignore. Depuis la loi d’orientation Jospin de 1989, on cherche toujours avec une lanterne la classe dans laquelle l’élève serait au cœur du système éducatif. Si la pédagogie seule est une réponse inadaptée pour les grandes difficultés, l’absence de pédagogie est une non-réponse aux besoins scolaires de 90 % des enfants. Dans ce régime au pain sec la majorité des défauts de savoir, des retards et des prétendus troubles de l’apprentissage est la conséquence de carences pédagogiques. Le genre humain est la seule espèce animale qui dresse ses petits quand les autres mammifères les éduquent, qui fait de l’apprentissage un devoir, qui interdit l’erreur, punit ceux qui se trompent et échouent(5). Dans l’école française, les renforcements négatifs sont la règle. Pour stimuler les lents et les retardataires, on leur promet... le redoublement et pour leur faire rattraper leur retard... on les fait redoubler.

 

La pédagogie de l’écrit n’est pas une initiation au chant choral et au chapelet

À l’école des pédagogues, on ne lit pas pour lire, on n’écrit pas pour écrire. Toute lecture, tout écrit sert un projet, un projet commun ou personnel. C’est un outil au service de l’action collective, un moyen d’émancipation individuelle. Ce n’est pas un « exercice ». À l’opposé, la lecture tournante à haute voix d’un texte de manuel que tout le monde a sous les yeux et a déjà lu plusieurs fois n’est pas de la lecture. On y « suit » avec l’index, le doigt sacralisé, en remuant les lèvres comme à l’église. C’est un rituel scolaire sans lien avec la lecture, ni avec son apprentissage. C’est pourquoi, s’y plier ne sert à rien d’autre qu’à gagner des bons points et la bénédiction de la maîtresse. Le « livre de lecture » n’est pas un outil d’apprentissage mais d’enseignement de la liturgie, un missel pour récitatif qui ne prépare à aucune activité adulte et n’apprend rien. Nulle part dans la vie des adultes, sinon à l’église pendant l’office, on ne retrouve cette situation de « lecture », ni en bibliothèque, ni au théâtre, ni en amphithéâtre, ni chez soi. C’est une entrave qui assujettit l’enseignant et l’empêche de s’autonomiser. Pour inciter à suivre la « lecture », le maître prisonnier de sa liturgie se transforme en gendarme du rite. Avant de le punir, il profère devant le non-lecteur digital (le mauvais déchiffreur) les sommations d’usage d’avoir à lire sans délai (déchiffrer, selon la définition phoniste de la lecture). Avec ce sentiment de toute-puissance que donne la conscience d’une haute mission de transmission calquée sur les vertus militaires, beaucoup de maîtres sont persuadés que lire n’est pas une situation de rencontre volontaire et pacifique avec l’humain. Ils croient qu’il s’agit d’une activité contrainte, essentiellement technique, purement scolaire, qui doit être, parce qu’indigeste, exigée et imposée comme un devoir sacré, exécutée comme un ordre. Ainsi, l’enfant forcé de lire deviendrait lecteur, comme l’eau canalisée finit par couler là où elle ne devait pas aller. À l’école traditionnelle, tout est « travail ». Pour la doxa, l’école est l’institution chargée de faire « travailler » cet être insouciant qui ne pense qu’à jouer. Or, l’enfant qui n’aime pas lire est un élève qu’on force à déchiffrer avant de « comprendre ce qu’il lit ». S’il est crédule et docile, il ne sait pas qu’il pourrait lire avant pour faire semblant de déchiffrer après. Il ne comprend pas pourquoi le cahot peut se transformer en chaos qui ne se déchiffre pas comme chahut, dont il faut sonoriser le premier h mais pas le second, pas plus que celui de thé ou d’éléphant. Ne parlons pas de second ! Celui qui applique le code risque de se faire tirer l’oreille pour apprendre à lire poliment. Plus on respecte les « règles » et plus on fait de fautes. Quand l’enfant naïf découvre que, parfois, occident s’écrit oxydant, poignée, poignet, balade, ballade, pomme, paume, palier, pallier et voie, voix, conte, comte ou compte, – n’en jetons plus ! –, il se demande lequel est « mal écrit », quel est le « bon ». Ces mots où l’orthographe est en conflit avec le « code de correspondance », il y en a à la pelle (pas à l’appel). En réponse, le maître lui annonce que, désormais, il faudra respecter à la fois les codes phonographique et orthographique. Injonction paradoxale, double contrainte : « écris ce que tu entends en respectant l’orthographe qui ne s’entend pas ; fais très attention, tes erreurs seront sanctionnées comme fautes ! » Bonne recette pour en faire beaucoup en dictée après avoir été un bon déchiffreur qui ne comprend pas ce qu’il lit. Bref, pour l’enfant appliqué, lire, ce n’est pas saisir le contenu et les intentions d’un message mais tenter d’oraliser des syllabes en respectant à la lettre les consignes du maître et les règles de correspondance de la méthode, dont la régularité est, mais il ne le sait pas, aléatoire. Six [sis], six [si] tomates, six [siz] oranges. Le gendarme de l’écrit verbalise les infractions à un code instable qui varie, sans panneau de signalisation, d’un mot à l’autre. Car ce n’est pas vrai que ce sont les lettres qui donnent leurs sons aux mots, c’est le sens par le truchement de l’orthographe. Ce sont les mots qui utilisent les lettres de leur choix et les font chanter ou taire à leur guise. Or, les méthodes s’appuient sur le « code » et ne connaissent pas l’orthographe en tant qu’indicateur sémantique. Le code ment, le code trompe, le code infantilise. Interdire l’erreur et punir les fautifs après avoir enseigné de fausses règles de correspondance, relève de l’arbitraire et de l’abus didactique sur mineur. En France, les enfants qui ratent chaque jour l’oralisation « codifiée » et l’orthographe sous dictée sont des centaines de milliers. Il faudrait des bataillons de rééducateurs supplétifs pour leur apprendre à tricher avec le « code de correspondance », avec les exigences phonologiques de la maîtresse et laisser place à l’orthographe(6).

