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La notion d’équipe pluridisciplinaire est d’arrivée relativement récente dans les fonctionne­ments des organismes médico-sociaux. Le « travail en équipe » existait bien, ne serait-ce que dans des interventions simultanées ou dans les prises de relais. Mais afin de prendre en compte la complexité des situations personnelles, la complexité des organisations au regard de l’usager et la complexité de l’organisation des savoirs et des expertises, peu à peu la pluridisciplinarité, voire parfois l’interdisciplinarité, sont apparues comme étant des modalités pertinentes dans le travail médico-social. Les équipes ont tenté par conséquent de s’approprier le concept et de le mettre en pratique.

Autant il peut y avoir des expériences des plus intéressantes dans ces pratiques, autant parfois la pluridisciplinarité est dévoyée dans des contextes particuliers. Parfois en effet, dans certaines institutions, les enjeux professionnels sont tellement exacerbés et le climat social tellement problé­matique que la pluridisciplinarité est fourvoyée dans des conflits de préséance plutôt qu’orientée vers la discussion de stratégies éducatives (au sens large) autour d’un usager et des bénéfices de participation sociale qu’il pourrait tirer d’une harmonisation des interventions. De plus, bien souvent, ces conflits qui se situent, ou devraient se situer, sur un registre professionnel se transforment en conflits inter-personnels ou inter-catégoriels qui peuvent être de nature à immobiliser l’action, ou au contraire à mettre des surenchères d’intervention.

Un des problèmes vient de ce que cette pluridisciplinarité se greffe sur des anciennes pratiques « d’unidisciplinarité » qu’exerçaient les professionnels lorsqu’ils suffisaient pour maîtriser (ou feindre de croire à la maîtrise de l’ensemble de) la situation et répondre aux problématiques en déployant leur champ de savoirs et d’expertise dans un environnement moins complexe.

On en arrive ainsi à établir des zones de concurrence, de doublons et de superpositions d’action plutôt que de réfléchir stratégiquement à des domaines d’intervention complémentaires et répartis, selon les expertises de chacun, personne n’ayant toute l’expertise, ni personne n’ayant par obligation à mettre en œuvre toute l’expertise qu’il détient. Ce n’est pas la notion de pluri­disciplinarité et d’équipe pluridisciplinaire qui est ainsi en cause, c’est l’utilisation perverse qui peut en être faite dans un climat défavorable.

Et pire peut-être, chacun est tenté, dans ce contexte, de majorer les incapacités sur lesquelles il va intervenir (sans incapacités, la justification des interventions n’est pas tenable). C’est de cette façon que l’équipe pluridisciplinaire va parfois devenir un frein à la mise en place de changements dans la manière de concevoir les dispositifs d’accompagnement. L’enseignant spécialisé va évaluer que l’élève n’a pas le niveau et qu’il lui faut intervenir, l’orthophoniste arguant de difficultés en mathématiques va proposer des séances de remédiation logico-mathématique, le psychomotricien va proposer des séances en raison du manque de maturité, le psychologue va mettre en garde sur le danger que court cet élève dans le milieu normal, etc.

Si l’équipe pluridisciplinaire contient de formidables potentialités d’innovation, il ne faut pas oublier qu’elle peut aussi être un frein puissant au développement de la participation sociale des enfants en situation de handicap.

 
Un texte de Jean-Yves Le Capitaine
16 février 2018

 
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