Xavier Darcos, not’ bon maître......
Un texte de Jacky Poulain
Enseignant spécialisé RASED
Sallanches 74
Ces jours-ci, des millions de parents d’élèves de l’école élémentaire (du CP au CM2) ont reçu ou vont recevoir via l’enseignant(e) de leur enfant un « guide pratique des parents » d’une centaine de pages, avec ce slogan en couverture : « Donnons des couleurs à la réussite ».
Passons sur le coût probablement très élevé de cette opération de communication : ce gouvernement nous a habitué à faire fort dans ce domaine...
Passons aussi sur l’indigence des nouveaux programmes : les critiques de tous bords n’ont pas manqué, en dénonçant l’aspect rétrograde, globalement réactionnaire.
Passons encore sur la contradiction majeure qui veut que les élèves devront apprendre plus de choses en disposant de moins de temps : une partie du raisonnement ministériel nous échappe...
Passons enfin sur les critiques émises par d’éminents spécialistes en bio-chronologie dénonçant les aberrations d’un tel découpage hebdomadaire.
Arrêtons-nous plutôt sur ce « nouvel horizon pour l’école » détaillé dans cette brochure par notre débonnaire (?) Ministre de l’Education nationale :
Dans son « édito », il écrit aux parents « Vous trouverez dans ce guide des explications sur les moyens qui sont mis en œuvre, à partir de la rentrée 2008, pour aider votre enfant à surmonter les difficultés qu’il pourrait rencontrer au cours de sa scolarité »...
Des détails sont donnés aux parents, vantant l’aide par l’enseignant(e) dans sa classe, l’aide individualisée 2h/semaine, et au besoin, pour le CM1 et le CM2, les stages d’une semaine de remise à niveau pendant les vacances scolaires. Allusion est faite au PPRE (Projet Personnalisé de Réussite Educative) en cas de besoin.
Vous chercherez en vain dans cette brochure la moindre trace, la moindre allusion aux RASED (Réseaux d’Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté). Comme s’ils avaient disparu de la circulation, comme si leur sort était scellé, alors que depuis des mois, le ministre est interpellé sur leur devenir à l’Assemblée Nationale, au Sénat (cf. questions orales/écrites), alors que des pétitions circulent, qu’une lettre ouverte lui a été solennellement adressée voilà quelques mois par les principales associations professionnelles et organisations syndicales de ce pays, rarement réunies autour d’un même texte intitulée « Lettre ouverte à Monsieur le Ministre de l’Education Nationale pour maintenir et renforcer les aides spécialisées de l’Education Nationale concernant les élèves qui rencontrent des difficultés à l’Ecole. »
En deux mots, quel est l’objectif d’une telle manœuvre de la part du très sarkoziste M. Darcos ? Quels sont les enjeux cachés de ce tour de passe-passe ?
Que dire, que penser d’un tel procédé (on purge, on expurge, tout de même !) rappelant de bien fâcheuses pratiques de réécriture d’une réalité trop dérangeante ?
L’illusion première consiste à laisser croire que l’échec à l’école est soluble dans des réponses strictement pédagogiques, d’où le catalogue de mesures annoncées dans le « guide pratique des parents ». Tout(e) enseignant(e) un peu expérimenté(e) connaît pertinemment les limites d’une telle démarche, avant même sa mise en œuvre !
L’objectif sans doute moins avouable consiste à lorgner du côté des quelques milliers de postes d’enseignants spécialisés des RASED qui deviendraient du coup récupérables, et en terme d’économies dans la Fonction Publique, ce n’est quand même pas rien : en effet, les enseignants chargés des aides spécifiques dans les RASED à l’école représentent – si on écarte les psychologues scolaires, environ 12 000 postes !
De plus, ces enseignants spécialisés – dont je suis – n’exercent pas devant une classe et sont donc directement exposés à la vindicte ministérielle...
Les conséquences probables, pour conclure très sommairement :
Si l’école se prive de dispositifs tels que les RASED, cela veut dire que tout enfant en difficulté sensible dans sa scolarité sera orienté vers des services de Santé (notoirement débordés) ou... vers le privé (marché en pleine expansion) !
On peut alors parier sans risque sur une médicalisation galopante des « troubles » scolaires, sans oublier que culturellement et socialement, ces aides extérieures à l’école seront d’abord et surtout accessibles aux familles aisées (bonjour l’égalité...).
Mais gageons que ce bon Monsieur Darcos prépare déjà un « guide à l’usage des parents dont les enfants demeurent en échec à l’école malgré tout ce qu’on fait pour eux », les ingrats...
Jacky Poulain
Septembre 2008
NB : Le 5 septembre, une autre lettre ouverte (« Préservons et développons les RASED »), signée à peu près des mêmes, est adressée à l’opinion. Monsieur Darcos a de grandes oreilles. Mais il n’est pas pire sourd...
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