À propos de la circulaire sur le parcours de formation du jeune sourd
Texte de Jean-Yves Le Capitaine
Ancien chef de service dans des établissements médico-sociaux
pour enfants et adolescents sourds
ou présentant des troubles du langage
Circulaire n° 2017-11 du 3 février 2017 – B.O.E.N. du 23 février 2017
Quelques observations préliminaires :
La circulaire rappelle les conclusions de la conférence nationale du handicap du 11 décembre 2014, qui, entre autres, annonçaient le principe de scolarisation des jeunes sourds soit dans des ULIS (Unité localisée pour l’inclusion scolaire soit dans des PASS (Pôle pour l’accompagnement à la scolarisation des jeunes sourds), et la nécessité d’améliorer ce dispositif. Le recours aux unités d’enseignement du secteur médico-social n’est pas rappelé ici, mais seulement, et de manière assez formelle, plus loin dans la circulaire, au chapitre 3. On pourrait encore une fois dire que l’Education nationale ignore ce qui ne se passe pas en son sein. Et c’est peut-être vrai. Mais dans ce cas de figure, il ne faut quand même pas se voiler la face : l’existence d’un secteur de scolarisation pour les sourds et les aveugles au sein du secteur médico-social est un héritage de l’histoire, et le résultat de tentatives avortées depuis plus deux siècles de transférer l’éducation des jeunes sourds dans le ministère de l’éducation. Et la logique internationale de cheminement vers une école inclusive va complètement à l’encontre du maintien de cette éducation dans une filière séparée sous l’égide du ministère des affaires sociales.
En ce qui concerne les modalités de scolarisation, la circulaire évoque des organisations qui appellent quelques commentaires et questionnements :
En ce qui concerne les possibilités de parcours au sein des PEJS, la circulaire préconise deux modalités pour parcours bilingue :
Cette deuxième possibilité ne manque pas de poser quelques questions. Que le co-enseignant enseigne la LSF se conçoit aisément. Mais avoir la charge de l’enseignement en LSF pendant la classe se conçoit plus difficilement. S’agit-il d’un enseignement parallèle, avec les mêmes contenus, mais selon des méthodologies différentes ? Par exemple les mathématiques s’enseignent-elles de manière didactique différente, pour qu’il faille un co-enseignant et pas simplement un interprète ou un interface de communication ? Y a-t-il une pédagogie « spécialisée » des différentes disciplines scolaires (en dehors de l’apprentissage formel du français, lecture et écriture) ? Pourquoi ne pas envisager la transmission d’un enseignement en LSF par un interprète si l’on fait l’hypothèse que les élèves sourds ont des processus cognitifs sensiblement identiques à ceux des entendants, hormis la modalité langagière ? Un interprète ne peut-il pas transmettre (et bien entendu ne pas enseigner) les démarches et outils pédagogiques mis en œuvre par l’enseignant dans le cadre de sa classe ? Si le co-enseignant ne fait que transmettre les contenus et objectifs prévus par l’enseignant, est-il encore vraiment enseignant ? N’y a-t-il pas un risque que l’enseignant de la classe soit ainsi démis de sa responsabilité pédagogique d’enseignant de tous les élèves de la classe au profit d’un autre enseignant (le co-) qui rétablit au sein de la classe une partition de responsabilité, une frontière entre des groupes d’élèves ?
L’hypothèse du co-enseignement pourrait mieux se concevoir avec un enseignant sourd lui-même, mais davantage dans une perspective psycho-sociale d’éducation des jeunes sourds. Il n’en reste pas moins que, même dans cette hypothèse, le rôle du co-enseignement reste réduit à la transmission en langue des signes des contenus et objectifs de l’enseignant. Ce qui n’est pas très valorisant pour un enseignant ! Cette configuration de co-enseignement mériterait des clarifications importantes, tant sur les modalités d’organisation de l’enseignement que sur les principes éthiques qui les pilotent.
Toujours en ce qui concerne les différents types de parcours, le texte de la circulaire maintient une certaine ambiguïté. La question de la qualification en tant qu’accessibilité ou en tant que compensation (ces mots ne sont pas nommés dans la circulaire, mais le texte en parle !) est importante quand il s’agit de décrire les activités qui permettent de réduire l’écart entre les caractéristiques de l’environnement et les caractéristiques individuelles. Par exemple, le plan incliné ou l’ascenseur sont du registre de l’accessibilité, le fauteuil électrique du registre de la compensation, les deux contribuent à la participation sociale des personnes ayant des difficultés de locomotion, à leur droit de participer, de manière pleine et entière, aux différents cadre de vie.
En effet, lorsqu’on envisage cette activité ou cette intervention en tant que compensation, comme c’est manifestement le cas du LPC ici, on attribue en quelque sorte l’écart, la différence, aux caractéristiques de l’individu : c’est à lui de se munir de la technologie (humaine ou technique) nécessaire pour avoir accès au monde commun. Celui-ci est par conséquent le monde des autres qu’il faut rejoindre, le monde des « normaux » ; et la personne handicapée doit ajouter quelque chose pour y participer. L’environnement n’a pas lieu de se modifier pour s’adapter aux caractéristiques des personnes, puisque ce sont celles-ci qui apportent la compensation.
En revanche, lorsqu’on envisage cette activité ou cette intervention en tant qu’accessibilité, c’est l’environnement qui doit se préoccuper de mettre en place une technologie (humaine ou technique) pour se rendre accessible aux personnes en situation de handicap, sans leur demander de se conformer aux contraintes de cet environnement : on ne demande pas à un personne en fauteuil de monter les escaliers, on ne demande pas à une personne utilisant la langue des signes de comprendre un discours oral. Ainsi la responsabilité de l’écart ou de la différence par rapport aux personnes sans handicap n’est plus imputable aux personnes avec handicap. Et même plus, la frontière entre personnes avec handicap et personnes sans handicap est abolie du point de vue des singularités (cela ne veut pas dire que la déficience ou le trouble n’existent pas !). Une institution inclusive devrait se préoccuper en premier lieu de son accessibilité.
À ce titre, l’interprétariat en langue des signes ou le codage en langue française complétée ne devraient pas être pris en compte et financés par des services ou des modalités relevant de la compensation, mais selon des modalités d’accessibilité imputables aux institutions accueillantes.
Un dernier point concerne la formation des enseignants. Parallèlement à cette circulaire, paraissent différents textes réglementaires créant et organisant une nouvelle formation et qualification des enseignants intervenant auprès des publics en situation de handicap : le CAPPEI, Certificat d’Aptitude Professionnelle aux Pratiques de l’Education Inclusive (JO du 12 février 2017, textes 7, 8 et 9, BO du 16 février 2017). Après le CAEI dans les années 1980, le CAPSAIS dans les années 1990, le CAPA-SH au milieu des années 2000, voici donc le CAPPEI.
À noter, pour première fois de manière aussi claire, une exigence d’entrée en formation pour les enseignants qui auront à travailler avec les enfants sourds : une compétence en langue des signes de niveau A1 (en référence au cadre européen commun de référence pour les langues).
Jean-Yves Le Capitaine
Le 28 février 2017
Non publié précédemment
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