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Un rapport de plus sur les élèves handicapés

 

 
Un texte de Jean-Yves Le Capitaine


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Livre de Jean-Yves Le Capitaine  Jean-Yves Le Capitaine a publié Des enfants sourds à l’école ordinaire, L’Harmattan, Paris, 2004.

 

La rentrée de septembre 2019, comme les rentrées précédentes et vraisemblablement comme les rentrées futures, semble avoir été un enjeu majeur pour la scolarisation inclusive des élèves en situation de handicap. Tout d’abord parce qu’une loi générale sur l’éducation, la loi sur l’école de la confiance(1),comprend dans plusieurs de ses articles des dispositions relatives à ces élèves. Ensuite parce que la communication ministérielle sur la réalisation du « grand service public de l’école inclusive » a été, avant et après la publication de la loi, extrêmement importante. Parallèlement, la rentrée scolaire a vu relatés, certes quelque peu masqués par la communication ministérielle, de nombreux incidents et dysfonctionnements dans la réalité de la mise en œuvre de cette école inclusive : enfants handicapés refusés dans l’école, enfants non scolarisés, accompagnants absents ou insuffisants par rapport aux prescriptions, manque de places, etc. Cette rentrée revêt également un intérêt particulier par la remise d’un rapport parlementaire sur ce sujet(2).

Enregistré en juillet 2019 à l’Assemblée nationale, le rapport a été rédigé au nom de la commission d’enquête sur l’inclusion des élèves handicapés dans l’école et l’université de la République, quatorze ans après la loi du 11 février 2005 (présidente de la commission, Madame J. Dubois, rapporteur Monsieur S. Jumel). Il s’agit d’un rapport consistant, 180 pages assorties de 57 propositions, issu d’une commission d’enquête qui a mené des concertations sérieuses et discrètes auprès de nombreux acteurs de la scolarisation des élèves et étudiants en situation handicap.

Un rapport de plus ? On peut se le demander en effet, d’abord au regard des nombreux rapports qui ont été produits par des politiques et des chercheurs pendant ces quatorze ans sur ce même thème de la scolarisation et de l’inclusion des élèves en situation de handicap. Mais on peut se le demander également à la lecture du contenu de rapport, qui rappelle avec force des constats déjà faits dans les précédents rapports et réitère les propositions de ces nombreux rapports. Il n’est certes pas inutile de rappeler dans un rapport ce qui ne fonctionne pas, ce qui devrait être fait, etc. À condition que cela se concrétise dans les politiques et les pratiques.

Ce rapport va-t-il servir à quelque chose ? On peut se le demander légitimement. En effet, il est extrêmement curieux que ce rapport d’enquête, réalisé au printemps 2019 (de mars à juillet 2019), remis au Parlement le 19 juillet, ne semble pas avoir inspiré les travaux de Parlement et des instances ministérielles dans l’élaboration et la rédaction du la loi du 28 juillet sur l’école de la confiance, annoncée comme celle du « grand service public de l’école inclusive ».

L’exemple le plus emblématique de cette « dissonance » concerne les PIAL, les pôles inclusifs d’accompagnement localisés. Le rapport leur consacre une dizaine de pages, argumentées, étayées, renseignées, inspirées des points de vue de nombreux acteurs (parents, professionnels, responsables politiques et syndicaux…) et conclut à des préconisations de prudence quant à la généralisation de leur mise en œuvre : « une généralisation précipitée et sans évaluation préalable qui pose un problème de méthode » (p. 155) ou encore « une mutualisation de l’accompagnement érigée en principe, qui pose un problème de fond » (p. 157), avec l’évocation des risques d’une norme d’aide collective au détriments des aides individuelles, et ceux d’une remise en cause du rôle de prescripteur de la MDPH. Des réserves et de la prudence de ce rapport, il ne semble pas en avoir été question dans la rédaction de la loi sur l’école de la confiance : il est quand même paradoxal que le grand service public de l’école inclusive se prépare et s’organise sans la représentation politique et avec une concertation, dont il a été dit qu’elle fut importante, visiblement tronquée.

