Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
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Je pense à vous
À propos de la destruction des RASED

 

 
Deux textes de Jacky Poulain
Enseignant spécialisé, RASED Sallanches


Autres textes de Jacky Poulain  Voir sur ce site les autres textes de Jacky Poulain.
Défense des RASED  Sur l’entreprise de destruction des RASED, voir la page Les mobilisations pour la défense des RASED de la rubrique consacrée aux RASED.

 

Je pense à vous.

Dialogue entre le mari et la femme ; ils viennent d’apprendre que celui-ci a un méchant cancer, déjà bien avancé. Le temps est désormais compté.
Elle : « ... Mais qu’est-ce que nous allons devenir ?!? »
Un temps.
Lui : « ... Qu’est-ce que TU vas devenir... ? »

Je restitue là de mémoire la fin d’un texte bref de Jean-Paul Dubois dans son recueil Parfois je ris tout seul.
Sourire triste. Association d’idées avec ce que j’entends ici ou là, au gré des cours de récréation ou des « salles des maîtres », en relation avec la menace de disparition des RASED et des aides spécialisées à l’école.

Beaucoup de collègues, sincèrement compatissants ou un rien cyniques – parfois les deux tant nos fonctions auront semblé enviables, jusqu’au bout ! –, s’inquiètent de notre avenir à nous, les enseignants spécialisés E ou G :

« Mais qu’est-ce que vous allez devenir ?!? »

 
Et moi de répondre systématiquement :

« Qu’est-ce que VOUS allez devenir, vous ?!?

 

Je pense à vous, actuel(le)s et futur(e)s enseignant(e)s des écoles mater­nelles et élémentaires, à qui l’on demandera bientôt de gérer les petites, moyennes et grandes difficultés dans vos classes. On vous attend, on vous imagine bientôt omnipotents, en capacité de régler toute difficulté d’adap­tation et de comportement, toute difficulté d’apprentissage pour chacun de vos élèves. Vous accéderez un temps au sentiment un peu enivrant d’une certaine toute-puissance.

Vous avez, vous aurez la lucidité de penser qu’hormis de l’orthophonie, vous ne pourrez compter sur des prises en charge dans les CMPP, les CAMSP, les CMP, tant ces structures sont saturées. Vous entretiendrez l’idée que « c’est quand même mieux que rien ».

La mort dans l’âme, vous suggérerez qu’il existe des psys installés en libéral, et passant vite, vous vous ferez à l’idée que ce n’est pas votre problème de savoir si la plupart des familles n’ont et n’auront pas les moyens financiers d’entreprendre de telles démarches.

Vous vous concentrerez sur l’idée que si la pédagogie n’a pas réponse à tout, elle doit et devra vous permettre de faire face à presque toutes les problé­matiques. La mise en place du soutien et de l’aide personnalisée fera chuter vertigineusement les statistiques de l’échec scolaire, on parlera d’une baisse conséquente de 2,9% (3,4% selon les sources). Vous vous réjouirez.

Vous bénéficierez de la bienveillance de votre administration qui, autant soucieuse de votre santé mentale que de votre degré de professionnalité (critère déterminant du nouveau salaire au mérite), organisera régulièrement des « stages » pendant lesquels vous pourrez vous convaincre avec soulage­ment que, oui, vous êtes et serez en mesure d’assumer 3 ou 4 fonctions à la fois ; que de solides connaissances pédagogiques associées à un enthou­siasme communicatif vous permettront – dans le cadre de projets extrême­ment bien ficelés – d’avoir 2 cerveaux, 3 cœurs, 4 bras, 8 mains, 12 oreilles, 5 langues et quelques paires de pieds.

Vous ne serez pas ennuyés, tracassés, vidés trop longtemps par les enfants récalcitrants. Là encore, Votre Ministre pense à cela : un groupe de réflexion est ou sera bientôt mis en place : on peut compter sur un partenariat bénéfique, une mutualisation des moyens avec ses Collègues du Ministère de l’Intérieur et de celui de la Justice : des Centres seront construits.

Par ailleurs, des primes, des heures supplémentaires grassement rémunérées viendront vous soutenir le moral dans les moments difficiles que vous ne manquerez pas de traverser.

Je pense à vous, oui. Et je ne vous envie pas...

 

 
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Barre de séparation

 

Je pense à vous...

Je pense à vous, petits et grands enfants des écoles maternelles et élémen­taires, pour qui l’école est une épreuve et une souffrance quotidiennes : j’en témoigne pour vous ici, après plus de vingt ans dans ce métier. Vous êtes pour mon « compte » quelques centaines (500, 600, 700 ?) , rencontrés dans l’école mais en dehors de la classe, à vous être coltinés avec moi à votre manière d’être là, à l’école, de guingois, empatouillés dans vos difficultés : la trouille d’avoir à oser dire, à oser faire, la peur de l’échec, rongés d’anxiété devant les attentes de l’école ; l’incapacité de vous poser 2 minutes, d’être dans la pensée, disponibles à la réflexion et au « travail « ; ces angoisses, ces terreurs d’avoir à lâcher sa mère, le monde de l’enfance, l’univers du jeu pour « gran­dir » ; ces étiquettes d’enfants dangereux, infects, insupportables, cette agressivité irré­pressible et débordante qui vous caractérisaient ; ces ensei­gnant(e)s avec qui « ça ne passait pas » ; toutes ces histoires familiales douloureuses qu’on vous demandait de laisser au porte-manteau mais qui vous empêchaient...

Ces « j’aime pas l’école... » démultipliés au fil des ans, exprimés d’une manière ou d’une autre. La peur au ventre, les cauchemars racontés, les solitudes affectives, les déserts relationnels...
Je pense à vous tous et toutes, rasant les murs, vous y cognant, y cognant quelques-uns passés trop près, je pense à ces murs de silence lentement fissurés, aux sourires, aux regards perdus et retrouvés.

Je pense à cet espace d’écoute et de parole peut-être bientôt refermé, où il est très justement parlé de l’estime de soi et du désir d’apprendre. Futurs souve­nirs d’une approche sensible, humanisante, respectueuse du sujet, pour finir sur un gros mot...

Jacky Poulain
Le 3 octobre 2008
 

(Je fais ici la part des choses : je n’oublie pas que de nombreux collègues, de nombreuses écoles en France n’ont jamais connu ou travaillé avec un RASED et, comme on dit, ne s’en sont pas forcément portés plus mal : on ne sait pas et on ne saura sans doute jamais si la présence d’un RASED ne les aurait pas aidées à ce que ça aille « un peu mieux », tant il est vrai qu’aucune école n’échappe à la question de la difficulté...)

 
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Dernière révision : samedi 01 mars 2014 – 17:35:00
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