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Vers une évolution des INJS-INJA ?

 

 
Un texte de Jean-Yves Le Capitaine


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Livre de Jean-Yves Le Capitaine  Jean-Yves Le Capitaine a publié Des enfants sourds à l’école ordinaire, L’Harmattan, Paris, 2004.

 
 

Il a été publié, en mai dernier, un rapport intitulé : « Scénarios d’évolution des instituts nationaux des jeunes sourds et des jeunes aveugles », (format PDF) commandé en juillet 2017 et remis donc en mai 2018.

Depuis longtemps, depuis toujours peut-être (les plus anciennes de ces institutions datent de la seconde moitié du XVIIIe siècle) les instituts nationaux, les INJ, au nombre de 5 en France, établissements accueillant des jeunes sourds ou des jeunes aveugles, ont été « à part » dans le paysage de la réponse aux besoins de ces jeunes. Même étant à part, cela ne les a pas empêchés de fournir historiquement des réponses de qualité, souvent innovantes et d’être une référence pour l’ensemble des institutions dans le domaine de la scolarisation et de l’éducation des enfants sourds et aveugles.

Mais depuis quelques années, il semble que ce soit l’immobilisme qui prévaut, nonobstant les sentiments de changements ressentis par les professionnels. Les changements sociétaux (en particulier la loi du 11 février 2005, engageant à l’inclusion scolaire) ou encore les changements politico-organisationnels (par exemple la loi HPST, Hôpital, Patients, Santé, Territoires, confiant aux ARS, Agences Régionales de la Santé, la politique médico-sociale) semblent avoir laissé de marbre ces institutions, dont le fonctionnement s’appuie sur « des cadres de gestion hérités du passé et qui ne leur permettent ni de s’adapter à la réalité des besoins, ni de valoriser le savoir-faire des personnels ».

Autrement dit, « la maison brûle ! », et il y a un sérieux problème d’adaptation des INJ au contexte de l’action médico-sociale et éducative en 2018. Ce qui a certainement motivé la demande d’un tel rapport. La lecture d’un rapport est souvent compliquée, tant il faut chercher une réalité parfois peu agréable derrière des euphémismes édulcorant cette réalité. D’où des lectures qui peuvent donner lieu à des interprétations diverses. Voici, quant à moi, la lecture que j’en fais.

Le rapport reconnaît et prend acte de « l’utilité avérée dans le paysage médico-social français » des INJ. « Ils sont, tout d’abord, le fruit d’une longue histoire, et ils demeurent ... une référence en matière de scolarisation des enfants déficients sensoriels. » Mais la tradition historique de qualité et de référence ne suffit pas à en faire aujourd’hui des établissements équivalents à ce qu’ils pouvaient être par le passé.

Et, dit le rapport, « le positionnement de l’offre des INJ suscite manifestement des interrogations. » En effet, première interrogation, les INJ sont restés dans leur ensemble, à quelques nuances près, dans un positionnement d’établissement spécialisé, assurant la plupart du temps la scolarisation à l’interne, au mieux dans des dispositifs externalisés, mais nullement dans l’inclusion (le principe d’« établisssement spécialisé » ne laissant pas de place à la responsabilité des professionnels de l’éducation nationale). L’idéologie prégnante chez les professionnels de l’enseignement (les enseignants titulaires du diplôme d’une « filière distincte de celle des enseignants de l’éducation nationale ») est celle d’un enseignement spécialisé exclusif. Cela aboutit par conséquent à ce que décrit le rapport, des classes spécialisées à l’interne ou externalisées, et, pour deux des INJ, par « une faible place accordée à l’inclusion en milieu ordinaire. » Ce type d’organisation des réponses aux besoins des jeunes sourds et jeunes aveugles est en contradiction avec le principe de droit affirmé dans la loi de 2005 et dans différents textes internationaux, dont la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

Par ailleurs, le positionnement singulier de ces établissements, en dehors de la responsabilité des ARS, les placent complètement à part dans l’organisation des besoins de la population concernée. L’on peut être critiques sur le fonctionnement des ARS et des politiques publiques, mais il s’avère qu’il n’est pas légitime que des établissements puissent en définitive exister et fonctionner en dehors des politiques publiques, faire des offres aux besoins des usagers sans prendre en compte la réflexion politico-administrative régionale.

Le rapport souligne également, en particulier dans ses préconisations, un autre point, celui de la gestion des ressources humaines. Il préconise : « Par ailleurs, les recrutements et les parcours des personnels seraient facilités par une intégration des personnels non enseignants à la fonction publique hospitalière et des personnels enseignants dans les corps de l’éducation nationale. » Autant la première perspective ne semble pas poser de problèmes (c’est la situation qui existe déjà dans de nombreux établissements médico-sociaux publics), autant la seconde perspective ne semble pas être pour demain : « Ce dernier point, compte tenu de sa sensibilité, ne paraît pas toutefois prioritaire »

Ce qui signifie, derrière l’euphémisme de la non priorité, qu’il y a une résistance extrêmement forte des enseignants (et même une lutte vent debout !) contre ce passage à l’Éducation nationale. Pour des questions de principe, justifiant d’une filière spécifique et spécialisée, seule susceptible de répondre aux besoins des enfants sourds, ignorant autant les expériences réussies d’inclusion (avec accompagnement par des codeurs en langage parlé complété ou par des interprètes ou des interfaces en langue des signes par exemple), l’affirmation des droits des élèves en situation de handicap à une scolarisation inclusive, et l’évolution sociétale globale par rapport aux personnes en situation de handicap.

Le maintien de formation et de statut dans une filière différente de celle des enseignants de l’Éducation nationale, considérée comme non prioritaire par les rapporteurs, en raison de son extrême sensibilité, est pourtant une des causes essentielles de l’immobilisme constaté. C’est la persistance en définitive de l’idée selon laquelle les jeunes sourds et les jeunes aveugles sont à part, ne relèvent absolument pas d’une pédagogie ordinaire, fusse-t-elle accompagnée par des profession­nels qualifiés mais non enseignants, idée qui a pour corollaire celle que les enseignants de l’Éducation nationale ne sont absolument pas en mesure, même formés, à accueillir et à scolariser des jeunes sourds et des jeunes aveugles, et qu’ils n’ont pas à les accueillir dans leur classe. On est bien loin des principes et des pratiques qui se développent, avec beaucoup d’aléas certes, dans la perspective d’une école inclusive. Il est heureux que les INJ ne soient pas plus nombreux, et que de nombreuses expériences de scolarisation inclusive de jeunes sourds et de jeunes aveugles aient pu venir infirmer cet immobilisme idéologique.

Les évolutions préconisées par le rapport sont positives, et il est à espérer que certaines d’entre elles trouvent rapidement une réalisation. Mais il est d’autres points évités, qui continueront à conforter l’immobilisme.

 
Jean-Yves Le Capitaine
Janvier 2019

 
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Dernière révision : vendredi 11 janvier 2019 – 16:25:00
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