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On pourrait croire qu’aujourd’hui, douze ans après la loi de 2005 qui instaure le droit d’utilisation de la langue des signes (enseignement de la langue des signes et en langue des signes) pour les sourds, et vingt-cinq ans après la première reconnaissance officielle de cette langue dans l’éducation des sourds, cette langue aurait droit de cité, et qu’elle serait utilisée à la mesure des besoins des jeunes sourds. Ce serait sans compter la force de la volonté intégrationniste qui n’envisage la place des sourds dans la société, leur participation sociale, que « guéris » de la maladie de l’audition et réparés de leur mauvaise parole sonore, en faisant fi, justement, de la langue des signes.

J’ai puisé le titre de cette vignette dans un article d’Hélène Hougounenq, publié dans la revue Ethnologie Française (Vol 39, N°2009/3, p. 403-413) et intitulé : « Les sourds aux prises avec l’intégration ». Cet article date de 2009, mais le contenu est toujours d’actualité. Elle y cite des propos tenus dans les médias lors d’un reportage sur les implants cochléaires : « Oui, il parlera, je peux même vous dire qu’il chantera la Marseillaise », affirme un audioprothésiste à des parents venus le consulter lors du processus de préparation à l’implantation.

Hélène Hougounenq fait remarquer avec beaucoup de pertinence que le choix du symbole de l’intégration à la société, la Marseillaise, n’est pas anodin. C’est justement, des symboles de la nation, celui qui active l’audition et la voix. Si ce symbole a retrouvé de la vigueur aujourd’hui dans un contexte géopolitique qui présente quelque danger, il a été aussi le symbole par excellence de l’intégration conçue comme une assimilation des peuples colonisés à la nation française.

Et c’est sans doute bien dans cet impensé de l’assimilation qu’il faut interpréter les propos de ce professionnel. Les principes de citoyenneté, de participation sociale qui, avec la loi de 2005, placent ces droits dans une égalité, au moins formelle, entre les personnes qui ont un trouble, une maladie ou une déficience et celles qui n’en ont pas. La loi ne dispense bien évidemment pas de prothèses, de techniques compensatoires, de rééducation ou de réadaptation, mais elle pose que la société doit s’adapter, se rendre accessible à ces personnes quelle que soit leur situation de handicap. On n’est pas obligé de chanter (vocalement) la Marseillaise pour être citoyen !

Autrement dit, ici, dans la situation des enfants et des personnes sourdes, l’accès à la citoyenneté passerait par la négation de la surdité par des moyens techniques permettant de faire comme les enfants qui entendent. Cette idéologie, qui s’annexe les notions de participation et de citoyenneté affirmée dans les approches conceptuelles et réglementaires contemporaines, n’en demeure pas moins sur un schéma intégrationniste, assimilationniste : pour faire partie de la société, la condition requise reste encore la ressemblance autant que faire se peut avec ceux qui ne rencontrent pas de situations de handicap parce qu’ils n’ont pas de déficience, aidée en cela par la performance technique des prothèses implantées. Cette situation permet en effet de reproduire l’impensé que la situation de handicap tient à la personne qui a une déficience et non à la société qui ne fait pas ce qu’il faut pour se rendre accessible.

 
Un texte de Jean-Yves Le Capitaine
28 mars 2017

 
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