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L’approche globale de la personne, à l’appui d’équipes pluri, trans ou inter disciplinaires, serait la « marque de fabrique » du fonctionnement des institutions et services médico-sociaux. Ceux-ci mettent même souvent en avant cette approche, dont ils auraient l’exclusivité, à l’instar par exemple de l’école qui ne verrait dans l’enfant qu’un élève, ou de la famille qui n’y verrait que son enfant. La richesse de cette approche est argumentée par l’apport des regards professionnels croisés de l’équipe.

Le « regard croisé » décrit ce qui se passe dans les situations, formelles ou informelles, de rencontres, de réunions, de croisements, où des professionnels de différentes catégories professionnelles examinent, commentent, évaluent, jugent, jaugent, discutent, débattent, délibèrent, échangent, devisent, confèrent, discourent, supputent, glosent, causent, jasent, déblatèrent ou décident à propos d’un « sujet » ou d’une personne en situation de handicap. Dans ces moments formels et organisés, ou informels lors de rencontres fortuites, l’on croise les regards de l’enseignant, de l’enseignant spécialisé, de l’éducateur spécialisé, de l’orthophoniste, du psychomotricien, de l’ergothérapeute, du médecin généraliste, du médecin spécialiste, du psychologue, de l’AESH (accompagnant des élèves en situation de handicap), d’un stagiaire qui se trouve là auprès de son tuteur professionnel, quand ne s’y ajoutent pas le musicothérapeute ou l’art-thérapeute, ou d’autres spécialistes.

Il n’est pas évident qu’un tel fonctionnement apporte la plus-value décrite dans les discours des professionnels thuriféraires de cette pratique : dans une équipe pluridisciplinaire, tout le monde a intérêt à valoriser le fonctionnement dans lequel il se trouve, et par conséquent la place à laquelle il se trouve. Même lorsque l’objectif est ciblé (par exemple : faire le point sur la réalisation des objectifs du plan personnalisé d’accompagnement), le fait que chacun expose sa partie (le travail qu’il fait, son point de vue sur le jeune, les évolutions de celui-ci, etc.) n’apporte souvent pas grand-chose pendant que les autres se taisent. On a plutôt affaire à des points de vue juxtaposés, sur des contenus qui ne seront pas facilement discutés car ils appartiennent à la compétence professionnelle de l’intervenant (pourrait-on se permettre de discuter du « diagnostic » avec le médecin ?). On peut certes espérer que l’écoute passive du point de vue d’un collègue va quand même donner des suites dans sa propre pratique. Mais lorsqu’on cumule tout le temps consacré à ces temps formalisés dans le temps institutionnel, on peut légitimement s’interroger sur le gain social (pour les usagers et pour les institutions) d’une telle approche et d’une telle pratique.

Et surtout, j’ai pu le constater expérientiellement, c’est le lieu de l’inflation des réponses spécialisées. La plus petite maladresse physique, qui passerait inaperçue pour le commun des mortels, va être pointée, examinée, « diagnostiquée », devenir un symptôme, donner lieu à une nouvelle réponse médico-sociale sous forme de séances de psychomotricité. Le plus petit écart social (de type bavardage en classe pour le plus mineur ou de type résistance scolaire le plus probléma­tique) va être traduit en pathologie et trouver une réponse dans un suivi psychothérapeutique.

Là où l’accompagnement devrait favoriser la prise d’autonomie, et donc le besoin moindre d’accompagnement, les regards croisés de l’équipe pluridisciplinaire ont plutôt tendance à répondre de manière inflationniste aux actes d’accompagnement, transformant celui-ci en assistance.

 
Un texte de Jean-Yves Le Capitaine
12 juillet 2017

 
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