Un texte de Jean Pauly
Bien sûr, j’étais Maurice Campagnolo.
Sous le masque, battait le cœur
d’une histoire. Sous la pirouette hebdomadaire,
la crémaillère du quotidien. Maurice a rendu ses
derniers mots... mais moi je continue.
Maurice, je le pensais souvent
dans la voiture en allant à l’école. Quelques
kilomètres. Des bouquets de genièvres et des bois
tordus. Au carrefour, je m’inventais des souvenirs, en octobre, dans
le brouillard et les derniers feuillages. En passant la combe,
l’hiver, je roulais à tâtons, à travers le hublot
gratté dans le givre du pare-brise, et je trouvais une chute pour la chronique.
Et puis, dès que les feuilles d’avril ont pointé, dès
que les repousses ont gagné dans la coupe claire des forestiers, c’est reparti
ventre à terre.
Un jour, je suis né à ce métier.
Est-ce sous l’aile des instits de
l’enfance dont je revois les tabliers
gris ? Est-ce la peur à ce point du monde alentour que de
ne pas vouloir quitter le cocon de l’école – vous pensez,
prisonnier dans ses murs pendant plus de quarante ans, si j’enlève l’année
d’armée – depuis la classe enfantine du quartier jusqu’à
la grotte pédagogique d’un village oublié ? Est-ce l’obsession de
la ligne, la ligne du cahier, la ligne des tables, la ligne d’une vie... la
ligne des peupliers de la petite Aurélie ? Est-ce pour vivre
le réel au prisme rassurant des certitudes – les élèves et le
maître, la connaissance et la mesure – et des convenances du petit monde ?
J’ai commencé un peu comme
Greg à la sortie de l’École Normale,
vaguement rebelle et immature, la 4L et la guitare, des
rudiments et des ficelles, sur les rails posés par les anciens
du métier. Je finis désenchanté, ombrageux comme Aubry, le
Scénic et l’ordinateur portable, sur un chemin de traverse.
Entre temps, j’ai cru grandir, j’ai liquidé mon enfance en regardant
fleurir ma progéniture, et j’ai vécu des années de paradis
dans une petite école à deux... on habitait le logement au-dessus, on
garait la Nevada entre les piliers du préau, on descendait en chaussons
pour préparer la classe, on puisait l’eau à la mare
pour l’aquarium aux notonectes, on allait à la mer en vélo, on
faisait des panneaux de conjugaison sur des affiches fluo, on partait
en pique-nique, on préparait des spectacles d’école
comme des premières à Mogador... on pensait que la classe était un
bateau et que c’était beau.
En ce moment, je croise une petite cane blanche sur la route.
Le matin, elle sort des maisons du hameau
pour rejoindre le lac des Cayroux, une mare du causse taillée dans la roche, seul point
d’eau à la ronde. La cane doit faire quelques hectomètres
comme ça, en dandinant son croupion, indifférente au
passage des voitures. Elle y passe la journée. Le soir, elle a fait ses
heures, elle a fait son métier de petite cane blanche, et je la vois
sur le chemin du retour, imperturbable encore. Elle sait d’où
elle vient, elle sait où elle va. Peu lui importe le
changement des campagnes, les lotissements comme des champignons,
les tracteurs dans les remembrements, les ronds-points sur
la voie rapide et les nouvelles politiques de l’aménagement du
territoire...
La petite cane blanche... suivre sa route en dandinant son croupion.
Savoir d’où l’on vient. Savoir où l’on va.
Merci Maurice...
Jean Pauly
Reyrevignes, le jeudi 6 juillet 2006
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