 

Médicaliser le CP ou renoncer aux méthodes de déchiffrage ?

Si la pédagogie seule, l’authentique, ne règle pas tout, n’a pas réponse à tout, si elle n’est pas suffisante pour les « cas » pathologiques, du moins est-elle nécessaire partout et pour tous. Elle est le socle commun de tout enseignement. Elle n’est pas inadaptée, il faut seulement la compléter par du soin, de l’aide et de l’accompagnement. Pour l’heure, c’est l’enseignement qui est inadapté et ce sont les enseignants qui ont besoin d’aide. Pour les élèves en grave déficit, on trouve des structures de soin à l’extérieur de l’école. L’aide psychopédagogique est amenée à soigner certains élèves malmenés par ignorance pédagogique. Sans pédagogie à tous les étages, le soin spécialisé et individualisé, le plus souvent sur signalement tenant lieu de diagnostic, loin et hors des espaces où la connaissance devrait se construire collectivement et socialement, est une activité illusoire. Les apprentissages durables ne peuvent se faire que dans et pendant la classe. Pour les écoliers en difficulté, sans déficit ni trouble majeur, que jusqu’ici elle ne sait pas instruire, l’école devrait devenir son propre recours. Pour les autres, la médecine a mis en place les structures adéquates, du moins sur le papier. Car, là aussi, la pédagogie est médicalement ignorée et confondue avec l’enseignement, spécialisé en ce cas. On n’y soigne pas des élèves en difficulté d’apprentissage, on y répare des concurrents dont le profil n’est pas adapté au synthétisme de l’enseignement traditionnel et au « travail » pour la note. On théorise et on traite les échecs, dans lesquels l’enseignement dogmatique les a enfoncés, sous l’aile des concepts de l’idéologie dominante, à consonance et de rime scientifiques : dyslexie, dysorthographie, dysgraphie, dyscalculie, dysphasie... C’est par ces maux qu’on introduit le médical dans l’opinion, usagers et professionnels confondus, pour en éloigner toute tentation pédagogique. Et plus la pédagogie se fait rare, plus la médicalisation gagne du terrain. La médecine de l’échec, rebaptisé trouble, s’engouffre dans la béance pédagogique de l’école. La littérature et les discours savants contribuent à noyer les esprits dans un brouillard de termes médico-psychologiques. Aucune solution interne à l’école, à portée d’un maître ordinaire ou spécialisé, ne saurait être envisagée par d’humbles enseignants pour des « pathologies » aussi mystérieuses. Il faut la médecine. Le choix et la nomenclature sans limites de ces pathologies de la nosographie médico-scolaire offrent de nombreux créneaux à la médicalisation des « troubles » scolaires et de grands espoirs à la privatisation rampante. En attendant, chaque année, 150 000 jeunes (l’équivalent de la population de Grenoble) quittent l’école illettrés et sans diplôme. Ce n’est plus un trouble, c’est une épidémie endémique, dont la saison de virulence commence en septembre et finit en juin. Malades ou victimes nécessaires ? Qui sait ? Pourquoi cet égarement intellectuel, cette folle théorie qui fait enseigner sans sourciller que lire c’est mettre du son sur des lettres ? D’abord, on enseigne l’oralisation de l’écrit, sorte d’anti lecture présentée comme lecture, ensuite on note, on juge, on classe, on culpabilise les « derniers », on pénalise leurs fautes et leurs échecs. Pour finir, on les « diagnostique » et on les « soigne » sans remettre en question les pratiques, ni la théorie. D’abord puni et culpabilisé, le patient enfin étiqueté malade par la psychologie scolaire ou médicale est alors confié aux soins. Si la malchance le poursuit, le soignant lui appliquera les méthodes qui l’ont conduit à l’échec : mise en veille de l’intelligence, rééducation des réflexes, atomisation de la connaissance puis synthétisation mécanique d’éléments abstraits insensés et incompréhensibles(7). On s’acharne à faire « lire » des lettres isolées, des syllabes sans mots, des mots sans texte, des « textes » infantilisants, vidés de leur substance, de ce qui fait l’explicite et l’implicite, la forme et le fond, le sens. Quoi de plus réducteur ? Peut-être le temps est-il venu pour les enseignants, les encadrants, les accompagnants, les soignants, les formateurs, les décideurs de se pencher sur la question sans chercher la réponse du côté de la médecine ?

