Pourquoi les aides personnalisées
ne peuvent remplacer les aides spécialisées des RASED
Un texte de Laurent Lescouarch,
Maître de conférence
Université de Rouen
Le projet de suppression des RASED que l’on pouvait lire entre les lignes début septembre à l’écoute des propos du ministre de l’éducation nationale n’est désormais plus un secret de polichinelle. Il est inscrit dans les projets budgétaires et les réactions pour une fois nombreuses des enseignants menacés sont salutaires. Le combat porte de mon point de vue sur la mise en avant de la spécificité des actions et du champ d’intervention de ces enseignants spécialisés qui ne peuvent être remplacés par un quelconque dispositif de soutien quelle que soit sa forme ou son nom (cours particuliers, aides personnalisées, etc...)
Il faut rappeler au grand public que les enseignants spécialisés des RASED sont d’abord des enseignants généralistes ayant exercé en classe « ordinaire » et qu’ils ont bénéficié d’une formation supplémentaire leur permettant d’apporter des réponses à des difficultés pour lesquelles les enseignants généralistes sont justement démunis.
Dans les réseaux, les Aides Spécialisées sont mises en place dès lors que le soutien classique ou la différenciation dans la classe ne fonctionnent pas. (Il faut rappeler que des actions de différenciation sont déjà mises en œuvre dans les classes par les enseignants). Elles interviennent donc après une phase de différenciation et de soutien et il est donc totalement paradoxal de les supprimer en les remplaçant par du soutien scolaire car LES AIDES SPÉCIALISÉES SONT UNE RÉPONSE À L’ÉCHEC DU SOUTIEN SCOLAIRE !
L’idée du soutien véhiculée dans les discours institutionnels est celle d’une reprise de connaissances non acquises à l’identique ou sous une autre forme (et cela ne correspond d’ailleurs pas à la définition des « aides personnalisées » dans les textes ouvrant d’autres pistes de remédiation que la reprise scolaire). Lorsque les difficultés sont d’un autre ordre (Méthodes de travail, stratégies cognitives, manque de motivation, absences de sens des situations scolaires empêchant l’entrée de l’enfant dans un projet d’écolier...), les « aides personnalisées » ont donc peu de chances d’être efficaces et risquent au contraire de mettre de nombreux enfants en situation d’échec scolaire encore plus important s’il n’y a plus d’autre recours.
En effet, ces « aides personnalisées » se mettent actuellement en place dans l’urgence et dans des conditions très approximatives (l’improvisation est totale...). Elles sont essentiellement centrées sur de la reprise scolaire (logique de cours particulier) et hors du temps scolaire habituel des enfants (matin, midi et soir) contribuant ainsi à alourdir une journée scolaire déjà bien trop longue pour de nombreux enfants.
Ces formes d’interventions sont adaptées pour des enfants ayant des lacunes dues à des absences, des élèves apprenant lentement ou ayant besoin de plus de moments de répétitions pour automatiser les apprentissages, mais la difficulté de nombreux élèves ne relève pas de ces profils. Sans dispositif spécialisé, les enfants dont la difficulté nécessite d’autres formes de prise en charge risquent de rester sur le bord du chemin au lieu de bénéficier d’une aide adaptée.
Les « aides personnalisées » seront donc peut-être efficaces pour des enfants ayant des difficultés scolaires momentanées et peu importantes mais ne peuvent être une réponse pour ceux qui sont déjà en grande difficulté ou en échec scolaire. En effet, Il faut distinguer les DIFFICULTÉS DANS L’APPRENTISSAGE D’UNE NOTION qui relèvent de l’aide d’un enseignant généraliste et les DIFFICULTÉS DE l’APPRENTISSAGE qui nécessitent une vision beaucoup plus large et globale avec d’autres grilles de lecture des sources de la difficulté scolaire dont les enseignants des RASED sont les spécialistes.
De plus, l’efficacité de ces « aides personnalisées » risque d’être encore réduite pour des questions de rythme scolaire (du fait de la surcharge cognitive de travail qu’elles impliquent pour des élèves déjà en rupture scolaire) et de l’inadaptation d’une semaine de 4 jours dont les chronobiologistes se font l’écho depuis de nombreuses années (voir les travaux du professeur Montagner).
Il ne faut pas non plus oublier qu’aider les élèves en grande difficulté ou en échec scolaire suppose des compétences que les enseignants non formés à ces aspects spécifiques n’ont que trop rarement (Et ils sont bien souvent les premiers à le reconnaître dans leur demande réitérée d’interventions de spécialistes pour des situations qui les dépassent...). Le recours trop fréquent non justifié aux orthophonistes pour des difficultés de lecture lorsqu’il n’y a pas de réseau en activité dans le secteur d’une école en est un signe criant.
Nous avons donc besoin dans le système scolaire de personnels ayant des regards différents sur la difficulté scolaire. Il n’est pas suffisant de repérer des manques, des carences, encore faut-il en déterminer l’origine et penser une réponse adaptée prenant en compte les dimensions cognitives, sociales, psychologiques de l’enfant. Si l’on prend une métaphore médicale, supprimer de fait les RASED et restreindre les aides à du soutien solaire sous forme d’« aide personnalisée » reviendrait à considérer qu’on peut administrer le même traitement à toutes les maladies...
Qui va donc prendre en charge ces enfants si les réseaux disparaissent ? Comme l’exprime Claudine Ourghanlian, ces difficultés risquent fort d’être progressivement médicalisées et des enfants en difficulté scolaire vont se retrouver à terme stigmatisés dans le champ du handicap dès lors que le soutien aura démontré son inefficacité. Ou encore, il est fort probable que toutes les structures marchandes de soutien scolaire vont pouvoir bénéficier à terme de l’apport d’une nouvelle clientèle qui ne trouvera plus de réponses au sein du système scolaire.
On voit bien les enjeux économiques (et idéologiques...) mais où est l’amélioration de la qualité du service public dans tout ça ?
Laurent Lescouarch
Le 22/11/2008
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