Dix vérités incontournables dans le débat sur la lecture
Un texte de Sylvain Grandserre
Maître d’école
« Ce n’est pas au nom du gouvernement, même républicain, ni même au nom du Peuple français que l’instituteur confère son enseignement : c’est au nom de la vérité ».
Manifeste des instituteurs syndicalistes - 1905
1 – La vérité sur les chiffres de l’illettrisme : la proportion d’illettrés augmente en même temps que l’âge. Les enquêtes confirment toutes que si un adolescent sur 15 ou 20 est en échec, c’est le cas d’un sexagénaire sur 5. Retenons la conclusion de l’INSEE : « Les personnes âgées de 18 à 29 ans ont de meilleurs résultats que les générations plus âgées, que ce soit en lecture, en calcul ou en compréhension orale. »
2 – La vérité sur la situation de l’école : il faut réfuter les thèses du “tout fout le camp” : 63 % d’une classe d’âge obtient le bac, il y a deux fois moins de jeunes sans diplômes qu’il y a 20 ans. Dans le passé, jamais une majorité d’élèves n’a obtenu son certificat d’étude, plus de 50 % n’entraient pas au collège au début des années 60 !
3 – La vérité sur le travail accompli en classe : les collègues, et ce dès la maternelle, travaillent déjà largement sur la liaison entre graphèmes et phonèmes. Mais ce n’est qu’une compétence, pas une méthode de lecture (autrement, comment lire OISEAUX dont on n’entend aucune des 7 lettres O-I-S-E-A-U-X ?)
4 – La vérité sur la difficulté de notre langue : B et A, ça ne fait pas toujours BA : baie, Bayrou, baudruche, banquier, bain, etc. De plus, si la liaison entre lettres et sons n’est pas régulière, que dire du lien entre sons et lettres ! Comment écrire le son [o] : o, os, oh, ho, ot, ots, op, ops, od, au, aus, aux, eau, eaux, aud, auds, aut, auts, aud, auds, ault, haut, hauts ?!! D’autres langues ne présentent pas ces obstacles, leur lecture en est facilitée.
5 – La vérité sur la méthode syllabique : elle a été abandonnée en raison de son inefficacité ! Plus de 30 % des CP redoublaient dans les années 60 ! Les maîtres désespéraient de tous ces élèves ânonnant. Les critères pour juger de la capacité à lire étaient moins fins qu’aujourd’hui, notamment pour ce qui relève de la compréhension.
6 – La vérité sur les méthodes ministérielles employées : mensonge (“épidémie de dyslexie”, toutes les méthodes utilisées “assimilées globales”), pressions, convocation et mise au pas de l’appareil (maires, éditeurs, inspecteurs d’Académie, IEN, formateurs), censure et insulte (R. Goigoux), manipulations (brochures et DVD), double discours (circulaire différente des propos médiatiques) menaces (P. Frackowiak, les signataires de l’appel du Monde, les enseignants de CP). On peut toujours dire ensuite que le débat n’est pas idéologique, ça dépend pour qui !
7 – La vérité sur les seuls soutiens du ministre : des extrémistes archaïques, dogmatiques, au fort relent intégriste comme “SOS éducation” et son appel à la délation de 93 % d’instits de CP ; de faux opposants, zélés collaborateurs du pouvoir, pour lesquels les maîtres n’apprennent plus rien aux élèves, ne pensant qu’à les amuser bêtement, les distraire pour leur seule béatitude. Mais où ? Quand ? Des preuves pour une fois !
8 – La vérité sur notre statut d’enseignant : ne serions-nous plus que de simples exécutants, fonctionnaires fonctionnant ? Ou bien notre métier contiendrait-il une dimension artisanale, critique, faite de réflexions, de recherches, d’essais et d’ajustements ? À l’obligation de réserve, on peut aussi opposer la légitime défense. Nous ne faisons que répondre à une attaque inadmissible : qui dénigre, falsifie, jette le doute et l’opprobre ? Et qui défendra l’école publique si nous, enseignants, ne le faisons pas ? Qui est sur le terrain chaque jour, au contact de parents désorientés, rendus méfiants ? Notre fidélité est liée à notre mission, pas à des personnages de circonstance.
9 – La vérité sur la situation de l’éducation : de moins en moins de pouvoir et d’ambition pour davantage de résultats ! Ce n’est pas le niveau qui baisse, mais les exigences qui augmentent comme jamais, sans que l’on s’en donne les moyens ! L’effort ne pourra pas être proportionnel pour s’attaquer au noyau dur d’élèves en difficulté, surtout si les problèmes sociaux, cachés sous le tapis médiatique, perdurent (moins de chômage... mais plus de RMIstes !).
10 – La vérité sur les risques : aujourd’hui, c’est un appel à la délation dans la presse. Et demain ? D’autres projets attendent, réduisant les maths au seul calcul, l’histoire à la chronologie, l’ORL(1) à la grammaire, l’apprentissage au “par cœur”, l’orientation à l’éviction. Face à une opinion manipulée, habituée à entendre toujours le même son de cloche, toutes les organisations progressistes, qu’elles soient syndicales, associatives, culturelles, pédagogiques ou politiques, ont un travail d’information et d’action à poursuivre, encore et toujours. Plus que jamais.
Sylvain Grandserre
Novembre 2006
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(1) Note de Daniel Calin : ORL est l’acronyme d’Observation Réfléchie de la Langue. L’observation réfléchie de la langue, qui appelle l’élève à une activité intellectuelle analytique face au texte, s’est substituée aux antiques leçons de grammaire, qui étaient superlativement mécaniques et ennuyeuses et d’une utilité plus que douteuse pour l’amélioration de l’appropriation de la langue écrite.
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