 

« ... L’apprentissage de la lecture et de l’écriture semble avoir basculé progressivement du registre d’un art pédagogique à celui d’un objet scientifique... Cette approche scientifique étudie l’élève comme n’importe quel autre objet d’étude, dont la mécanique est disséquée et les déviances repérées puis réparées par des spécialistes médicaux ou paramédicaux... Cette réduction de l’apprentissage à une mécanique cognitive évacue la dimension subjective et cristallise toute déviance en une pathologie. Cette logique scientiste donne l’illusion d’une maîtrise sur l’aventure la plus incertaine mais aussi la plus belle de nos vies, celle qui mène de l’enfance à l’âge adulte, celle qui construit chaque apprentissage. »

Claire Anatole, Troubles spécifiques des apprentissages : effets d’un « dyscours », Juin 2009.

 

Cette médicalisation des difficultés scolaires – « déviances » me semble pousser jusqu’à la « faute » ce qui n’est que feed-back dans une démarche d’apprentissage ; feed-back que la pédagogie traditionnelle ne sait ni lire, ni prendre en compte – la médicalisation, donc, pallie (en apparence) les carences pédagogiques des enseignants et, par l’occasion, attribue une rente à vie aux réparateurs de dys. Le « pathologique » innocente le didactique, qui lui fournit le patient. On forme désormais les enseignants de l’école primaire à dépister les « dys » dans des stages « DYS ». Année après année, la médecine conquiert de nouveaux territoires scolaires, à la satisfaction de beaucoup d’enseignants ravis d’être conquis, déresponsabilisés, disqualifiés et dépossédés de leur mission. Le cognitivisme mécaniciste, vêtu de blouses scientifiques, n’exclut pas seulement la dimension subjective, domaine des psys de l’individu, il évacue le sens. Il ignore aussi l’importance de la dimension sociale des apprentissages en collectivité, les interactions entre pairs étudiées par Lev Vygotski, domaine des psychologues sociaux, des psychologues de l’éducation et des psychopédagogues. Déjà, la notion de groupe organisé en structure d’apprentissage est étrangère au lexique traditionnel. On associe habituellement le mot groupe à une masse informelle d’individus sans nom et sans légitimité, à disperser ou à rassembler, selon que l’on veut la dissoudre ou la contrôler. On oublie généralement que l’école est un lieu d’éducation en commun, non un isoloir, et que la connaissance se construit à partir d’interactions intentionnelles et légitimes, qui soudent les groupes avec plus d’intelligence que les identifications inconscientes. Les facteurs sociaux, l’habitat, le milieu, les relations humaines, le fonctionnement et les dysfonctionnements de l’institution, la psychologie et l’idéologie des enseignants, leurs coutumes, leurs modes de pensée, les méthodes qu’ils choisissent, sont au moins aussi déterminants que le psychisme de l’individu. Sans l’éclairage du contexte, on voit mal, on voit peu, on enferme la réalité dans un angle réduit. L’aventure de la vie se brise dès la maternelle sur les « prérequis » et les tests prédictifs. Les abus cognitifs commencent au CP avec les « méthodes de lecture » qui forcent les enfants à ânonner des sons sans sens, avec les tests de niveau et les batteries de lecture, bien avant l’intervention des médecins, des cognitivistes et des réparateurs de dys, qui surfent sur la vague où ils sont nés. La science qui définit l’élève comme un objet d’étude fait écho à la « pédagogie » qui refuse à l’enfant le statut de sujet, acteur de ses apprentissages. De longtemps, avant le scientisme, le dogmatisme a fait de l’école un temple où on célèbre le culte phoniste et enseigne le « code graphophonologique » comme une vérité sacrée. Le mécanicisme y règne. Il impose le montage de reflexes nommés mécanismes de lecture qui font de l’enfant conditionné un perroquet sans cerveau. À côté de ces enseignants qui