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J’ai déjà évoqué dans ces « propos nomades » la notion de handicapisme. En référence à la notion de racisme, ou comme une forme de racisme. Il ne s’agit pas ici d’un racisme trivial, mais d’une justification philosophique de l’inégalité entre deux catégories de population, auquel d’ailleurs les philosophes des Lumières n’ont pas échappé : Kant : « Si essentielle est la différence entre ces deux races ! » les Blancs d’Europe et les « Nègres d’Afrique », qui sont « vaniteux et si bavards qu’il faut les séparer et les disperser à coup de bâton » ; Hume : « Les nègres sont naturellement inférieurs. Il n’y a jamais eu de nation civilisée, ni même d’individu qui se soit distingué par ses actions ou par sa pensée, qui fussent d’une autre couleur que blanche» ; Voltaire : « La race des Nègres est une espèce d’homme différente de la nôtre, comme la race des épagneuls l’est des lévriers... On peut dire que si leur intelligence n’est pas d’une autre espèce que notre entendement, elle est fort inférieure. »

Ces extraits sont cités dans un article consacré au premier philosophe d’origine africaine, A.-W. Amo, au XVIIIe siècle, dans Philosophie Magazine de septembre 2016. « Les Lumières, historiquement, sont concomitantes, et parfois complices, de l’essor du discours sur l’inégalité des races. Elles se réclament de l’universalisme, mais un universalisme bien relatif, restreint et sélectif. Elles ne s’autorisent que de la Raison, mais, dans un retour du refoulé, les références discrimi­natoires à la « nature », aux « espèces » d’hommes s’immiscent dans ce discours » (Martin Duru).

Le handicapisme (dont le sourdisme est la version concernant les sourds, et qui peut avoir quelques caractéristiques particulières) est pensé selon l’analogie avec le racisme. Dans les premières initiatives d’éducation des enfants « handicapés » (contemporaines des citations ci-dessus), en l’occurrence les sourds et les aveugles, il n’était nullement question, dans l’idée des promoteurs, de la notion d’égalité de ces personnes avec les bien-portants ou les valides. Ils avaient droit à l’éducation, certes, mais à la place inférieure qui leur était assignée en raison de leur « infériorité physique », pourrait-on dire, en raison de ce qu’ils avaient de moins que les autres. Ils avaient droit à l’éducation au nom de la bienfaisance, de la charité, et même de certains droits (mais ne parle-t-on pas aujourd’hui du droit des animaux), mais nullement en ce qu’ils puissent être reconnus comme égaux. Même l’abbé de l’Epée a des propos qui, conformément à l’idéologie de l’époque, tiennent les Sourds comme inférieurs aux personnes qui entendent. La Révolution tentera de mettre un peu d’égalité là-dedans, mais cela donna lieu à de nombreux débats.

Le racisme n’a pas disparu depuis le XVIIe siècle, malgré l’énonciation de principes inter­nationaux et des réglementations le combattant. Il serait pour le moins étonnant que l’on soit absous de tout handicapisme. Bien sûr les principes droits-de-l’hommistes sont passés par là, et les discours ne peuvent s’appuyer sur cette inégalité de nature, ontologique, entre les « valides » et ceux qui ne le sont pas. Mais dans les actes de la vie ordinaire, dans le travail, dans les relations, il y a des représentations d’inégalité, le plus souvent inconscientes, mais qui expliquent la mise à part des personnes en situation de handicap dans nombre des situations de vie. Ces vieilles idées racistes, handicapistes, sourdistes, irriguent profondément les mentalités et les représentations contemporaines.

 
Un texte de Jean-Yves Le Capitaine
16 mars 2017

 
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