Si ce rapport n’a pas servi aux politiques et technocrates qui ont préparé la loi, il n’est pas inutile pourtant de le connaître. Il est même éminemment indispensable pour connaître la réalité et les difficultés de la mise en œuvre de la scolarisation (inclusive et spécialisée) des enfants en situation de handicap. Il donne une image contrastée de l’état de l’inclusion et de l’école inclusive, loin du « tout va bien » auto-persuasif et béat diffusé par une communication omni-présente des ministères concernés et qualifiant de changement radical les autres mesurettes mises en œuvre par la loi. Les mots, ici, abondamment diffusés par la communication ministérielle, dissimulent la vérité des choses.

Que dit ce rapport ? Il serait évidemment trop long de reprendre les principales analyses et les recommandations qui en découlent. Ce qui est remarquable, c’est la constance avec laquelle les rapports successifs depuis 2005 pointent les mêmes difficultés, à croire que rien n’a changé depuis 2005. Les choses changent cependant, en témoignent les nombreuses initiatives mises en place au niveau institutionnel(3), mais à une vitesse telle que les principaux nœuds de crispation demeurent, ce qui explique que ce nouveau rapport semble redire ce qui a déjà été dit.

L’un de ces immobilismes concerne le projet personnalisé de scolarisation, réglementé rapidement après la publication de la loi du 11 février 2005, de nouveau réglementé dans les années 2014-2015 avec l’harmonisation de l’outil Projet Personnalisé de Scolarisation (PPS) et l’utilisation de la grille GEVASco. Et cependant « le PPS est au demeurant rarement formalisé. » (p. 25). De même le constat que « le nombre d’élèves et d’étudiants en situation de handicap n’est que partiellement connu » (p. 22 et sq) est récurrent et donne lieu, depuis bien avant la loi de 2005, à des préconisations et des injonctions, qui ont certes amélioré les recensements de population, mais qui restent loin d’être satisfaisants pour garantir un service éducatif de qualité à destination des jeunes en situation de handicap.

L’absence ou l’insuffisance de mobilisation de moyens est aussi une constante de ces rapports, et celui-ci ne manque pas de la rappeler : « pas assez d’unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) et pas assez d’accompagnants au sein des ULIS » (p. 40), « un nombre insuffisant d’enseignants référents » (p. 42) et « des moyens qui n’ont pas évolué au même rythme que les missions confiées aux MDPH » (p. 76). Dans le même ordre d’idées, le rapport rappelle « la nécessité de ménager du temps pour la concertation et pour des formations communes » (p. 120).

La réduction des effectifs des classes dès lors qu’elles accueillent et scolarisent des élèves en situation de handicap s’avère comme une des conditions incontournables d’amélioration, dont l’argumentation est développée sur trois pages (p. 90 à 92). Là non plus les choses ne sont pas nouvelles : tous les acteurs et les chercheurs ont attesté que la taille des classes avait des effets sur la possibilité d’accueillir un enfant en situation de handicap, et sur la qualité de cet accueil, mais il semble que c’est l’une des premières fois qu’un rapport indique avec autant de précisions une telle orientation.

Le rapport pointe aussi, ce n’est pas une surprise, « les carences de la formation des enseignants à l’accueil et à la prise en charge des élèves et étudiants en situation de handicap » (p. 109 et sq) en indiquant le recul de la formation spécialisée, et l’inadaptation de la formation initiale et continue.

Le rapport balaie aussi, de manière approfondie, d’autres écueils ou dysfonctionnements propres à créer des obstacles à une scolarisation de qualité des enfants en situation de handicap : bien évidemment la situation des accompagnants, dont les conditions de statut et d’exercice font l’objet de constats et de préconisations depuis le début de leur présence à l’école, les modalités de la scolarisation en établissement spécialisé, l’inégalité de la scolarisation dont sont victimes les enfants de milieux défavorisés, les insuffisances de l’accessibilité, etc.

La lecture de ce rapport est riche d’analyses sur le fonctionnement actuel de la scolarisation des jeunes handicapés, et serait susceptible d’éclairer tant les concepteurs que les acteurs de la mise en œuvre de cette scolarisation. Mais en dehors de quelques points, certes importants et bienvenus dans la dernière réforme (délais de traitement par les MDPH, coopération entre l’éducation nationale et le médico-social, outils d’adaptation des contenus pédagogiques, prise en considération de l’expertise des parents, l’accompagnement sur les temps péri-scolaires, ...), rien dans le fond ne change : le fonctionnement structurel de l’école reste le même, celui d’une différenciation sélective dans laquelle les élèves handicapés sont perdants, les ressources (d’emploi, de formation, d’organisation scolaire, de reconnaissance) restent indigentes, et les préconisations de prudence sont ignorées.