cultivent les traditions avec les mots du passé, des experts des sciences humaines, perchés sur les miradors de la doxa, ont inventé un lexique savant pour raconter les déboires de tout enfant à qui on fait faire l’âne. Indifférents aux effets de l’enseignement et aux interactions maître-élèves, variables négligeables, ils étudient les résultats du premier comme un pur développement cognitif indépendant de toute éducation. À les suivre, on apprend que l’école ne ferait qu’enregistrer des stades qui se dérouleraient en dehors d’elle. Leur concept le plus innovant est celui de non-mots (sic) qu’ils font « lire » au déchiffreur pour tester ses capacités de décodage. Ces non-mots, qui n’existent dans aucune langue, illisibles donc, inventés pour donner une légitimité à des recherches inutiles, sont tout à fait cohérents avec l’anti-lecture pratiquée tous les jours dans les classes, à l’origine des troubles spécifiques des apprentissages. Tout se tient. Tout concourt au dyscours. L’ensemble forme un édifice d’enfermement de la pensée des élèves et de leurs maîtres par une doctrine close sur elle-même qui interdit à la fois tout esprit critique et toute démarche qui ne cherche pas du son dans l’écrit. L’oreille est accréditée organe noble de la lecture et l’œil, déclaré vulgaire et parasite. L’orthographe, dont l’inconvénient est d’être visuelle et de ne pas faire de bruit, est donc expulsée de la lecture comme un étranger en situation irrégulière qui volerait le pain des fabricants de méthodes. La tradition la parque dans un espace clos, la séance de dictée, où on ne l’entend pas mieux, mais qui, paradoxalement, invite les enfants à écrire ce qu’ils entendent. Il y a donc peu de pertinence entre la dictée et l’orthographe. Pour apprendre à lire-écrire, selon la théorie dominante, mieux vaut être aveugle et entendre que sourd et voir. Pourtant, les sourds lisent-écrivent sur écran et sur papier aussi bien que les entendants. Mais, pour des élèves élevés au son, se lever de bonne heure ou se lever de bonheur, c’est pareil. Ce que ne veulent pas savoir les prêtres de la religion phoniste, parce que cela contredit leurs prédications, c’est que si l’oreille perçoit et organise le continuum sonore du langage parlé en un tout cohérent et sensé, c’est bien l’œil, l’œil seul, qui « comprend » l’écrit. Graphophones à la lecture, phonographes à l’écriture, les élèves de CP sont donc, de fait, prisonniers intellectuels du phonisme, gardés et surveillés tantôt par la méthode, tantôt par l’orthophonie. Difficile d’y échapper ! Seuls s’évadent ceux qui trichent avec « le code » après avoir découvert qu’il ne sert à rien, en observant leurs parents lire sans leurs oreilles. Les autres prisonniers n’en sortiront que lorsqu’un résistant, pédagogue ou psychopédagogue, viendra les délivrer. C’est très hypothétique. Pourtant, le sens de l’écrit est fourni non par le « code » qu’on enseigne mais par l’orthographe que ce code ne connaît pas et que les fabricants de méthodes ignorent. L’orthographe, ce sont ces lettres qu’on voit mais qu’on n’entend jamais, ni en lecture orale, ni en déchiffrage oralisé, ni en dictée, ces lettres sans son qui font sens : cœur, chœur, pieux, pieu, pie, pis, puis, puits, envie, envi, lieu, lieue, banlieue, mère, maire, mer, amer, ramer. Pour un élève de notre temps ou d’un autre temps, le problème, c’est donc rarement l’apprentissage, le plus souvent c’est l’enseignement qui oblige l’œil à se taire, à négliger l’orthographe, pour laisser l’oreille écouter le bruit des lettres. Il est difficile de trouver une recherche, un ouvrage sur les troubles et les échecs de l’enseignement, les dys-scolies, qui restent, par tabou, des champs inexplorés par la recherche scientifique hors de l’école, ignorés par les psychologues et psychopédagogues des RASED dans l’école. Par prudence et par pudeur, on préfère ne pas savoir.

