Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
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Le soutien :
nouvelle panacée au service du démantèlement des aides spécialisées

 

 
Un texte de Laurent Lescouarch,
Ancien Enseignant en RASED
MCF Université de Rouen


Publication originale  Cet article a été publié initialement sur le site de Philippe Meirieu (format PDF).
Défense des RASED  Sur l’entreprise actuelle de destruction des RASED, voir la page Les mobilisations pour la défense des RASED de ma rubrique consacrée aux RASED.
Autres textes de Laurent Lescouarch  Voir sur ce site les autres textes de Laurent Lescouarch.
Laurent Lescouarch sur le Web  Voir ailleurs sur le Web la thèse de Laurent Lescouarch, Spécificité des pratiques pédagogiques des enseignants spécialisés chargés des Aides Spécialisées à Dominante Pédagogique en RASED (format PDF), dirigée par Jean Houssaye et soutenue en Novembre 2006 à Rouen, ainsi que ses publications sur le site de son laboratoire, CIVIIC.
Un livre de Grandserre & Lescouarch  À lire : Sylvain Grandserre et Laurent Lescouarch, Faire travailler les élèves à l'école : Sept clés pour enseigner autrement, Col. Pédagogies, ESF, 2009, préface de Jean Houssaye.

 

Depuis la modification de leur formation en 2004, les enseignants spécialisés du primaire (et plus particulièrement ceux des RASED : Réseaux d’Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté) que je rencontre en formation sont inquiets pour leur avenir. Ils se demandent fréquemment si la systéma­tisation des actions de soutien prônée par le ministère ne va pas remettre en cause leurs pratiques et s’ils vont encore pouvoir prendre une place dans le dispositif tenant compte de leur spécificité d’actions.

En effet, l’idée d’aides spécialisées (structurée historiquement dans une recherche de formes d’aides variées distinctes du soutien scolaire par reprise de contenus faits en classe) perd toute signification dans la politique actuelle ramenant la réponse à la difficulté scolaire à une seule alternative : le soutien envisagé comme du renforcement scolaire.

Les discours de cette rentrée 2008 illustrent cette tendance forte lorsque par exemple, Luc Ferry, ancien ministre de l’Education Nationale, considère qu’on peut désormais supprimer les RASED puisque du soutien scolaire est mis en place systématiquement. Ainsi, au micro de la radio Europe 1, le jeudi 4 septembre 2008, il exprime l’idée que la suppression du samedi matin à l’école primaire aurait avant tout un fondement économique : « Les deux heures pour les élèves en difficulté... les deux heures de soutien cela permet de supprimer ce que l’on appelle les RASED, c’est-à-dire les réseaux d’aide, de soutien dans les départements et cela fait économiser 8 000 postes. Donc il faut quand même le savoir, c’est quand même important. C’est ça l’enjeu de cette réduction, outre le fait qu’évidemment, ça fait plaisir aux parents, ça fait plaisir aux élèves, ça fait plaisir aux professeurs. Vous avez là si vous voulez un avantage politique, une réduction des coûts budgétaires... »

Tout en cherchant à rassurer les enseignants sur la pérennité des RASED, Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale n’est pas en reste lorsque, sur la radio France Inter le 05 septembre, il assimile lui aussi les aides spécialisées à du soutien dans ses réponses aux questions d’une inter­venante à propos d’une éventuelle suppression : « Je sais que les réseaux d’aide et de soutien sont utiles pour les élèves en difficulté. Nous ne sommes pas dans cet esprit là. Ce que nous souhaitons, c’est les sédentariser, je l’ai déjà dit plusieurs fois. Les syndicats le savent. C’est-à-dire faire en sorte que ces professeurs soient le moins itinérant possible, soient installés dans des écoles où les besoins sont les plus criants de sorte qu’ils s’intègrent dans les équipes pédagogiques d’une manière plus définitive plutôt que de circuler. Mais nous n’avons pas le projet de supprimer les dispositifs de soutien même si, je l’espère, ils seront dans les années qui viennent moins utiles dès lors que dans le service des enseignants il y a deux heures qui sont consacrées spécifiquement aux élèves en difficulté... ».

Parler de « Réseau d’Aide et de Soutien » pour désigner des aides spécia­lisées qui ont justement vocation à ne pas être du soutien constitue un contresens très révélateur dans la bouche de deux institutionnels de premier rang. Les mots ont leur importance(1) car l’emploi de ce terme reflète une conception de l’aide aux élèves en difficulté restreinte au « faire travailler plus pour réussir plus ».

La question de la modalité d’aide ne se pose donc pas dans cette appro­che puisqu’il suffirait de faire refaire ce que l’enfant en difficulté n’a pas compris en individuel ou en groupes restreints pour qu’il apprenne et ce avec des enseignants n’ayant pas de formation particulière (voire même dans le cadre de l’accompagnement hors temps scolaire avec des personnels non enseignants).

