Mes respects, monsieur Darcos, mais pas pour vous...
Un texte de Jacky Poulain
Enseignant spécialisé RASED Sallanches 74
Monsieur Darcos, ministre Tartuffe ?
Disparition des RASED : Monsieur Darcos bafoue les valeurs qu’il
prétend promouvoir et incarner :
« le respect »,
« l’autorité »,
« l’égalité »,
« la vérité », » le souci de la
dépense publique », j’en passe et peut-être des meilleures...
- « L’autorité » : Monsieur Darcos ne fait pas
preuve d’autorité dans la gestion des dossiers qui lui incombe : quand il ne
respecte pas les procédures en usage dans un fonctionnement démocratique
(consultation des partenaires sociaux et institutionnels, recours aux instances de réflexion
comme le Haut Conseil de l’Education, mission d’évaluation par des Inspecteurs
Généraux, par exemple), quand il prétend avoir raison seul, il pratique de
fait un autoritarisme de mauvais aloi...
- « Le respect » : Monsieur Darcos appelle sans cesse
à la réhabilitation du « respect » : que ne donne-t-il
pas l’exemple plus souvent, plutôt que de balayer d’un revers de main les
compétences spécifiques des enseignants spécialisés acquises et mises
en œuvre au quotidien à l’école auprès d’enfants en
souffrance scolaire, plutôt que d’afficher une ironie méprisante sur ces
compétences supposées qui trouveront bien à s’appliquer devant des
classes « ordinaires », plutôt que de conchier des dizaines
d’années de recherche dans l’AIS-ASH ?
Monsieur Darcos fait preuve d’un mépris consternant au sujet des personnels
des RASED, sauf mon respect...
- « L’égalité » : Monsieur Darcos
prétend rétablir quelque chose de l’ordre de l’égalité
en mettant en place « l’aide personnalisée », tout en projetant
de supprimer à terme les RASED. Je crains fort qu’il ne se fourvoie dans un
égalitarisme inopérant : qu’adviendra-t-il des milliers
d’enfants et de familles qui culturellement et socialement ne seront pas prêts
à faire des démarches de consultation vers le privé ou le secteur de
la Santé, là où les RASED font souvent médiation, relais, interface
si nécessaire ? Monsieur Darcos va creuser les inégalités, accentuer
les discriminations, quoi qu’il en dise !
- « La vérité » : la vérité
oblige à dire que Monsieur Darcos pratique le mensonge politicien de la plus
mauvaise veine : quand des rumeurs inquiétantes ont commencé à circuler
sur le devenir des RASED, il s’est voulu rassurant : « Ils n’ont rien
à craindre » ; ensuite, il fut question de ces 3000 postes
spécialisés « réaffectés »,
« sédentarisés », et de rien d’autre. Pour le 16
octobre, annoncer aux Inspecteurs d’Académie le projet de disparition des RASED
dans les 3 ans, à raison de 30% par an...
Mensonges, Monsieur Darcos, mensonges calculés, prémédités,
que l’on qualifiera peut-être de mensonges « par omission »
(ainsi de « l’oubli » des RASED comme recours possible au sein de
l’école dans le superbe « guide pratique des parents »
distribué en cette rentrée à toutes les familles...).
- « Le souci de la dépense publique » : c’est
à ce titre aussi que Monsieur Darcos « réaffecte » des milliers
de postes devant des classes « ordinaires » : économies, rigueur,
économies... Mais il est d’ores et déjà possible d’annoncer à
Monsieur Darcos qu’il va participer à l’accroissement du déficit de la
Sécurité Sociale, quand des dizaines de milliers de famille iront consulter à
l’extérieur de l’école (Privé, Santé). Commentaire du
directeur du CMP et de l’intersecteur psychiatrique infanto-juvénile de la ville
où je travaille : « La disparition des RASED va être une
catastrophe ! »
- « La pédagogie » : Monsieur Darcos feint-il
d’ignorer que si la pédagogie peut beaucoup, elle ne peut pas tout ? Croit-il
vraiment que l’aide personnalisée et les heures dites de soutien puissent
prétendre remplacer le travail spécifique des enseignants spécialisés
des RASED ?
Sait-il que depuis environ un siècle la recherche en ce domaine a permis d’enrichir
la connaissance de l’enfant ? Accepte-t-il l’idée que la psychologie,
la sociologie, la psychanalyse, toutes les sciences humaines ont participé de cet
enrichissement ?
D’où parle Monsieur Darcos ? De quels technocrates réactionnaires
s’entoure-t-il peut-être ?
Les 15% d’élèves en difficulté sensible à
la sortie de l’école méritent autre chose que ces bricolages. Les enseignants
des RASED se sentent interpellés eux aussi par cette question. Ils sont
évidemment prêts à réfléchir, participer, évoluer.
Leur faire porter le chapeau de cet échec scolaire massif serait odieux. Monsieur Darcos
est de ceux qui évoquent, patelin, la réussite d’autres systèmes
scolaires, scandinaves par exemple.
Je serais curieux de savoir si ces pays connaissent une telle
frénésie « réformatrice » de la part de leurs
ministres successifs.
Enfin, j’ose à peine l’avouer, Monsieur Darcos me
déçoit : il avait à son crédit le fait d’être
du sérail, « de la maison ». Cela semblait nous garantir des
dialogues sérieux (« enfin quelqu’un qui va savoir de quoi il est
question ! »).
Eh bien non. Les arguments employés par notre ministre me font
honte et ne font pas honneur à sa fonction...
Alors, je me prends à rêver d’une tache d’huile
partie de Vaulx-en-Velin et qui gagnerait tout le territoire : il paraît que,
là-bas, des écoles ont pris l’engagement de suspendre les heures de soutien
et l’aide personnalisée si les 3000 postes de RASED étaient... comment dit-on,
déjà ? ah oui,... « réaffectés »,
« sédentarisés ».
Mes respects, monsieur le Ministre, mais pas pour vous : je les adresse,
ces respects, à tous mes collègues, spécialisés ou non,
“dans le dur”, au quotidien.
Jacky Poulain
Novembre 2008
PS : dans un article précédent, j’avais craint de faire
un peu fort en titrant : « RASED :
une exécution (très) sommaire ».
Le manifeste du Comité scientifique de la FNAREN réagit lui
en parlant d’un « crime institutionnel ». A priori,
que je sache, il est signé de personnalités qui connaissent le sens et la valeur
des mots, et qui savent, elles, de quoi elles parlent.
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Dernière révision : samedi 01 mars 2014 – 17:55:00 |