 

L’échec

La prise en charge de l’enfant « en échec » est donc devenue l’arbre qui cache la forêt, l’échec de l’enseignement orthodoxe qui ne date pas d’aujourd’hui. Autrefois, l’écolier « ignorant », le cancre, faisait partie des meubles et du folklore. On s’y faisait comme on se fait à la fatalité. En cette période de l’histoire nationale où chaque Français, même illettré, trouvait un emploi, ce n’était pas un problème. Les prolétaires délaissaient la « réussite » scolaire pour la vie active – le mot dit bien ce qui différencie l’école et la vie –, bien plus valorisante. Les élèves « en difficulté » se mettaient volontairement en dehors du circuit scolaire pour commencer « l’apprentissage » d’un métier « manuel ». Et ils réussissaient (au vrai sens du terme). N’ayant pas encore à entretenir le mythe de l’âge d’or de l’école publique, les idéologues et gardiens du temple s’ennuyaient. Aujourd’hui, les éliminés ne disposent plus de cette issue. Alors, décrochés mais otages, ils attendent la sortie sans espoir de revanche et font bruyamment tapisserie. Quant aux familles, elles ne demandent pas que leurs enfants soient plus instruits, mieux éduqués, socialisés et civilisés, mais qu’ils arrivent gagnants au bout de la course. Elles attendent de l’école la garantie de l’emploi par la « réussite scolaire ». Dans ces jours de crise et de chômage, la demande populaire s’intensifie sans changer de nature. Elle vise toujours la sécurité économique. En réponse à cette demande, les arbitres de la compétition n’ont aucune raison de devenir pédagogues. Ils n’ont qu’à continuer le passé. L’école fonctionne donc avec les théories, les méthodes et la psychologie des siècles précédents, autrement dit avec leurs dogmes : enseignement d’unités élémentaires de savoirs découpés, atomisés, pour les besoins de l’enseignant, mémorisation par cœur, et leurs préjugés : écoute passive bras croisés, travail pour la note, mérite. L’offre scolaire est restée celle des temps de plein emploi, voire des temps de guerre. Comme les religions, l’école promet le ciel à ceux qui se classeront en tête au tableau du mérite, par leurs efforts, leurs sacrifices et leur humble sainteté. Gagner à l’école est une preuve de moralité. Les places de gagnants n’ayant pas augmenté et les méthodes didactiques étant celles d’antan, un système de secours pour blessés d’école et invalides de la connaissance s’est mis en place. Faute de pédagogie, on répare. Compétition et réparation se complètent et s’épousent pour le meilleur et... Les enseignants, majoritairement issus de familles de la classe moyenne favorisée, se satisfont bien de la règle du jeu et l’imposent sans état d’âme : sélectionner les élèves méritants après avoir éliminé de la course les « mauvais ». Les quelques enseignants d’origine modeste, contents d’avoir été « récompensés » pour leurs mérites et reconnus pour leur talent, ne voient pas en quoi le système serait injuste. Pourquoi le réformer ? Rien d’étonnant à ce que la pédagogie ne soit ni pratiquée, ni connue(8). Enseigner en rupture avec l’idéologie dominante suppose humanisme, socialisme, constructivisme, mutualisme et anticonformisme. De tels profils de personnalité si peu conformes sont rares dans le système scolaire. Soit ils ne sont pas candidats à l’enseignement, soit les concours de recrutement les écartent d’emblée. Le prof tout-venant, lui, a pris pour modèle, parfois à son insu, un ou plusieurs de ses profs auxquels, enfant, il s’était identifié sans réserves. Il fait tout comme lui, il reproduit. Il