La fédération Nationale des Associations de Rééducateurs de l’Education Nationale (FNAREN) avait déjà attiré l’attention des professionnels sur une confusion de ce type en 2006 dans un texte intitulé « Manifeste de la FNAREN ». On aurait pu attribuer ces confusions à une erreur malencon­treuse de formulation mais la politique d’aide aux élèves mise en œuvre actu­ellement leur donne un tout autre sens lorsque l’on constate que dans le « guide pratique des parents » distribué en cette rentrée scolaire, les aides des réseaux ne sont même pas mentionnées : « Les élèves qui ont des diffi­cultés vont bénéficier de deux mesures spécifiques: une aide personnalisée de deux heures par semaine qui sera systématiquement proposée à chacun d’entre eux et des stages de remise à niveau pendant les vacances de printemps et d’été en CM1 et en CM2. L’objectif de l’aide personnalisée hebdomadaire est justement d’éviter que les élèves en difficulté ne soient laissés de côté durant la semaine et n’accumulent des retards impossibles à combler. »

En cette période de restriction budgétaire, outre son caractère d’illustra­tion de glissement d’une logique d’ « institution publique » à une logique clientéliste de « service au public », on aimerait connaître le nombre de postes que représente le coût d’édition de ce fascicule de propagande pour les nouveaux programmes et le coût des publicités radiophoniques l’accompa­gnant. Comme le montre bien cette communica­tion déplacée, nous ne sommes pas face à une véritable politique d’aide aux élèves en difficulté qui nécessiterait de penser la diversité des aides et de les coordonner (comme le prévoyait les textes officiels de la période 1990-2005) mais il est à craindre que la prise en compte de la situation de ces élèves ne soit qu’un prétexte pour justifier des réformes (sur le temps scolaire, les programmes et méthodes pédagogiques) pleines d’arrières pensées idéologiques tout en désarmant l’adversaire par un discours de justice sociale.

En effet, dans tous les médias (bien souvent très complaisants sur cette question probablement par ignorance des enjeux pédagogiques réels), le ministre développe un argumentaire qui a l’apparence du bon sens et rend difficile toute contestation : qui pourrait en effet se prononcer contre le développement du soutien scolaire systémati­que sans courir le risque d’être soupçonné de vouloir interdire aux enfants de milieu populaire l’accès à des aides que les familles plus aisées peuvent offrir aux leurs sous forme de cours particuliers ?

Pourtant, le cours particulier n’est pas une panacée et les recherches montrent que des aides peuvent être inefficaces lorsque l’enfant n’est pas en état de les recevoir. Les paramètres à prendre en compte sont donc très variés. Lutter contre ce discours ministériel simpliste suppose donc de rentrer dans la complexité des distinctions entre soutien-reprise, différencia­tion, aides spécialisées développées dans le champ des Sciences de l’Éduca­tion et d’expliquer que le soutien scolaire reprise, s’il est pertinent pour des enfants ayant simplement des lacunes, est inefficace avec des enfants dont les difficultés s’expliquent par d’autres considérations : situations psycho­logi­ques, rapports sociaux particuliers avec le monde scolaire, rapport au savoir erroné, stratégies d’apprentissage non pertinentes...

Ces profils de difficulté nécessitent l’intervention de personnels spécia­lisés formés spécifiquement et dans un cadre de travail qui n’a rien à voir avec le soutien scolaire. Supprimer les RASED conduirait donc à se priver de compétences particulières de personnels pouvant apporter des réponses à des situations qui dépassent la simple différenciation pédagogique...

Pourtant, cette suppression effective est plus que jamais à l’ordre du jour, soit dans la perspective d’une disparition pure et simple du dispositif comme l’exprime Mr Ferry, soit de manière plus insidieuse par un déplace­ment des missions des personnels vers le soutien scolaire. En cette rentrée, les inquiétudes des enseignants des réseaux apparaissent donc particulière­ment fondées car aucune place reconnaissant leur spécificité ne semble leur être dévolue dans le nouveau dispositif restreint à l’approche simpliste de la reprise de contenus.

Par glissement sémantique, le soutien deviendrait donc, de fait, le fossoyeur des aides spécialisées et il est important aujourd’hui que les personnes en charge des politiques d’aides aux élèves en difficulté prennent conscience que ces deux expressions ne sont pas synonymes. Il est fonda­mental de réintégrer dans les dispositifs en cours de constitution l’idée qu’un travail sur l’appétence, les stratégies mentales et les méthodes d’apprentissa­ges est une des conditions de la réussite de certains élèves.

Laurent Lescouarch
Septembre 2008

 
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Notes

(1) Il est intéressant de noter que dans une première version de la déclaration de Luc Ferry circulant sur internet, les formulations sont quelque peu différentes et les RASED redevien­nent des réseaux d’aides spécialisées. Cette version mieux formulée change en partie le sens de ses propos : « Les deux heures qui sont réaffectées pour le soutien aux enfants en diffi­culté permettent de supprimer les réseaux d’aide spécialisée aux élèves en difficulté (Rased). Cela fait économiser 8 000 postes. C’est ça l’enjeu de cette réduction, outre le fait que ça fait plaisir aux parents, aux élèves et aux enseignants. C’est un avantage sur le plan budgétaire. »

 
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Dernière révision : vendredi 21 février 2014 – 15:45:00
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