Certes, le rapport est critiquable. Et en particulier, on pourrait lui reprocher de rester dans la gestion de l’existant, faisant d’une certaine manière la balance entre les insuffisances structurelles du fonctionnement du système éducatif et des fonctionnements anciens donnant encore plus ou moins satisfaction faute de conditions acceptables dans l’éducation nationale. L’existant se caractérise, en effet, par des conditions défavorables d’inclusion dans l’école ordinaire (explicités dans nombre de passages du rapport), et l’existence de nombreuses institutions spécialisées répondant à des besoins identifiés comme n’ayant pas de réponses ou des réponses insatisfaisantes dans le système éducatif pour tous.

Ce qui fait dire à la commission d’enquête que le nombre de places en établissement spécialisé est insuffisant (p. 45), de signaler « la nécessité de conforter les instituts nationaux de jeunes sourds ou aveugles dans leurs missions et leur statut » (p. 52) et de souligner « les limites de la désinstitutionalisation » (p. 50). On peut ici comprendre que la prudence soit de mise, lorsqu’on considère effectivement les conditions concrètes de la scolarisation des enfants en situation de handicap dans l’école ordinaire, et qui est rappelé comme des faits objectifs dans le rapport : insuffisance d’adaptations pédagogiques, carences de la formation, effectifs des classes, insuffisance des accompagnements, des dispositifs dans les établissements. Il faudrait y rajouter, et qui n’est pas énoncé dans le rapport, la réticence « idéologique » ou éthique à accueillir des enfants différents, à travailler dans l’hétérogénéité, à apprendre ensemble ; toutes caractéristiques qui ne sont pas seulement des positions individuelles des enseignants, mais l’effet de la mise en œuvre politique et pratique d’une école inégalitaire(4).

Le rapport fait en effet l’impasse sur la « nature » de l’école et de sa fonction de sélection et de reproduction sociale qui se caractérise aujourd’hui par des principes de fonctionnement non inclusifs : classes ou établissements ghettos, dispositifs d’entre-soi scolaire, absence de différenciation pédagogique, etc. Or tant que l’école se situe sur des principes d’inégalité de conditions d’apprentissage, et en dépit d’un discours volontairement inclusif, il est vain de prétendre donner toute leur place à ces élèves en situation de handicap.

Tout positionnement aujourd’hui sur la scolarisation des élèves en situation de handicap, et par conséquent tout positionnement sur l’inclusion, oscille, dans ce contexte, entre deux axes. D’un côté, les dispositifs spécialisés existant, qui apportent effectivement des réponses plus ou moins satisfaisante aux problématiques de ces élèves, mais qui dans le même temps sont des instruments d’exclusion d’une catégorie d’enfants de ce à quoi participent tous les autres enfants et d’impossibilité d’accès à des droits fondamentaux. De l’autre côté une école censée être ouverte à tous mais dont les réponses aux problématiques sont encore largement absentes, voire font courir des risques (une simple présence physique par exemple, sans adaptations), organisant de fait des situations d’exclusion.

On peut comprendre que dans ces conditions le rapport reste prudent, et que la reproduction de l’existant des dispositifs spécialisés soit préconisée, plutôt qu’une injonction (insurmontable par ailleurs) à modifier radicalement les conditions organisationnelles et pédagogiques d’accueil et d’apprentissage d’enfants dont l’inclusion, de droit et de fait, n’est pas encore acquise. En définitive, les questions que posent ce rapport sont celle de la gestion de l’incohérence apparente entre un désir politique collectif de l’inclusion et d’une plus grande égalité de droits, et des pratiques et organisations qui ont pour effet des différenciations inégalitaires et des exclusions.

 
Un texte de Jean-Yves Le Capitaine
2019

 
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Notes

(1) Loi du 28 juillet sur l’école de la confiance.

(2) Rapport sur l’inclusion des élèves dans l’école et l’université de la République, 14 ans après la loi de 2005.

(3) Voir par exemple : Gallet C. & Puig J., L’aide humaine à l’école, INS-HEA et Champ social, 2017.

(4) Voir à ce sujet le dernier ouvrage de Meirieu P., La riposte, Éditions Autrement, 2018.

 
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