fut un élève bien adapté, parfois même suradapté, à des méthodes invariables, centrées sur le maître, dont l’enfant n’est que l’objet passif sur lequel agir impérativement. Dans l’école de ses souvenirs, on transmettait les savoirs par exposition, inspiré par la tradition. Soucieux de ressembler à ses maîtres, de faire aussi bien, il pense qu’il exerce un métier de répétition de contenus cognitifs et de gestes magistraux éternels. Il l’a choisi plus par souci de sécurité intellectuelle que par goût de l’aventure et de la création. Peu tenté par l’innovation, il n’aime pas le changement, l’imprévu, le risque. La nostalgie lui sied mieux que l’audace. Les réformes pédagogiques heurtent son sens de la pérennité, son attachement aux rites de passage, sa loyauté envers ses maîtres et la mémoire de son parcours sans fautes de bon élève. Mises en œuvre, elles voleraient les bons points, les bonnes notes, les victoires que les élèves qui lui ressemblent ne gagneraient plus. Comme il n’a pas de stratégie d’action et qu’on lui conseille de se tenir à l’écart des aventures pédagogiques, il se soucie avant tout de boucler le programme, son guide, sa lanterne, garant de sa conformité. Pour obtenir des « résultats », il mise sur la bonne volonté, le mérite, les performances des élèves et leur envie de gagner. Quand ceux qui n’ont pas l’esprit de compétition peinent à « suivre » son programme, il compte beaucoup sur les parents, sur les professionnels de l’aide et du soin pour compenser ses faiblesses personnelles, sa rigidité didactique et ses lacunes de formation. Les acteurs médicaux ne manquent pas de lui rappeler, si c’était nécessaire, qu’ils sont là pour ça. Ça rassure. Si l’on autorisait la vie de classe – la vie scolaire, comme le dit cette formule vidée de sa substance, qui ne désigne plus qu’un local administratif –, les échanges, les travaux de groupe, la recherche en équipe, l’entraide entre pairs en classe avant l’aide professionnelle hors classe, où serait le mérite ? Ce régime qui, après lui avoir permis de faire une bonne scolarité, l’a placé au grade qu’il occupe aujourd’hui, ne serait pas démocratique ? « C’est inconcevable. »

 

Les élèves sont-ils réparables ? Les enseignants sont-ils « pédagogibles » ? Peut-on remédier aux manques de l’école sans s’intéresser à ce qui s’y passe et ce qui s’y pense ? Sûrement pas ! Les agents de réseau doivent travailler en... réseau pour subvertir, groupés, l’idéologie dominante et susciter la demande pour soi, avant de répondre aux signalements d’élèves. Ils pourraient commencer par introduire la pensée socioconstructiviste de Vygotski, l’approche holistique et systémique de Watzlawick, la pensée complexe de Morin pour convertir les enseignants à l’apprentissage socio-coopératif, à la complexité et à l’interactivité. Mais surtout, donner l’exemple, ne pas travailler en solitaire ! En somme, proposer d’autres paradigmes.

Ce n’est que par là qu’on peut montrer que, pour faire entrer dans la classe la démocratie participative et l’autonomie, il faut rompre avec l’idéologie dominante. Pour jouer un rôle dans la promotion de la pédagogie, il faut l’avoir choisie malgré la tradition qui l’exclut et savoir distinguer ce qui est pédagogique de ce qui ne l’est pas. Ce n’est évident pour personne. Le chantier est énorme. Il ne sera jamais terminé. Encore faut-il l’ouvrir ! L’ouvrir avec des formateurs qui soient des chercheurs découvreurs plutôt que des savants conservateurs qui repassent ce qu’ils trouvent dans les poubelles de l’histoire.

Laurent Carle
octobre 2012

 
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Notes

(1) Pour la circonstance, j’utilise le néologisme « dys-scolie » pour désigner les « troubles spécifiques de l’enseignement scolaire » auxquels répondent les aides spécialisées.

(2) « À l’école, des projets d’aide personnalisée aux enfants permettent une prise en charge par plusieurs partenaires : (ré)éducateur, psychologue, enseignants, qui se réunissent plusieurs fois par an » !!! ???

(3) Non, il n’y a pas de pédagogistes dans les écoles. Les pédagogues y sont rares, même parmi les enseignants politiquement engagés, militants d’un parti de gauche. Il faut parcourir des kilomètres pour en rencontrer un. Ce sont probablement des êtres sans humanité, peut-être des extraterrestres.

(4) « L’ICEM (Pédagogie Freinet), l’OCCE, la Ligue de l’enseignement, les PEP, la JPA, les CEMEA et d’autres que j’oublie, ceux qu’on appelait il n’y a pas si longtemps, les œuvres complémentaires de l’école sont peut-être les derniers remparts de cette Ecole qui prend l’enfant dans sa globalité pour le faire avancer, pour en faire un citoyen, face au dogmatisme et au formatage de ce qu’on cherche à nous imposer. Les trois quarts de ce qui fait ma compétence professionnelle aujourd’hui, c’est à leur contact que je les ai acquis et non dans l’Institution. » Roland Braun, Directeur d’école, C’est décidé, j’entre en résistance !!

(5) Du moins, en France. En Finlande, l’élève est une personne.

(6) 95 % des enseignants et des encadrants adhèrent sans examen à la théorie dominante : lire, c’est déchiffrer, oraliser les lettres et les syllabes pour identifier les mots avant de comprendre ce qu’on vient de s’entendre sonoriser. Certains avec dévouement, d’autres avec ardeur, tous se consacrent à faire avaler potions amères et purges qui ne font ni grandir, ni guérir les enfants. Si la médecine en était au même point d’avancée méthodologique, on badigeonnerait encore les amygdales au bleu de méthylène ou à la glycérine iodée et on administrerait vermifuges et lavements à but thérapeutique ou nutritionnel. Contrairement aux adultes, seulement 20 à 25 % d’élèves se laissent berner. Pourquoi un tel écart dans l’écart à la norme entre des adultes et des enfants dans le même contexte scolaire ? Le sens critique serait-il plus développé chez l’enfant ? À 6 ans, on peut encore penser de façon autonome et faire des choix, après 20 ans, sous l’effet du formatage scolaire, on ne peut que se soumettre benoitement à l’idéologie ? Probablement ! Heureusement, les rééducateurs se comptent dans les 5 % de pédagogues avertis qui savent que la lecture est une prise de sens par les yeux sans détour par le son et les oreilles.

(7) Illustration : Lire, c’est traduire oralement les signifiants phonétiques (lettres, syllabes, mots) représentatifs du langage parlé... Avant de demander à l’enfant l’assemblage 1 consonne + 1 une voyelle, obtenir qu’il ne se trompe jamais quand ces lettres sont isolées. Ne proposer que 3 lettres à la fois, même si l’enfant en connaît beaucoup d’autres déjà... Ainsi, avant de lui enseigner la littérature et la langue écrite, l’école informe le jeune écolier que le français écrit n’est pas une langue mais un simple enregistrement graphique de l’oral, seul langage qui relèverait de la définition de langue. A priori donc, pour les gardiens de l’orthodoxie et de l’orthophonie, la langue écrite, réservoir des sons, ne traduit ni ne véhicule aucune pensée. C’est pourquoi, pour lire, l’enfant est invité à se passer de son intelligence et à mobiliser ses réflexes pour monter des « mécanismes ».

(8) 90,6 % des enfants de professeurs décrochent le baccalauréat, contre 38 % des enfants d’employés (Source : Le Monde électronique du 11/07/2012).

 
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Dernière révision : jeudi 23 janvier 2014 – 23:10:00
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